Tiré du blogue de l’auteure.
Prendre un Uber pour rentrer chez soi à un tarif qui serait plus avantageux que le taxi, commander depuis son canapé ses courses alimentaires comme tout achat compulsif et être livré en 1 heure, idem pour son restau à la maison, faire entretenir la tombe de la grand-mère en un clic, assurer un suivi scolaire via le web, bénéficier d’une location de vacances avantageuse… Nombre de plateformes de la nouvelle web économie prétendent faciliter notre vie dans tous les domaines, pour moins cher, et satisfaire de nouveaux désirs dont nous n’avions même pas conscience avant l’existence de l’offre. On deviendrait des consommateurs Roi ! Dans le même temps, cette ubérisation promet à toutes et à tous de trouver du travail, ou un second job d’appoints pour des revenus complémentaires, en préservant l’indépendance, la liberté. Ah on deviendrait enfin son propre patron !
Mais la réalité est toute autre. L’économie prétendument collaborative ne vise qu’à réduire les citoyen-ne-s à des consommateurs et à les rendre complices, collabo de l’installation d’un système des travailleurs sans droits, de l’appauvrissement de l’Etat via l’extension de l’optimisation fiscale et in fine la mise à mort de notre propre système de protection sociale. Bref, une nouvelle étape prédatrice du capitalisme sauvage dont la force est de s’imposer via le consumérisme exploitant les nouvelles technologies sur fond de crise sociale.
Tout a commencé en France avec les taxis. Sous Sarkozy, la commission Attali de « libération de la croissance » visait à expérimenter l’ouverture à la concurrence du secteur du transport à la personne. La loi de 2009 a permis l’explosion des VTC, voitures de tourisme avec chauffeurs, soumis à une toute autre réglementation beaucoup moins contraignante que les taxis. La création du statut d’autoentrepreneur a facilité l’extension du modèle « Uber » à bien d’autres secteurs ainsi que les lois Macron de casse des professions dites réglementées.
Dorénavant dans nombre de domaines, impossible d’accéder même à un CDD, ce statut d’autoentrepreneur est requis. Le nouveau modèle du travailleur jetable ne cesse de s’étendre. A l’instar des livreurs à vélo victimes d’une déconnection par leur plateforme dès qu’une chute à vélo les contraint à l’immobilisation et se retrouvant du jour au lendemain sans revenu C’est le retour des tâcherons du 19ème siècle.
Les travailleurs ubérisés se rebiffent et poursuivent les plateformes aux prud’hommes pour exiger la requalification de leur statut en salarié, considérant qu’ils en sont bien étroitement dépendants ? Qu’à cela ne tienne. Le lobbying fait rage et impose un article dans la loi Travail pour l’interdire, en les excluant du code du travail… Les députés PS et le gouvernement s’exécutent à moins qu’ils n’anticipent. Le patron de la plateforme américaine l’assume, son objectif est politique, imposer le modèle du travailleur sans droit et il a trouvé son meilleur VRP français en la personne d’Emmanuel Macron… Avant que les voitures sans chauffeurs n’éliminent complètement la variable humaine et sa rémunération…
L’économie des Gafa (Google, Apple, Facebook, Amazon) et de l’ubérisation se développe en même temps sur le modèle d’une nouvelle économie de la rente, qui ponctionne par transactions sans trop de dépenses que du marketing publicitaire et la gestion d’algorithmes. Les sociétés installent leur siège dans les pays à fiscalité avantageuse et les paradis fiscaux, comme Airbnb en Irlande, Uber aux Pays Bas, aux Bermudes et dans le Delaware. Et hop, l’optimisation fiscale en toute légalité ou permissivité des gouvernements dociles poursuit l’appauvrissement des recettes des Etats, sous l’œil bienveillant d’une Union Européenne qui met en garde : que les états ne s’immiscent pas trop à réglementer cette économie soi-disant prometteuse de croissance !
Certes, le recours à ces nombreux nouveaux petits jobs d’auto-exploités semble une aubaine, notamment dans les zones fortement frappées par le chômage et où les travailleurs subissent la discrimination à l’embauche. Mais à quel prix social, celui de travailleurs sans droits complètement précarisés et jonglant plusieurs petits jobs, les nouveaux “slashers”. Aussi, toutes ces activités qui échappent aux obligations en matière de cotisations sociales, salariées et patronales finiront par avoir raison de notre propre système de protection sociale si la bataille sociale et politique n’y met un coup d’arrêt. C’est le régime général de protection sociale qui vient abonder au déficit de la caisse des indépendants rattachés au RSI et l’Etat via l’impôt qui complète les baisses de recettes. Jusqu’à quand ? Le rêve du Medef de revenir sur les acquis du Conseil national de la Résistance pourrait bien se réaliser par l’expansion de cette ubérisation, nouvelle étape prédatrice du capitalisme 2.0.
Cette nouvelle étape de la domination capitaliste, comme la précédente, entend se perpétuer grâce à sa domination culturelle, en rendant l’ordre social des nouveaux travailleurs indépendants « naturel » et même souhaitable. Il obtient le consentement du plus grand nombre en réduisant les citoyen-ne-s à des consommateurs, qui adhèrent de fait avec enthousiasme à cette soi-disant modernité, innovation. Il pourrait bien de fait conduire au suicide social collectif, en brisant les droits des salariés, le système de protection sociale et en ruinant l’Etat et toutes ses capacités d’intervention au service de l’intérêt général.
La bataille culturelle contre l’ubérisation ne doit pas être considérée comme un à côté de la bataille contre le capitalisme, car c’est bien, comme l’écrivait François Delapierre, ancien délégué général du Parti de Gauche qui nous a hélas quitté : « La domination idéologique est bien le moyen essentiel par lequel le capitalisme se reproduit. Là est le principal enjeu du combat politique pour la gauche. »
Cette bataille, je compte bien la mener pleinement et de façon originale. A suivre dans la mise en mouvement des insoumis contre l’ubérisation...et au Théâtre Clavel !