Un milliardaire inculte, nationaliste, raciste (islamophobe et antisémite), sexiste, homophobe…
Il faut donc analyser et comprendre, pas seulement crier au loup surtout si le loup n’est qu’un possible devenir. Et ne pas se bercer d’illusions, ni sur une proche normalisation ni sur une procédure d‘impeachment (Daniel Tanuro rappelle que le vice-président Mike Pence est un « chrétien intégriste, créationniste, ultralibéral, pathologiquement obsédé par la lutte contre le droit des femmes, des homosexuel·le·s et des transgenres à contrôler leur corps, leur propre vie »). D’autant qu’une troisième possibilité existe, l’instauration d’un régime autoritaire et la précipitation du monde « dans un cauchemar de guerres, de haines et de désastre climatique »
Donald Trump. Le trumpisme et un quadruple mouvement combiné : « le retour du capitalisme à une sauvagerie sans masque, la barbarie climatique montante, une tendance généralisée à l’Etat fort et la détermination de l’impérialisme étasunien à maintenir son hégémonie mise en péril par la puissance montante de la Chine ». Le danger trumpiste est gravement sous-estimé, la capacité de nuisance du président aussi (et parallèlement, les mobilisations aux Etats-Unis de même). Il est important d’essayer de comprendre de quoi Donald Trump est le nom, d’analyser « la mise en œuvre d’un projet conservateur ambitieux, conçu et alimenté par de puissants think tanks de la droite ultralibérale et libertarienne ».
Un choix à partager. « La langue est une construction sociale. La règle qui veut que « le masculin l’emporte » n’est pas inscrite dans une science académique intouchable mais dans des rapports d’oppression que la grammaire contribue à reproduire ». L’auteur choisit de se rallier à l’écriture inclusive et assume donc des règles de rédaction : point médian, barre oblique, iel(s) – il(s) et elle(s) -, celleux – celles et ceux -, elleux – elles et eux. Un pas vers la généralisation de l’écriture inclusive par celleux du coté l’émancipation ?
Daniel Tanuro, « Ecce homo », aborde l’histoire de la famille Trump, la place de l’« argent », la « marque » Trump. Il rappelle que le capital n’existe concrètement qu’à travers ses formes et parle de capitalisme interlope (dont la fraude systématique et l’optimisation fiscale). L’auteur analyse, entre autres, le jeu avec les médias, la construction de l’image de marque, « Faire parler de soi dans les médias, bluffer sur sa fortune pour soutirer des prêts aux banques, et mentir pour dissimuler son activité interlope : ces éléments prirent une place croissante dans le business plan de Trump. Il agit consciemment et méthodiquement pour devenir une marque, pour que son nom devienne symbole de grandeur, de luxe, de vie facile, d’argent facile, de succès facile auprès des femmes ». Le bling-bling et la star. Et aussi des affaires, le sexisme, le racisme, l’homophobie, les liens avec le crime organisé, les accointances avec l’extrême-droite, les prédations multiples.
« L’éléphant brun dans la pièce ». Daniel Tanuro analyse la base sociale du parti Républicain, la construction institutionnelle du collège électoral et son ancrage dans l’esclavage, le suprémacisme blanc, les liens avec l’extrême-droite, l’abstention massive, le Tea Party, la seconde « révolution conservatrice », les comparses comme par exemple Stephen Bannon, les extrêmement riches, les mythes de la nation et la « grandeur de l’Amérique », le néolibéralisme des Républicains et des Démocrates, « tandis que le néolibéralisme des Démocrates dégoûtait des millions de gens modestes de voter, Trump engrangeait les fruits de la rage nationale-populiste que le néolibéralisme a engendrée dans la petite et moyenne bourgeoisie ainsi que dans certaines couches de la classe ouvrière ».
Les constructions de la « constitution », du « collège électoral », de la classe ouvrière (lire par exemple : David Roediger : Le salaire du Blanc. La formation de la classe ouvrière américaine et la question raciale : la-peur-de-legalite-politique-et-de-lamalgame-sexuel/) diffèrent de manière très importante de celles de l’Europe occidentale. Fruits de l’histoire et des combats de la couche privilégiée pour l’indépendance d’avec la couronne britannique ; fruits aussi d’une colonisation de peuplement – vagues migratoires – et du mythe de la frontière. Fruits enfin du génocide des populations amérindien·nes et du système d’esclavage. Les modifications apportées à la « constitution » qui n’en est pas vraiment une, ne bouleversent pas significativement l’idéologie du bourgeois indépendant, se pensant hors des rapports sociaux. Et si des éléments peuvent être largement plus démocratiques – en particulier au niveau local – qu’en Europe, le cadre général ne l’est pas. Des droits humains acquis ici – même dans leur seule acceptation formelle n’ont pas d’existence là, comme par exemple le droit du travail et les droits syndicaux, l’égalité salariale homme/femme, droits reproductifs et sexuels des femmes, etc.
« Un an de Trumpisme appliqué ». Il ne faut ni nous tromper d’analyse sur la situation ni sur la nature de l’adversaire. Mais bien souligner le contexte qui a engendré cette élection et les possibles actions de Donald Trump. Remise en cause de l’Obamacare (ce qui ne dispense pas d’une critique de celle-ci), soutien à l’ex shérif Arpaio icône de l’extrême-droite, activisme frénétique pour défaire anti-démocratiquement « les décisions prises anti démocratiquement par son prédécesseur », main basse sur la magistrature, littéralisme sur la liberté de conscience. L’enjeu est de déterminer si la « liberté de conscience » prime sur les « lois bannissant la discrimination dans les transactions commerciales » et survalorisation des croyances religieuses sur les droits des êtres humains (Sur ce sujet, je souligne la qualité des analyses du premier amendement par des féministes radicales comme Andrea Dworkin et Catharine A. MacKinnon. Lire par exemple, Catharine A. MacKinnon : Le féminisme irréductible. Discours sur la vie et la loi, legalite-des-femmes-est-incompatible-avec-une-definition-de-la-liberte-des-homme-sexercant-a-nos-depens/)…
L’auteur aborde aussi, la volonté d’écarter des pauvres, les Afro-étasuniens et les femmes du droit de vote, l’« identité électorale » comme système d’exclusion, « Le but n’est pas de lutter contre la fraude mais d’organiser la fraude au service de la réaction » (Il ne faut pas oublier les millions de personnes ayant perdu leurs droits civils par les procédures judiciaires. Lire par exemple, Michelle Alexander : La couleur de la justice. Incarcération de masse et nouvelle ségrégation raciale aux Etats-Unis, un-cauchemar-pour-les-droits-humains-est-en-train-de-se-produire-sous-nos-yeux/), la « démocratie despotique », Charlottesville, les relations avec certains grands patrons. Et si beaucoup de grandes multinationales préféreraient être débarrassées de ce « président qui jette de l’huile sur le feu de la polarisation sociale », elles restent partisanes de la « dérégulation tous azimuts » à l’oeuvre.
Daniel Tanuro nous rappelle à juste titre, que « le capital n’existe que sous la forme de capitaux nombreux qui se font concurrence ». Il analyse la place des industries fossiles, des marchands de peur et des fabricants d’armes, du système de prisons privées, des Goldman Boys et de leur seule patrie « l’argent ». Il poursuit avec les climato-négationnistes, « le déni climatique de Trump est un crime contre l’humanité », les rejets des sciences, la fuite en avant guerrière. « Il est plus que temps de prendre Donald Trump au sérieux, cet homme et ce qu’il représente sont dangereux »
Dans le dernier chapitre, « La place du Trumpisme dans l’histoire », Daniel Tanuro discute du bonapartisme, du fascisme, des Etats forts et de la ploutocratie. Si le Trumpisme est « une forme réactionnaire nouvelle et redoutable », la combinaison de traits du fascisme, du bonapartisme et de la ploutocratie, il ne faut cependant ni confondre les termes ni les régimes historiques. Il convient aussi de prendre en compte l’environnement, « la crise structurelle du capitalisme caractérisée par la surproduction de marchandises, la suraccumulation de capital argent, le surendettement généralisé et la destruction écologique ». L’auteur nous rappelle, contre les visions manichéennes, qu’une caractéristique majeure du capitalisme est « la contradiction croissante entre la rationalité partielle des capitaux et l’irrationalité globale de ce mode de production ». Il souligne aussi trois facteurs spécifiques aux États-Unis, l’absence historique d’une social-démocratie, le déclin de l’hégémonie du capitalisme étasunien face à la puissance chinoise montante, l’existence d’une extrême-droite nationaliste autoritaire et raciste plongeant dans le passé du génocide des Amérindien·nes, de l’esclavage des Noir·es et de la surexploitation des immigré·es pauvres… Justement, ce passé ne permet pas à mes yeux de caractériser « le ralliement de secteurs du salariat » au trumpisme comme un « phénomène annexe » (voir le livre de David Roediger déjà cité).
Daniel Tanuro analyse les évolutions du capitalisme incarné, le projet réactionnaire global et discute de sa(ses) caractérisation(s). Il souligne des différences entre les fascistes, le fascisme, l’Etat fort et la dictature. Une des caractéristiques des régimes fascistes reste « l’écrasement total du mouvement ouvrier et des autres mouvements sociaux ». Deux écueils donc, la sous-estimation du grave danger et la confusion entre ce qui est déjà là et ce qui pourrait advenir. Comparer certainement, mais pas assimiler. Mais il y a bien « une odeur de gaz dans la cuisine ». Il importe donc de suivre la lutte pour l’hégémonie à l’extrême-droite, les avancées des destructions d’autonomie ou d’arraisonnements à l’équipage réactionnaire. La menace est de ce point de vue nouvelle, « C’est un projet autoritaire nouveau, spécifique et composite, instable, typique de l’époque néolibérale ». C’est bien cette nouveauté qu’il nous faut saisir, comme les différents niveaux de dangerosité qui se développent et s’alimentent, dont la démultiplication climatique des périls. Et nous pouvons y opposer « la rationalité de la satisfaction des besoins humains réels, démocratiquement déterminés dans le respect de l’environnement ».
Dans « En guise de conclusion : résistance et alternative », Daniel Tanuro revient sur le tournant néolibéral, son commencement dans le sang au Chili en septembre 1973, avec la complicité criminelle des Chicago Boys de Milton Friedman… L’élection « démocratique » de Margaret Thatcher et son application « démocratique » « d’un programme économique inspiré des mêmes principes »… La finance parait engendrer seule des richesses, masquant les rapports sociaux réels et la malfaisance globale du système capitaliste (il n’y a pas un bon capitalisme d’industrie et un mauvais capitalisme financier).
L’auteur souligne que « Nous sommes engagés dans une épreuve de force globale contre le règne du capital en tant que tel. Cela nécessite des réformes partielles, bien sûr, mais chaque réforme doit nous faire avancer vers le but : le renversement de ce système », qu’il n’y a pas de prééminence de certaines luttes ou revendications sur d’autres, que nous devons prendre en compte les formes concrètes et situées de l’imbrication des rapports sociaux (stratégie « intersectionnelle »), que l’internationalisme n’est pas un supplément d’âme, que nous devons défendre de façon intransigeante la liberté de circulation et d’installation, que la satisfaction des demandes sociales dans le respect des impératifs écologiques est primordiale pour la construction d’une alternative et de la convergence des luttes.
Il ne faut pas sous-estimer la signification du trumpisme, les contenus réactionnaires démultipliés, les risques que cela entraine pour les populations étasuniennes et mondiales. Daniel Tanuro nous plonge dans un univers brun, dans des miasmes nauséabonds, dans les formes les plus exacerbées de la réaction, dans le sexisme et le racisme légitimés, dans les outrances comme forme d’expression politique. Mais il ne faut pas s’y tromper, le pire pourrait advenir, sous une forme modernisée du fascisme, sans oublier les catastrophes environnementales et climatiques ou les déflagrations guerrières, y compris dans des variations nucléaires.
C’est aussi donc du coté des mobilisations – les plus importantes depuis la guerre du Vietnam – qu’il nous faut regarder . Les regarder, les populariser, les soutenir…
Le titre de cette note est une phrase de Mary Shelley dans Frankenstein et citée par l’auteur dans son troisième chapitre.
Daniel Tanuro : Le moment Trump
Une nouvelle phase du capitalisme mondial
Illustrations de Bruno
Editions Demopolis, Paris 2018, 220 pages, 19 euros
Didier Epsztajn
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