Pour ces barons de l’information, les entreprises de presse doivent être réorganisées non pour produire une meilleure information, mais pour en diminuer les coûts, baisser les salaires de ses personnels, généraliser leur précarité et utiliser leur production sur toutes les plates-formes.
C’est cette médecine qui a été servie aux employé-e-s du Soleil. Qu’importe à Gesca les sacrifices consentis, qu’importe que les journalistes aient été obligés de faire plus avec moins, l’essentiel pour ce patron, c’est d’imposer son modèle d’affaires. Ce dernier prévoit, entre autres, que les employé-e-s doivent augmenter leurs heures de travail, sans revenu supplémentaire. La tactique de négociation a été simple et odieuse : une offre globale et finale avec une menace de fermeture à la clé.
Le rapport Payette passe à côté de l’essentiel
C’est dans ce contexte que Dominique Payette a reçu le mandat de « cerner les difficultés de l’information au Québec [...] devant la crise générale des médias qui secoue l’ensemble des pays industrialisés. » (L’information au Québec, un intérêt public, par le Groupe de travail sur le journalisme et l’avenir de l’information au Québec, 2011)
Le rapport n’est pas muet sur certaines réalités essentielles. Il reconnaît que le milieu vit d’importantes tensions, que le marché publicitaire se désintéresse de l’information socio-politique, celle qui permet les débats politiques et sociaux, bases et fondements des démocraties. Il ne nie pas qu’une information sérieuse nécessite des reporters, des recherches et des enquêtes approfondies qui demandent du temps et des artisans pour la produire. Il reconnaît que la concentration de la presse et la logique d’une rentabilité maximum à tout prix entrent en contradiction directe avec la qualité de l’information.
Mais la responsable du rapport ne veut pas remettre en question la logique commerciale d’entreprises privées qui transforment l’information en marchandise alors qu’il s’agit de produire « un bien collectif essentiel au fonctionnement de la démocratie. » Elle choisit d’éviter de prendre les vrais problèmes à bras le corps. L’auteure contourne l’essentiel. Elle emprunte « la voie de la conciliation » et produit des recommandations qui auront selon elle un effet pacificateur. Aucune recommandation concernant la concentration de la presse n’est faite : « Bien que nous partagions le constat des effets négatifs de la concentration de la propriété des entreprises de presse, nous ne recommandons pas l’imposition ou de proposition de démantèlement des empires de presse. » ( L’information au Québec, un intérêt public...) L’auteure se permet une génuflexion devant les patrons de la presse : « les entreprises de presse ont raison quand elles disent que l’état n’a pas à s’immiscer dans leur gestion et leur plan d’affaires, par contre, il est tout à fait légitime qu’il [l’État] puisse effectuer un certain nombre de choix en faveur du respect de la mission sociale fondamentale qui est celle de l’information d’intérêt public en démocratie. » ( L’information au Québec, un intérêt public...) Voilà ce qu’on peut décrire comme l’incapacité d’attacher les deux bouts d’un raisonnement. C’est pourquoi le rapport n’est même pas capable d’envisager des voies de dépassement de la situation actuelle.
Cela conduit à faire des propositions à la marge qui peuvent être intéressantes, qu’on devrait soutenir, mais qui ne pourront engager un véritable processus de transformation en profondeur de la situation actuelle. Ainsi, le rapport recommande :
— L’adoption de modifications aux dispositions antibriseurs de grève pour tenir compte des réalités technologiques du travail journalistique
— Le financement d’un projet de réseautage de l’information produite par les médias communautaires, coopératifs et indépendants sur le site web de Télé-Québec
— L’augmentation des ressources allouées aux médias communautaires, de doter Télé-Québec d’un mandat d’information axée sur l’information régionale et interrégionale...
C’est bien, mais c’est trop peu. Un tel manque d’audace dans les mains d’un gouvernement libéral finira par des mesures sans envergure. Le changement viendra d’ailleurs.
Les médias, une chose trop sérieuse pour être confiée aux capitalistes et à l’État
Les médias possédés par Gesca, Quebecor ou par l’État constituent pour la classe dirigeante un moyen d’imposer les questions dont il importe de débattre à tel ou tel moment (ampleur du déficit, exploitation des gaz de schiste, rigueur budgétaire, etc.), d’en occulter bien d’autres et de distribuer la parole aux défenseurs des riches et des puissants dans les journaux, à la radio comme à la télévision.
L’information ne doit pas être réduite au statut de marchandise. C’est la possibilité d’un fonctionnement démocratique qui le nécessite. L’information est un bien public et il ne peut être laissé entre les mains des oligopoles. Le démantèlement de consortiums de presse doit être au programme d’un parti de gauche. Le débat doit être ouvert sur le nécessaire contrôle des moyens d’information par les collectifs de journalistes et travailleurs et travailleuses qui permettent la production de cette information en discussion avec les usagères et les usagers. C’est le seul moyen de créer les conditions d’un véritable pluralisme et d’une indépendance réelle de la presse à l’égard de tous les pouvoirs.