Édition du 8 avril 2025

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Des usines à robot à la censure : la guerre de désinformation d’Israël contre les Palestiniens

Le gouvernement israélien et ses affiliés ont élaboré une stratégie à plusieurs niveaux pour déshumaniser les Palestiniens et, en fin de compte, légitimer son horrible violence.

Tiré de France Palestine Solidarité. Photo : Le gouvernement israélien et ses affiliés ont élaboré une stratégie à plusieurs niveaux pour déshumaniser les Palestiniens. Image : Palestine Chronicle.

Dès le début de sa guerre génocidaire contre Gaza, Israël a reconnu que l’espace numérique était un champ de bataille crucial, ayant compris depuis longtemps le pouvoir des récits en ligne. Parallèlement à ses efforts de destruction et de nettoyage ethnique sur le terrain, il a mené une guerre numérique implacable visant à réduire au silence le narratif palestinien.

Employant une série de stratégies pour dominer le discours numérique, Israël a investi de vastes ressources pour étouffer les voix palestiniennes en ligne. Cependant, malgré ses capacités étendues, le contrôle du récit numérique s’est avéré beaucoup plus difficile que prévu, tandis que les efforts visant à effacer les réalités palestiniennes en ligne reflètent ses actions sur le terrain.

La tactique clef de la guerre digitale menée par Israël a consisté à déployer des campagnes de désinformation pour discréditer les Palestiniens, éroder l’empathie à leur égard, délégitimer leurs revendications et justifier ses attaques génocidaires.

Campagne de désinformation massive

Au lendemain du 7 octobre 2023, Israël a lancé une vaste opération d’influence et une campagne de désinformation pour justifier ses attaques à grande échelle contre les civils et les infrastructures palestiniennes dans la bande de Gaza assiégée. Simultanément, ces efforts visaient à délégitimer les revendications des Palestiniens sur leurs terres et leurs droits tout en les déshumanisant.

Le ministère israélien des affaires de la diaspora a financé une campagne secrète visant à influencer les législateurs américains, en particulier les démocrates, en les ciblant avec des récits pro-israéliens. Cet effort comprenait l’utilisation de contenus générés par l’Intelligence Artificielle (IA) sur les sites web et les plateformes de médias sociaux.

Le gouvernement israélien a également été relié à des campagnes de diffusion de l’islamophobie et de sentiments antimusulmans dans le cadre de sa stratégie plus large de désinformation. Le ministère des affaires de la diaspora a alloué environ 2 millions de dollars à cette opération de désinformation, qui visait à déshumaniser les Palestiniens et à diffuser de fausses allégations.

OpenAI a identifié et interrompu des campagnes de désinformation impliquant des groupes israéliens qui utilisaient l’IA pour générer du contenu, y compris des commentaires courts et des articles longs en plusieurs langues. Israël a déployé des outils d’IA et des usines à robots pour amplifier la désinformation, dans le but d’influencer l’opinion publique et de déshumaniser davantage les Palestiniens.

L’un de ces efforts a impliqué la société israélienne STOIC qui, avec un financement du ministère des Affaires de la diaspora, a utilisé l’IA pour produire des articles et des commentaires sur des plateformes telles qu’Instagram, Facebook et X (anciennement Twitter). Ces récits générés par l’IA ont été stratégiquement ciblés sur des publics au Canada, aux États-Unis et en Israël. Pour amplifier la portée de ces récits, le ministère des Affaires de la diaspora a financé une opération secrète, en s’appuyant sur le contenu généré par l’IA de STOIC pour façonner le discours public et influencer les législateurs américains, à l’aide d’outils tels que le ChatGPT d’OpenAI.

Simultanément, le ministère israélien des affaires étrangères a lancé une campagne de manipulation émotionnelle sur YouTube visant à déshumaniser les Palestiniens.

La campagne a été analysée dans un rapport produit par 7amleh - The Arab Center for the Advancement of Social Media (Centre arabe pour l’avancement des médias sociaux). Le rapport conclut qu’une grande partie du contenu promu était chargé émotionnellement au point de violer les normes communautaires de YouTube.

La campagne comportait une vague d’annonces graphiques conçues pour provoquer de fortes réactions émotionnelles chez les spectateurs. En l’espace de trois semaines seulement après le 7 octobre, le ministère a créé 200 publicités ciblant des pays européens tels que l’Allemagne, la France, la Suisse, la Belgique, le Royaume-Uni et les États-Unis, et touchant des millions de spectateurs. Ces publicités s’inscrivaient dans une stratégie plus large visant à façonner les perceptions mondiales et à déshumaniser davantage les Palestiniens.

Une publicité particulièrement controversée, présentée dans le rapport, sur fond d’arc-en-ciel et de licornes, s’inspirait d’un conte pour enfants. Google a souligné que l’annonce avait été étiquetée de manière appropriée afin de s’assurer qu’elle n’apparaisse pas à côté de contenus destinés aux enfants.

Le texte de l’annonce est le suivant : "Nous savons que votre enfant ne peut pas lire ceci. Nous avons un message important pour vous en tant que parents. Quarante nourrissons ont été assassinés en Israël par des terroristes du Hamas (ISIS). Tout comme vous feriez tout pour votre enfant, nous ferons tout pour protéger les nôtres. Maintenant, prenez votre bébé dans vos bras et soyez de notre côté". Les termes employés - "soyez de notre côté" - incitent explicitement à soutenir l’action militaire israélienne, mais Google ne les a pas classés comme une incitation à la violence ou une violation des droits de humains.

Influenceurs et plateformes de médias sociaux

Dans le même temps, des influenceurs sur les plateformes de médias sociaux ont été contactés par courriel et invités à diffuser la propagande israélienne en échange d’une compensation financière. Un influenceur de TikTok a partagé un courriel lui offrant 5 000 dollars pour publier du contenu pro-israélien, ainsi que des séances de "lavage de cerveau" pour mieux comprendre la situation. Bien que le nombre exact d’influenceurs contactés ou ayant accepté l’offre ne soit pas clair, il est raisonnable de supposer que beaucoup l’ont fait.

Dans le même temps, Israël et les groupes pro-israéliens ont fait pression sur les plateformes de médias sociaux pour qu’elles suppriment les contenus pro-palestiniens, réduisant au silence les journalistes, les militants et les influenceurs en les menaçant ou en sapant leur carrière.

Meta, par exemple, a pris plusieurs mesures pour censurer les contenus pro-palestiniens, en plus de ses pratiques existantes qui ciblent déjà de manière disproportionnée les voix palestiniennes. L’une de ces mesures a consisté à abaisser le seuil de confiance pour le contenu palestinien de 80 % à 25 %, ce qui signifie que le contenu a désormais plus de chances d’être supprimé s’il est signalé comme pouvant violer les normes de la communauté. Selon un autre rapport produit par 7amleh, ce changement a entraîné une augmentation significative des suppressions de contenu.

Par ailleurs, de nombreux groupes pro-israéliens ont activement menacé des militants et des journalistes pro-palestiniens, tentant de nuire à leur carrière, de salir leur réputation et de discréditer leur travail afin d’occulter ce qui se passe sur le terrain. Un exemple notable est celui de HonestReporting, qui a envoyé plus de 50 000 lettres à des médias à travers le Canada depuis octobre 2023, en ciblant des journalistes.

Animaux humains

La diffusion d’informations erronées sur la guerre génocidaire israélienne a fait appel à plusieurs formes courantes de désinformation : photos et vidéos manipulées, fausses affirmations, fausses nouvelles, réutilisation de vieux contenus, contenus fabriqués, récits chargés d’émotion, faux comptes et robots, contenus altérés, contenus hors contexte, engagement d’influenceurs et de célébrités.

Il a utilisé des tactiques notoires, notamment en présentant l’attaque du 7 octobre contre Israël comme un événement isolé et non comme la conséquence de décennies de colonisation et de répression, ce qui l’a privé de tout contexte historique.

Israël a tenté de faire croire que les Palestiniens avaient attaqué Israël sans raison, les décrivant comme des "animaux humains" voués par nature à la violence. Ce discours, propagé par des politiciens, des entités et des affiliés israéliens, prétend à tort que les Palestiniens ont agi par désir d’éliminer les Juifs, plutôt qu’en réaction à une injustice historique et à un siège s’étendant sur de nombreuses années.

Parallèlement, si Israël s’est efforcé d’amplifier l’impact de l’attaque, en mettant en avant les destructions et les victimes, il avait besoin de justifications plus solides pour obtenir un consensus mondial sur ses actions dans la bande de Gaza.

Pour ce faire, Israël a inventé des affirmations exagérées sur l’ampleur des violences commises contre les Israéliens lors de l’attaque du 7 octobre, notamment de faux rapports faisant état de "40 bébés décapités", de "bébés dans des fours" et de "viols systématiques" de femmes israéliennes. Ces affirmations sont restées largement incontrôlées et ont été reprises par les médias traditionnels du monde entier, avant que de nombreux organes de presse ne se rétractent par la suite. Le président des États-Unis, Joe Biden, s’est notamment rallié à ces affirmations avant de revenir sur sa position.

D’autres faussetés ont été fabriquées et diffusées pendant les opérations israéliennes pour justifier et légitimer les attaques contre les civils et les établissements de santé. L’une de ces affirmations était qu’un centre d’opérations du Hamas était situé sous l’hôpital Al-Shifa, ou que le Hamas avait pris le contrôle de l’hôpital. Ces affirmations visaient à fournir un prétexte aux attaques de grande envergure menées par Israël contre des établissements de soins de santé dans la bande de Gaza.

Alors que ces fausses affirmations étaient destinées à préparer le public et l’opinion mondiale à accepter le nettoyage ethnique et la destruction de communautés entières, un autre volet de cette campagne de désinformation a fonctionné en parallèle, tentant de blanchir les actions d’Israël en alléguant que les Palestiniens simulaient leur mort et en jetant le discrédit sur les victimes.

Campagne "Pallywood"

La campagne "Pallywood" est un exemple frappant d’utilisation de contenus tirés de scènes dans des contextes ou des périodes différents, affirmant à tort que les scènes de mort ont été mises en scène.

Cette campagne ne s’est pas limitée aux utilisateurs ordinaires ; un exemple notable est celui du porte-parole en langue arabe du bureau du Premier ministre israélien, qui a partagé une scène du Liban en prétendant à tort qu’il s’agissait d’une scène de Gaza. Une autre vidéo laissait entendre que les Palestiniens simulaient leurs blessures à Gaza, alors que les images provenaient en fait d’un rapport de 2017 sur une maquilleuse travaillant sur des films palestiniens et avec des organisations caritatives. De nombreux autres exemples ont été diffusés par des utilisateurs israéliens ou pro-israéliens afin de diminuer l’empathie mondiale pour les Palestiniens.

La campagne de désinformation israélienne est profondément liée au génocide sur le terrain. Sans cette vaste opération d’influence, Israël n’aurait pas eu la marge de manœuvre nécessaire pour mener à bien la destruction de Gaza et de ses communautés.

Le gouvernement israélien et ses affiliés ont élaboré une stratégie à plusieurs niveaux pour déshumaniser les Palestiniens, délégitimer leurs droits et leurs revendications, les discréditer, saper la solidarité, semer la confusion parmi les militants et les médias et, en fin de compte, légitimer son horrible violence.


Ahmad Qadi est écrivain et défenseur des droits numériques en Palestine. Il est responsable de la documentation à 7amleh - The Arab Center for the Advancement of Social Media (Centre arabe pour l’avancement des médias sociaux). Son travail se concentre sur la censure numérique, les préjudices en ligne et la responsabilité des plateformes. Il a contribué à cet article pour le Palestine Chronicle.

Traduction : AFPS

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Ahmad Qadi

Auteur pour The Palestine Chronicle.

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