La lutte pour sauver les emplois chez Amazon présente un avant-goût de ce qui pourrait attendre d’autres travailleurs au Québec et au Canada dans le contexte de guerre commerciale. Pas moins de56% des entreprises canadiennes récemment sondées par la firme KPMG affirment qu’elles procéderaient à des licenciements si des tarifs sont imposés.
Malheureusement, dans le cas présent, un mois plus tard, les entrepôts d’Amazon sont en processus de fermeture. Le syndicat a maintenant amené l’affaire devant le Tribunal administratif du travail, mais c’est une bataille qui prendra des années à se régler ; entre-temps, les emplois sont perdus.
Cet exemple offre des leçons clés pour le mouvement ouvrier dans la lutte contre les fermetures et les pertes d’emploi que les capitalistes tenteront d’imposer à l’avenir.
Réponse syndicale
Avec un délai d’à peine quelques semaines avant le début des fermetures, il fallait agir vite pour empêcher les pertes d’emploi.
Malheureusement, dès le départ, la CSN a semblé accepter que les emplois étaient perdus. Leurs communications et actions n’indiquaient pas de volonté de les maintenir. Le communiqué de presse initial parlait vaguement d’accompagner « les salarié-es de DXT4 dans l’ensemble des démarches et des contestations qui devront être entreprises au cours des prochains jours. »
Ces paroles n’ont cependant été suivies d’aucune mobilisation pour sauver les emplois, que ce soit ceux des syndiqués ou des autres entrepôts.
C’est dans ce vide que des militants de gauche ont lancé une campagne « Ici, on boycotte Amazon », dès le lendemain de l’annonce des fermetures. Les objectifs immédiats de la campagne de boycottage étaient : « Stopper la fermeture des entrepôts. Maintenir les emplois de TOUS les travailleurs. Respect du droit syndical de TOUS les travailleurs. Arrêt des subventions pour Amazon. »
Cette campagne avait donc le bon objectif, celui de maintenir les emplois. Mais par quelles méthodes y arriver ?
La question d’un boycott des consommateurs n’est pas une question de principe. Il s’agit parfois d’un excellent auxiliaire à une lutte des travailleurs, un bon moyen de bâtir un mouvement de solidarité large, par exemple lors d’une grève, ou plus encore quand des scabs font rouler une entreprise en grève.
Cependant, sans action collective des travailleurs affectés eux-mêmes, même le boycott le plus réussi du monde ne sauvera pas d’emploi.
C’est encore plus vrai en ce qui concerne un mastodonte comme Amazon. Selon de récentes statistiques, pas moins de 64% des achats en ligne au Québec sont faits via Amazon. Cette entreprise véreuse a ses tentacules partout. Elle ne pouvait être forcée de revenir en arrière sur des fermetures par un seul boycott, qui allait de toute façon prendre un certain temps à être appliqué sur une si vaste échelle.
Malheureusement, cette campagne n’avait pas pour objectif de susciter l’action indépendante des travailleurs eux-mêmes, ni d’appliquer de la pression sur les centrales syndicales pour qu’elles organisent de telles actions pour sauver les emplois. Elle avait donc une sérieuse faiblesse dès le départ.
La CSN lance sa campagne
Incroyablement, devant une attaque aussi éhontée, la direction de la CSN n’a pratiquement rien dit pendant les deux semaines qui ont suivi l’annonce.
C’est seulement le 4 février que la CSN a annoncé une campagne autour des fermetures : elle a alors repris à son compte le slogan de boycott d’Amazon, qui avait précédemment été endossé par le Conseil central FTQ du Montréal métropolitain.
Mais la question n’était déjà plus de sauver les emplois.
En fait, le mot d’ordre du boycott d’Amazon circulait dans les grands journaux dès le début. Comme l’annonce des fermetures avait été faite peu de temps après les menaces de Trump contre le Canada, le commentariat bourgeois a immédiatement vu Amazon comme une cible de choix dans la guerre commerciale avec les États-Unis. Rapidement, se sont mis à fuser de partout des appels à acheter à des « entreprises d’ici » plutôt qu’à Amazon.
On pouvait par exemple lire dans le Journal de Montréal, le 24 janvier, soit deux jours après l’annonce : « Perdre quelques millions de revenus au Québec changera bien peu de choses pour Amazon. Mais ce même argent dépensé dans nos entreprises enrichit directement notre économie. Face aux tarifs de Donald Trump [...], il est dans notre intérêt de développer notre souveraineté économique. »
Le même discours a été repris par la CSN. Sa présidente, Caroline Senneville affirmait :
«
Quelques millions de moins de chiffre d’affaires pour Amazon, ce n’est peut-être pas des tonnes. Mais quelques millions de plus dans le chiffre d’affaires des entreprises québécoises, ça peut faire la différence entre une entreprise québécoise qui survit, puis une entreprise québécoise qui progresse.
»
Sur sa page Web consacrée à Amazon, la CSN ne parle pas de sauver les emplois ni de faire quoi que ce soit pour les travailleurs, mais bien d’« encourager les commerces locaux en cessant d’acheter sur Amazon ».
Il n’a pas été bien difficile pour les politiciens et gouvernements d’un bout à l’autre du spectre politique de rejoindre le mouvement. Même le ministre fédéral François-Philippe Champagne a été interpellé par la CSN, et il songe maintenant à revoir les liens du gouvernement avec Amazon.
La mairie de Montréal a coupé les ponts avec Amazon, affirmant : « Malgré le sursis au niveau des tarifs douaniers, Montréal ne baisse pas la garde. On passe la liste de nos fournisseurs au peigne fin pour trouver des alternatives locales ou internationales. On demeure solidaire et on achète local lorsque c’est possible. »
Et maintenant, le gouvernement Legaultdemande à ce que les fonctionnaires tâchent de passer à travers des fournisseurs québécois, au lieu de commander en ligne sur de grandes plateformes.
La lutte contre Amazon a ainsi été complètement récupérée. Plutôt que d’être une lutte pour les travailleurs, la campagne de boycott est devenue une lutte pour les capitalistes québécois contre les capitalistes américains. La perte de nos emplois n’est devenue rien d’autre qu’une excuse pour que ce gouvernement des riches vienne en aide à ses amis.
Comme si les capitalistes d’ici traitaient mieux leurs travailleurs ! Il est d’ailleurs incroyablement ironique que le gouvernement Legault participe à boycotter Amazon pour ses fermetures d’entrepôts antisyndicales, alors qu’il vient lui-même de déposer le projet de loi 89 visant à casser les syndicats.
Le résultat est que la campagne de boycott a donné un vernis de gauche à la bureaucratie de la CSN qui n’avait rien fait pour résister aux fermetures, et a même donné l’occasion à François Legault lui-même de sembler du bord des travailleurs. Et par-dessus tout, elle n’a pas permis de sauver les emplois ou d’obtenir des concessions pour ces travailleurs.
Le 21 février, la CSN a annoncé avoir déposé une plainte au Tribunal administratif du travail contre Amazon. La plainte affirme que la compagnie a dérogé au Code du travail et demande carrément de revenir en arrière sur les fermetures et de maintenir les emplois.
C’est trop peu, trop tard. Et l’histoire a bien montré que les recours devant les tribunaux ne tournent pas à la faveur des travailleurs. Mais même quand les travailleurs « gagnent », cela ne survient que des années plus tard, alors que le mal est fait. C’était le cas avec la fermeture de Walmart à Jonquière en 2004 (alors que les travailleurs venaient de se syndiquer) : les emplois ont été perdus, et il a fallu attendre 10 ans avant que les travailleurs reçoivent leurs indemnités.
Comment lutter contre les fermetures et pertes d’emplois ?
Avec la guerre commerciale qui se profile à l’horizon, des milliers, voire des centaines de milliers d’emplois seront sur le billot. La lutte contre les fermetures d’Amazon nous offre un exemple instructif qu’il faut évaluer d’un œil critique si nous voulons sauver les emplois à l’avenir.
La leçon importante est qu’aucune méthode ne peut se substituer à l’action indépendante des travailleurs sur le terrain.
Voilà pourquoi il aurait fallu que, dès le départ, la CSN utilise ses ressources et son pouvoir de mobilisation en vue d’une grève dans les entrepôts menacés de fermeture. De plus, il semble que très rapidement après l’annonce des fermetures, Amazon a commencé à rediriger ses colis vers des sous-traitants en vue de rendre les entrepôts inutiles. En commençant par bâtir un mouvement de grèves et occupations par les travailleurs eux-mêmes, les dirigeants syndicaux auraient pu démarrer une mobilisation de masse de tous les travailleurs impliqués dans la livraison des colis d’Amazon au Québec.
Un boycott des consommateurs aurait pris un sens radicalement différent dans un tel contexte. On peut se douter que les libéraux fédéraux et la CAQ n’auraient jamais voulu s’approcher d’une telle campagne.
Bien des gens ont affirmé à des militants du PCR au cours des dernières semaines que les méthodes comme la grève étaient irréalistes. Mais nous n’inventons rien de nouveau. À de nombreuses reprises, les travailleurs ont lutté contre les fermetures par des grèves et occupations, et ont obtenu des gains qu’ils n’auraient jamais obtenus autrement.
Au Saguenay, en 2004, des employés de l’usine d’Alcan ont refusé leur licenciement en occupant l’usine et en continuant la production sous leur contrôle. Malgré que le syndicat s’exposait à de sévères amendes, il a continué son action pendant 19 jours. Ils ont obtenu que leur emploi soit transféré au lieu d’être simplement perdu.
Un autre exemple inspirant provient d’Oshawa. En 1980, plus de 200 travailleurs de l’usine Houdaille ont occupé illégalement leur usine pendant deux semaines pour réclamer des pensions décentes et des indemnités de licenciement lors de la fermeture de l’usine. Il y avait même eu une menace de grève générale des 14 000 travailleurs de General Motors de la ville. Cette lutte a permis d’arracher d’importantes concessions à Houdaille et même de renforcer les indemnités de licenciement dans la loi ontarienne.
Avec la guerre commerciale qui s’en vient, il faut une nouvelle stratégie. Les appels aux tribunaux prennent une éternité à donner des résultats – s’ils en donnent. Et les appels au boycott, séparés ou opposés à des actions de grève et d’occupation des travailleurs eux-mêmes, sont clairement insuffisants pour gagner. Plus encore, un tel boycott ne participe pas à élever la confiance des travailleurs dans leur propre force, ni leur conscience de leur opposition irréductible aux patrons. Il tend plutôt – comme nous l’avons vu – à mettre travailleurs et patrons dans un même camp contre un autre patron.
Il n’y a aucune solution simple aux fermetures que les capitalistes voudront imposer. Des luttes acerbes s’en viennent. Nous ne pouvons avoir aucune confiance dans les gouvernements provinciaux et fédéraux pour venir en aide aux travailleurs.
Historiquement, c’est par les méthodes de grèves et occupations que les emplois ont été maintenus ou que des concessions importantes ont été obtenues. Ce sont ces méthodes que le PCR vise à faire redécouvrir et propager dans le mouvement.
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