Mais justement, ce rêve se heurte à l’incontournable réalité des Palestiniens et Palestiniennes sur le territoire convoité.
La Cisjordanie, à la suite des Accords d’Oslo (conclus en 1993) est divisée en trois zones : A, B, et C. Pour l’essentiel, la première représente 16% du territoire, la seconde 22% et la troisième 62%. Les deux premières regroupent la plupart des villes palestiniennes ainsi que la majorité de la population : 2,8000,000 Palestiniens et Palestiniennes y vivent. Ces zones sont les seules où l’Autorité palestinienne (présidée par Mahmoud Abbas) détient certains pouvoirs, très limités. Dans la zone B, Israël est responsable de la sécurité, ce qui signifie que l’Autorité palestinienne n’y dispose pas de véritable... autorité (seulement la responsabilité civile). Pour ce qui est de la zone A, en principe l’Autorité palestinienne y exerce la sécurité, mais l’armée israélienne se donne le droit d’y intervenir si elle le juge nécessaire, surtout dans les camps de réfugiés. Deux catégories de Palestiniens coexistent en Cisjordanie : la population d’origine et les réfugiés, entassés dans des camps, refoulés là au fil des guerres et des troubles qui ont agité la région. Dans la masse des Palestiniens, il faut compter en plus les réfugiés qui se sont retrouvés dans les pays voisins comme le Liban sud et qui ont longtemps été à la pointe de la lutte armée pour rentrer dans ce qu’ils regardaient (et pour plusieurs d’entre eux, considèrent encore) comme le pays d’où leurs grands-parents et arrière grands-parents ont été chassés par les sionistes en 1947-1948. Il ne faut pas oublier non plus les habitants et les réfugiés qui vivotent dans la bande de Gaza, lesquels rêvent comme leurs autres compatriotes dispersés d’un État palestinien.
L’Autorité palestinienne "contrôle" donc environ 38% de la Cisjordanie et les militaires israéliens 62%. C’est dans la zone C que se concentre l’essentiel des colonies israéliennes, illégales sur le plan du droit international. Selon les statistiques de 2017, 391,000 colons israéliens y habitaient et 300,000 Palestiniens et Palestiniennes (dans ce cas-ci selon les statistiques de 2014). En mars 2021, la Cisjordanie au complet (zones A, B et C) comptait 471,000 colons israéliens contre environ trois millions de Palestiniens, toutes catégories confondues (habitants réguliers et réfugiés).
On sait que la grande majorité de ces colons habitent en zone C où ils ont sans doute dépassé les 400,000 (pour atteindre peut-être 420,000 ?) depuis 2017. Par ailleurs, en tenant compte du dynamisme démographique des Palestiniens, qui formaient une population de 300,000 gens en 2014 comme je l’ai mentionné plus haut, il est permis de penser qu’ils doivent atteindre au moins les 380,000 habitants en 2023 et peut-être davantage. Je n’ai pu retrouver de statistiques plus récentes que celles de 2014 là-dessus. Donc, même en zone C, l’avance démographique des Israéliens et Israéliennes se révèle plutôt mince ; mais décisive ? ça reste à voir. L’avenir le dira.
Les trois zones sont inextricablement entremêlées, ce qui fait que la Palestine arabe n’a guère de continuité territoriale. En zone C, malgré les méthodes mises en place par les autorités israéliennes d’occupation pour contourner les centres de peuplement arabes, comme des autoroutes à usage exclusif des Juifs et des Juives et de multiples points de contrôle militaires (les "check points"), les deux populations, même si elles ne communiquent guère entre elles, se côtoient plus ou moins. Il va de soi que les colonies israéliennes bénéficient d’une haute protection de l’armée.
Dans les trois zones qui saucissonnent la Cisjordanie, on dénombre donc environ 3,4800,000 Palestiniens et Palestiniennes (2,8000, 000 en zones A et B plus peut-être cette année 380,000 Palestiniens dans la zone C pour tenir compte de leur évolution démographique depuis 2014), contre 480,000 colons israéliens dans toutes ces trois zones. Si on additionne ce nombre aux 230,000 colons qui se sont établis à Jérusalem-Est, on arrive à un total de 710,000 envahisseurs dans les territoires palestiniens.
Passons précisément à Jérusalem-Est, conquise par l’armée israélienne en 1967 et annexée en 1980 par la Knesseth (le Parlement israélien), à l’exception des députés arabes. Selon les statistiques officielles israéliennes, la ville au complet compte cette année 590,000 Juifs et Juives dont 230,000 à Jérusalem-Est comme je viens de le mentionner et 375,000 Arabes (362,000 musulmans et 12,900 chrétiens), surtout massés dans l’est de la cité. Nous sommes donc en présence d’une importante minorité à l’échelle de la ville entière dont une bonne partie rêve de faire partie d’un État palestinien avec pour capitale la partie de la ville où elle est majoritaire.
Si on se base sur les chiffres de 2021, la population totale de l’État hébreu s’élève à 9,364,000 citoyens et citoyennes, formée à 74% de Juifs et à 21.1% d’Arabes, ceux-ci souvent victimes de discrimination et traités comme des citoyens de seconde zone. On y relève aussi une catégorie classée comme "autres" (5.3%).
Bref, le beau rêve caressé par la droite et l’extrême-droite israéliennes de la reconstitution du "Grand Israël biblique" de la mer au Jourdain se heurte à la réalité crue des plus de trois millions de Palestiniens et Palestiniennes qui vivent dans les trois zones de la Cisjordanie et à Jérusalem-Est, sans oublier les deux millions de Gazaouis que la classe politique juive ne considère pas comme habitant le territoire historique qu’elle revendique mais qui veulent eux aussi faire partie du futur État palestinien. Les membres les plus pragmatiques de la garde rapprochée de Benjamin Netanyahou savent bien, sans qu’ils puissent se permettre encore de l’avouer, qu’ils devront faire des concessions à la partie palestinienne un jour, lors des inévitables négociations de paix auxquelles eux ou leurs successeurs devront bien consentir.
Compte tenu du rapport de forces militaire, politique et diplomatique entre les deux camps, leur résultat risque d’être plutôt décevant pour les Palestiniens. Tel-Aviv va mettre dans la balance tout le poids de ses alliés occidentaux pour conserver au moins l’essentiel de la riche zone C, la plus vaste de la Cisjordanie et là où on relève le moins de Palestiniens (plusieurs ayant fui les guerres et troubles successifs l’ayant touchée). Le gouvernement israélien va aussi se battre becs et ongles pour garder tout Jérusalem. Les soutiens occidentaux d’Israël (en particulier les États-Unis et aussi, hélas, le Canada) vont pousser les négociateurs et négociatrices palestiniens au "réalisme" et éviter d’exercer des pressions jugées indues sur leur protégé israélien.
On ne peut concevoir cependant rien de pire dans le long terme qu’une paix bancale qui favoriserait à outrance les intérêts israéliens aux dépens de ceux des Palestiniens. Les tensions resurgiraient rapidement et pourraient aboutir à une relance du conflit. La population palestinienne va continuer à croître dans la zone C et à Jérusalem-Est avec les habituels problèmes de cohabitation qui en découleront.
On peut difficilement prévoir l’évolution démographique de ces deux derniers secteurs même si pour l’essentiel, ils demeuraient territoires israéliens. Il est possible que les Palestiniens et Palestiniennes y rattrapent leur retard par rapport aux Juifs et Juives, ou du moins le diminuent. Mais toutes ces considérations demeurent spéculatives. Le passage du temps va décanter l’évolution démographique et par conséquent politique de la Cisjordanie (en particulier de la stratégique zone C) et de Jérusalem-Est.
Qui aura le dernier mot ? Les femmes palestiniennes ou israéliennes ? Après tout, l’avenir démographique de leurs sociétés respectives leur revient. Cela nous concerne tous.
Jean-François Delisle
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