Édition du 17 décembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

Négociation dans les secteurs public et parapublic

Deux visions différentes et diamétralement opposées de l’indexation…

Cela fait des lustres que les syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic ne sont pas descendu.e.s massivement dans la rue pour réclamer l’indexation de leur salaire. L’actuel mouvement gréviste renoue avec la tradition d’un syndicalisme combatif des années soixante-dix et du début des années quatre-vingt du siècle dernier. Une question se pose : pourquoi la présente lutte autour de l’indexation des salaires dans les secteurs public et parapublic mobilise-t-elle autant ?

Le contexte actuel

La présente ronde de négociation se déroule dans un contexte où il y a des postes à combler dans ces deux secteurs essentiels à notre qualité de vie en société. Il y a également une pénurie de main-d’œuvre qui a pour effet de laisser de nombreux postes vacants et, par ricochet, cela a pour effet d’affecter les services qui sont offerts à la population. Il y a aussi l’inflation qui est à la hausse, cela donne peu de place aux faux-fuyants. De plus, chaque année, infatigablement et immanquablement, l’Institut de la statistique du Québec nous rappelle que la rémunération globale des salariés de l’administration québécoise affiche un retard de plusieurs points de pourcentage par rapport à celle de l’ensemble des autres salarié.e.s québécois travaillant dans les entreprises et organisations de 200 employé.e.s et plus. Cela se produit aussi dans un contexte où le gouvernement caquiste a autorisé une hausse de traitement des député.e.s de l’Assemblée nationale de 30%, une baisse d’impôts des contribuables de 7 milliards de dollars, une distribution de chèques à des particuliers qui n’en avaient pas nécessairement toutes et tous besoin et de généreuses subventions ici millionnaires et là milliardaires à des entreprises qui ne sont pas au bord de la faillite. Ajoutons aussi que le gouvernement de François Legault a présenté une offre de salaire de 21% sur 5 ans aux policières et aux policiers de la Sûreté du Québec (soit deux fois plus que l’offre actuelle à ses 600 000 salari.é.s syndiqué.e.s) et cette offre a été rejetée par les membres des forces de l’ordre.

Dans la présente ronde de négociation dans les secteurs public et parapublic il y a deux visions diamétralement opposées qui s’affrontent au sujet de l’indexation des salaires. La première, la vision gouvernementale, qui repose sur les prévisions de la Banque du Canada et la deuxième, la vision syndicale, qui insiste pour l’obtention d’une clause qui protège réellement le pouvoir d’achat des salarié.e.s syndiqué.e.s.

Un régime de négociation factice

Nous avançons, depuis plusieurs années, que le régime de négociation en vigueur dans les secteurs public et parapublic correspond à un régime de négociation factice. Factice parce qu’il a été redéfini en 1985 en prenant en considération principalement et uniquement les intérêts de l’État patron en regard de la détermination des services essentiels lors d’un arrêt de travail collectif et aussi au sujet de la quasi non-négociabilité de la masse salariale.

Nous avons eu, il n’y a pas si longtemps, la confirmation par un ex-attaché politique d’un ministre des Finances impliqué dans une des rondes de négociation que l’augmentation de la « rémunération globale » ne devait pas dépasser 2% par année. Ce qui a été le cas, à une exception près, du milieu des années quatre-vingt-dix jusqu’à tout récemment. À ce sujet, remarquons qu’en ce moment le gouvernement caquiste offre une augmentation salariale paramétrique de 10,3% pour les 5 années d’application de la convention collective. Cette offre d’octobre 2023 n’a pas encore été qualifiée « d’offre finale », elle sera probablement bonifiée, contentons-nous de constater qu’elle dépasse de peu le 2% d’augmentation annuelle ciblée et mentionnée ci-haut.

Nous avons entendu le dimanche 5 novembre 2023, sur les ondes de la chaîne Première de Radio-Canada, l’ex-ministre des Finances et ex-présidente du Conseil du trésor, madame Jérôme-Forget, venir à la rescousse, dans la présente ronde de négociation, de sa successeure, madame Sonia Lebel. Pour l’essentiel, madame Jérôme-Forget a avancé ceci : une négociation ne sert pas à corriger la perte du pouvoir d’achat ni non plus à le protéger. Voici ce qu’elle a déclaré :

« Vous savez quand on négocie on ne négocie pas sur l’inflation qui a eu lieu, on négocie pour les cinq prochaines années. La Banque du Canada prévoit pour les prochains cinq ans une augmentation en deçà de 13% au total. Il va falloir que le gouvernement s’entende avec les centrales syndicales et que tout le monde mette de l’eau dans son vin. » Monique Jérôme-Forget.

https://ici.radio-canada.ca/ohdio/balados/33/le-radiojournal/787171/radiojournal-5-novembre-12-h-00

Bref, le coût de la rémunération globale de l’État patron à l’endroit de son personnel syndiqué ne doit pas aller au-delà de l’inflation prévue et anticipée par la Banque du Canada pour les "cinq prochaines années". Pour madame Jérôme-Forget et pour celles et ceux qui ont occupé le poste de président.e du Conseil du trésor la politique d’augmentation salariale n’a rien à voir avec la valeur de la prestation de travail et rien à voir non plus avec la protection du pouvoir d’achat des salarié.e.s syndiqué.e.s. Elle doit plutôt entrer dans les limites des enveloppes prévisionnelles des années de durée des contrats de travail qui elles doivent impérativement s’aligner sur les prévisions du taux d’inflation annoncé par la Banque du Canada. Il s’agit là d’un corset rigide intenable et surtout insoutenable pour les salarié.e.s syndiqué.e.s qui nous met en présence d’un gagnant, le gouvernement et d’un perdant, les salarié.e.s syndiqué.e.s.

Que penser de la parole ministérielle ?

En politique la parole prononcée du haut des tribunes ou des banquettes ministérielles et diffusée par l’intermédiaire de la radio ou (et) de la presse électronique, est incontestablement une arme au service du parti politique au pouvoir. De fait, la totalité des ministres de la Fonction publique et des président.e.s du Conseil du trésor qui ont eu à négocier avec leurs vis-à-vis syndicaux, depuis la libéralisation du régime de négociation dans les secteurs public et parapublic en 1964-1965, n’ont jamais hésité à propager dans la population des données dans le seul but de donner raison à la politique globale de rémunération de leur gouvernement.

Avant de croire ou d’adhérer aux prétentions et aux subterfuges ministériels, il faut se demander si la parole prononcée et diffusée attire notre regard sur la situation réelle dans laquelle nous nous retrouvons ou si, au contraire, elle ne vise pas plutôt à nous en détourner. Au service d’une autorité politique qui veut imposer unilatéralement un régime salarial austère à ses employé.e.s syndiqué.e.s, les allégations des ministres cherchent souvent à intimider celles et ceux qui sont à son emploi et sous ses ordres. Elle cherche aussi à effrayer les contribuables en leur présentant un portrait très sombre de la situation. Cet argumentaire ministériel, est-il nécessaire de le préciser, est couramment pur bavardage de prestidigitateur et celle ou celui qui manipule la langue mystificatrice ici ne veut pas qu’on voie ce que font ses mains.

Il y a une limite à toujours prétendre que l’inflation à venir sera inférieure à 2% par année et que les augmentations salariales ne doivent pas dépasser ce plafond qui dans les faits a eu pour effet d’éroder substantiellement le pouvoir d’achat des salarié.e.s syndiqué.e.s depuis les quatre dernières décennies. Lors de sa mise à jour économique du mardi 7 novembre, le ministre Girard a annoncé une période de six prochains mois « difficiles ». Ce n’est pas une raison pour vouloir faire subir 5 années additionnelles de mauvais traitement salarial aux 600 000 salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic qui sont à environ 75% des femmes.

Dans une société comme la nôtre la principale source de la richesse collective réside dans le travail et le travail, comme dirait l’Autre, ça se paie. Il n’appartient pas aux salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic de subventionner la société en acceptant un salaire qui perd annuellement et systématiquement de sa valeur, parce que non indexé automatiquement. Quand le gouvernement décide de mettre en place un service, il se doit d’offrir des salaires justes et équitables à ses salarié.e.s et c’est via l’impôt qu’il doit financer le coût des services offerts à la population. En baissant comme il l’a fait les impôts le gouvernement Legault a envoyé le message que les finances publiques se portaient très bien et qu’il avait enfin les moyens pour offrir à ses employé.e.s, après des années de faible augmentation, une augmentation de traitement décente et un salaire vraiment indexé au coût de la vie. Les augmentations salariales paramétriques maigrichonnes des dernières décennies ont eu pour effet inévitablement de gruger le pouvoir d’achat de plusieurs salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic. Ces faibles augmentations de 0%, 0,5%, 1%, 1,5% ou 2% ont été soient imposées unilatéralement par le gouvernement ou soit convenues entre les porte-parole gouvernementaux et les dirigeant.e.s des organisations syndicales.

Les charlatans ministériels ont réussi à imposer ces pourcentages d’augmentation salariale en les présentant comme à la hauteur des prévisions de l’inflation anticipée, ce qui était faux. Il est réellement temps de tourner la page sur ce qui correspond à des mensonges ministériels ou à de la séduction de l’imposture. La question n’est pas à ce moment-ci, contrairement à ce que pense madame Jérôme-Forget, de « mettre de l’eau dans son vin ». Il s’agit bien plutôt de rétablir l’indexation des salaires du personnel syndiqué des secteurs public et parapublic au Québec. Indexation retirée lors de la ronde de négociation de 1979.

Pour conclure

La détermination de la rémunération des salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic doit permettre d’attirer et de conserver une main-d’œuvre qualifiée à un coût non pas minimum pour le gouvernement, mais comparable et équitable avec ce qui est versé dans les autres services publics. Et ce salaire doit être à l’abri de la variation (souvent impossible à prévoir avec précision) de l’indice des prix à la consommation.

La présente lutte autour de l’indexation des salaires dans les secteurs public et parapublic mobilise les salarié.e.s syndiqué.e.s en raison du fait qu’au cours des dernières années le taux d’inflation a largement dépassé les augmentations accordées et la présente offre du gouvernement caquiste de 10,3%, pour cinq ans, est très en deçà de la prévision d’inflation du ministère des Finances pour les années 2022 à 2027 qui elle s’élève à 18,10%. Voilà un peu pourquoi, selon nous, après un premier coup de semonce des 7, 8 et 9 novembre, il y aura d’autres journées de grève à partir du 22 novembre et même le déclenchement d’une grève générale illimitée le 23 novembre de certain.e.s salarié.e.s syndiqué.e.s des secteurs public et parapublic.

Yvan Perrier

13 novembre 2023

7h. AM

yvan_perrier@hotmail.com

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Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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