23 septembre 2021 | tiré de Jacobin
S’il y a un côté positif dans les résultats des élections fédérales inutiles et indécises au Canada , c’est bien l’incapacité du Parti populaire (PPC) d’extrême droite à remporter un seul siège. Dans le contexte d’une élection pandémique teintée de colère et de ressentiment généralisés, la perspective semblait lointaine mais réelle – quelques sondages établissaient même son soutien national à plus de 10 %. Il s’est avéré que ces projections surestimaient considérablement le soutien à ce parti et sa capacité à mobiliser les électeurs. En fin de compte avec un peu plus de 5 % du total des voix, le chef du PPC, Maxime Bernier, n’a pas réussi à reconquérir son ancienne circonscription québécoise de Beauce (celle qu’il a représentée pendant plus d’une décennie en tant que député conservateur et ministre du gouvernement) et n’a pas réussi à mobiliser la vague de droite que beaucoup avaient prédit en l’Alberta.
Pour cette raison, il est tentant d’exagérer l’échec du Parti populaire. C’est un réflexe qui est, à tout le moins, psychologiquement plus facile à traiter que l’alternative. La vérité est que le PPC a remporté plus de 800 000 voix dans tout le pays, contre environ 300 000 en 2019, malgré des médias largement hostiles et l’exclusion de Bernier des trois débats télévisés. L’échec du PPC à entrer au Parlement peut donc être considéré comme une défaite partielle mais pas comme une répudiation totale. Avec une autre élection susceptible de se produire dans les dix-huit prochains mois, personne ne devrait être rassuré face aux perspectives d’avenir du PPC, ou à la véritable possibilité qu’il obtienne finalement une tête de pont électorale.
Fondé en 2018, le PPC est né du départ soudain de Bernier du caucus conservateur après avoir perdu de peu la direction du parti au profit du député de la Saskatchewan Andrew Scheer. Nonobstant la dimension personnelle évidente, la sortie a été présentée en grande partie en termes idéologiques alors que Bernier a déclaré que son ancien parti était « trop corrompu intellectuellement et moralement pour être réformé ». Après avoir émaillé son discours de plaintes contre le multiculturalisme et l’excès de politiquement correct, il est vite devenu évident que le jeu du député québécois était de fonder quelque chose de résolument à droite du Parti conservateur, et le PPC fut dûment créé le mois suivant.
S’inspirant à la fois de l’expérience de Donald Trump et d’éléments de l’extrême droite européenne, le PPC peut être caractérisé comme un méli-mélo disparate de diverses impulsions réactionnaires enfouies juste sous la surface du courant conservateur dominant du Canada. Boosté au cours des cinq dernières semaines par son opposition aux passeports vaccinaux (Bernier lui-même s’est adressé aux rassemblements anti-vaccins et anti-confinement ), sa philosophie est fondamentalement postmoderne et axée sur Internet : se fonder – comme tant de gens de droite le font actuellement – en établissant un lien entre la théorie du complot, le nationalisme blanc, le dogme pro-marché, le sentiment anti-establishment flottant, la manie d’Internet de dérapages insensés comme celui d’un candidat du PPC du Nouveau-Brunswick qui s’est révélé comme étant un pionnier d’une technique qu’il appelle la « respiration testiculaire », tandis qu’un autre a comparé les passeports vaccinaux au programme génocidaire des pensionnats infligés aux peuples autochtones du Canada.)
Bien qu’officiellement loin à droite du courant politique dominant au Canada, une grande partie de ces insanités sont parfaitement en phase avec les croyances et les attitudes répandues parmi les éléments plus idéologiques de la base conservatrice. Bernier, à juste titre, est arrivé à deux doigts de remporter la course à la direction des conservateurs de 2017 et de devenir chef de l’opposition – un résultat évité de justesse par le système alambiqué de scrutins multiples utilisé par le parti pour élire ses chefs. Bien que pour des raisons d’opportunité politique plutôt que de bienfaisance, le Parti conservateur a tendance à réglementer et à tasser les réflexes les plus fanatiques de sa base - pour mieux vendre son offre habituelle de dénonciation de dangers éminents et de conservatisme fiscal aux banlieusards ennuyés qu’il courtise pour gagner les élections .
Avec Bernier et le PPC, le surmoi de facto du Canadien fait désormais face à un concurrent animé plus par une identité débridée que par un froid calcul stratégique. Bien que les perspectives à long terme du parti soient incertaines après avoir échoué à remporter un siège, l’histoire récente suggère que l’extrême droite a un moyen de tirer parti des mauvais échecs électoraux et de les transformer en gains politiques et idéologiques tangibles.
Suivant le modèle d’une formation comme le UK Independence Party (UKIP) de la Grande-Bretagne, Bernier pourrait modifier le discours politique dominant sans jamais entrer au Parlement . Il continuera probablement de recevoir un soutien financier discret des éléments les plus réactionnaires de l’élite canadienne. Il est peut-être peu probable qu’il supplante le Parti conservateur, mais les élections de lundi ont incontestablement mis le PPC en mesure d’exercer une réelle influence sur les dirigeants conservateurs, ayant presque certainement coûté aux chef Erin O’Toole des victoires espérées dans tout les coins du pays.
Bien qu’il ait finalement été en deçà de certaines projections, le nouveau parti d’extrême droite du Canada a remporté le soutien de plus de 800 000 électeurs cette semaine. C’est une évolution dangereuse qui devrait tous nous inquiéter.
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