Nous allons parler à Allan Nairn, un journaliste d’enquête, qui est retourné au Guatemala pour suivre le procès. Il avait fait des reportages sentis sur ces massacres tôt au cours des années quatre-vingt. Il y avait confronté M. Pérez Molina à sa participation aux massacres de la région d’Ixil. Il estime que ce verdict est une véritable percée pour les peuples indigènes et même pour l’humanité. Il pense qu’il pourrait y avoir des retombées importantes pour les politiques de Washington : « L’ordre que donne la juge de poursuivre les investigations sur qui que ce soit impliqué dans ces crimes pourrait viser des représentants du gouvernement américain ; ils aidaient directement l’armé guatémaltèque dans son action. Ils fournissaient l’argent, les armes, l’appui politique et les renseignements. Ils pourraient être accusés et poursuivis selon les lois internationales et guatémaltèques ».
Amy Goodman : … La juge Yassmin Barrios a lu le verdict vendredi (10 mai 2013) :
« Dans une décision unanime, la cour déclare que l’accusé, José Efrain Rios Montt, est responsable et auteur du crime de génocide. Il est responsable et l’auteur de crimes contre l’humanité commis contre la vie et l’intégrité de civils résidants de villages et de hameaux à Santa Maria Nebaj, San Juan Cotzal et San Gaspar Chajul.
Nous ordonnons sa détention immédiate afin de nous assurer de l’exécution de nos décisions et compte tenu de la nature des crimes commis et pour lesquels il est condamné. Il doit donc être transféré en prison immédiatement ».
Il a donc été jugé coupable des meurtres de plus de 1,700 personnes après qu’il se soit emparé du pouvoir en 1982. Depuis 2 mois, environ une centaine de personnes ont témoigné, décrivant les massacres, les tortures et les viols commis par les forces guatémaltèques.
En plus du général Rios Montt, son responsable des renseignements, le général José Mauricio Rodriguez Sanchez a aussi été jugé. Il n’a pas été trouvé coupable des mêmes chefs d’accusation.
Le général Rios Montt (…) a été un allié très proche des États-Unis. L’ex président Reagan le qualifiait : « d’homme de grande intégrité ».
(…) La prix Nobel guatémaltèque, Mme Rigoberta Menchu, qui a suivi le procès au tribunal a déclaré que d’autres devraient être poursuivis pour crimes de guerre : « Nous nous servons du droit international. Autrement dit, toute personne a des droits inhérents. Il est donc ridicule de dire que si une personne est jugée, toutes les autres le sont aussi. Nous ne sommes pas une simple masse. Nous ne sommes pas des choses. S’il y a quelqu’un d’autre coupable de tels crimes nous les invitons à venir s’asseoir parmi les accusés ».
Un des anciens généraux contre qui des allégations d’abus ont été prononcées durant ce procès, est l’actuel président du Guatemala, M. Otto Pérez Molina. Au début des années quatre-vingt, il était commandant militaire dans la région des hauts plateaux du nord-ouest, celle d’Ixil où les actes de génocide ont été perpétrés. Il était connu sous le surnom de « Major Tito Arias ». Durant le procès, un ex-officier de l’armée l’a accusé d’avoir participé aux exécutions.
Pour discuter plus à fond de ce procès historique, de la signification du verdict et de la sentence, nous rejoignons le journaliste d’enquête, Allan Nairn à Guatemala Ciudad. Soyez le bienvenu sur Democracy Now ! Alors, que signifie ce verdict et la sentence de 80 ans de prison ?
Allan Nairn : C’est une avancée significative quant au renforcement des lois sur les meurtres ; c’est une avancée toute aussi significative pour les peuples amérindiens, contre le racisme et pour la civilisation. On ne peut se dire civilisés sans appliquer les lois contre ce tabou : le meurtre. Quand ce sont les gens les plus haut placés qui commettent les meurtres, en général ils s’en tirent. Il y a bien eu quelques progrès récemment grâce à des institutions comme la Cour pénale
internationale. D’anciens chefs d’État, des généraux ont été poursuivis pour des atrocités mais ce sont presque toujours ceux qui ont perdu la lutte pour le pouvoir, qui n’en détiennent plus et qui ne sont plus soutenus par les élites (de leur pays). Ce cas est différent. C’est un général représentant l’élite triomphante, l’armée et les oligarques, qui est condamné. Ils sont responsables de probablement un quart de million de meurtres de civils, principalement dans les années quatre-vingt. Ce sont les gens qui dirigent encore le Guatemala. Le général Rios Montt, un d’entre eux, est maintenant condamné parce que cette poursuite a été initiée à partir des populations locales. Je ne connais pas de cas semblables jusqu’ici. Ça pourrait être le début d’une énorme histoire. Je crois qu’on s’en souviendra dans 500 ans.
A.G. : Pouvez-vous nous dire pourquoi le général Rios Montt a été condamné, ce qu’il a fait exactement ?
A.N. : Donc, il a été condamné pour génocide et crimes contre l’humanité. Concrètement, il a mis en place un programme d’extermination des civils des hauts plateaux du nord-ouest du pays. C’est la région où vivent les Mayans. Ils représentent en ce moment, à peu près la moitié de la population totale du Guatemala. Ils ont été les plus résistants devant le régime militaire et l’oligarchie. Ils luttaient pour une réforme agraire. Ils luttaient, et luttent encore pour leurs droits civiques, pour être reconnus comme des citoyens égaux. À ce jour, l’oligarchie leur refuse toujours ce droit. Un mouvement de guérilla a aussi émergé dans cette région.
L’armée a donc utilisé la stratégie des massacres. Elle éradiquait les villages qui refusaient de se soumettre. À l’époque, des soldats m’ont décrit comment ils menaient les interrogatoires. Ils demandaient : « Qui ici donne à manger aux guérilléros ? Qui critique le gouvernement » ? Si les villageois ne répondaient pas ce qu’ils voulaient entendre, ils les étranglaient ou leur coupaient la gorge. S’il s’agissait de femmes enceintes ils leur ouvraient le ventre à la machette. Ensuite, ils obligeaient, (ceux encore vivants) à creuser des charniers. Ils les obligeaient aussi à observer les meurtres de leurs voisins tués à coups de fusils à la tête, dans le visage. Cela se passait village après village.
Il ne s’agissait pas de confrontations armées ; la plupart de ces villageois étaient sans arme. Les soldats disposaient d’armes américaines et israéliennes, pas les villageois. C’était clairement des meurtres. Cette stratégie a été développée avec l’aide américaine. L’attaché militaire américain, le colonel George Maynes, m’a raconté qu’il avait personnellement aidé à élaborer cette tactique d’éradication des villages. Il y avait une unité américaine d’entrainement des militaires guatémaltèques, l’American Green Beret qui, toujours selon l’attaché militaire, leur enseignait comment détruire les villes. Et ils l’ont fait. C’est ce pourquoi le général Rios Montt a été condamné.
A.G. : Pouvez-vous nous décrire l’atmosphère au tribunal quand la juge a prononcé le verdict et la sentence. Comment a réagit le général ?
A.N. : He ! bien, après la lecture de la sentence, à un moment donné, il semblait que le général essayait de s’enfuir du tribunal. Il semblait que ses avocats tentaient de lui faciliter l’accès à la porte. La juge a appelé les agents de sécurité et il n’a pas pu aller plus loin.
Les gens ont commencé à chanter des slogans. Ils scandaient : « Justice ! Justice ! Justice ! » Et ils ont enchainé avec : « Yassmin ! Yassmin ! » C’est le nom de la juge qui venait de lire le verdict. Les gens de la région d’Ixil, dont beaucoup sont des survivantEs de ces atrocités, qui ont risqué leur vie pour se rendre à Ciudad Guatemala et témoigner à ce procès, se sont levé ont croisé leurs bras sur leurs poitrines comme le veut leur coutume pour dire merci. Ils se sont ensuite inclinés d’un seul mouvement devant la cour.
À un moment donné, les supporters du général, sa famille, d’anciens militaires ont commencé à crier. Ils semblaient surtout irrités de la décision de la juge d’imposer au général Rios Montt des réparations financières pour ses crimes. Ce matin même il y a des audiences pour déterminer ces réparations.
Il a fallu environ 45 minutes pour que la police des prisons puisse accéder à la salle du tribunal pour y cueillir le général. Je me trouvais juste à côté de la porte par laquelle ils sont entrés. Je leur ai demandé s’ils étaient ceux qui devaient emmener le général Rios Montt. J’ai pu constater qu’ils étaient très nerveux. Ils étaient armés de fusils. C’est un tel événement, que je n’ai aucun doute qu’ils vont raconter ça à leurs petits enfants.
A.G. : Comment l’ont-ils sorti ? (…)
A.N. : Il y avait là un très grand nombre de journalistes. Ils l’ont encadré et lorsqu’il est monté dans la voiture, on a pu voir que les policiers lui mettaient la main sur la nuque pour qu’il y entre. Et ils se sont dirigés vers la prison.
A.G. : (…) Peu après l’annonce du verdict, l’actuel président du Guatemala, M. Otto Pérez Molina, a été interviewé en espagnol sur CNN, par le journaliste Fernando del Rincon.
F. del Rincon : « En 1982 vous avez été interviewé par Allan Nairn pour un de ses vidéos. Vous vous êtes présenté sous le nom de Major Tito Arias, mais vous avez confirmé qu’il s’agissait bien de vous. Vous y avez déclaré que toutes les familles soutenaient la guérilla. Que vouliez-vous dire par cette déclaration ?
Président Molina : Voilà une autre situation où une phrase est sortie de son contexte ; ça n’avait rien à voir avec ce dont nous parlions. Je ne crois pas que cela soit pertinent, Fernando.
F. del Rincon : Personne ne cite rien hors contexte ; il s’agit d’une vidéo où une déclaration est faite.
Président Molina : Il faut y revenir. Bien sûr que vous sortez cela de son contexte. Je peux vous en parler ici et maintenant. En 1982, ( et vous pouvez venir ici, pour le vérifier), la guérilla nommée l’Armée des pauvres qui était installée dans cette région, avait coopté des familles entières, (hommes, femmes et enfants) sans distinction d’âge, des vieillards aux bébés. On leur donnait des pseudos. Cette guérilla a pris le pouvoir dans les localités. Elle a organisé des « forces locales irrégulières ». C’est le nom qui leur étaient donné, et des « comités locaux clandestins ». Leur plan était de mettre le feu. En fait ce n’était pas qu’un plan ; ils ont effectivement brûlé des municipalités entières afin de….
F. del Rincon : Monsieur le président, je dois vous interrompre.
Président Molina : C’était le contexte dans lequel nous vivions.
Amy Goodman : (…) Allan, vous avez interviewé l’actuel président guatémaltèque, M. Pérez Molina, alors qu’il était connu sous le nom de Tito sur les hauts plateaux il y a plus de 20 ans. C’est à cela qu’il réfère. Expliquez-nous ce que signifie ce genre de questionnement et quel était le rôle du président Molina à l’époque.
A.N. : Maintenant que M. Rios Montt a été reconnu coupable pour ce que l’armée guatémaltèque a fait dans la région des hauts plateaux, la logique veut que l’on s’intéresse à ceux qui ont exécuté son plan. Et à l’époque le commandant régional dans la région d’Ixil était M. Pérez Molina, l’actuel président du pays. La substance du jugement d’aujourd’hui implique, plus que la simple conclusion logique : M. Pérez Molina doit être mis sous enquête. La cour ordonne que le procureur général du pays fasse enquête sur toute personne qui a été impliquée dans la commission des crimes pour lesquels M. Rios Montt vient d’être reconnu coupable et condamné.
Quand j’ai rencontré M. Pérez Molina en 1982, ses troupes commettaient toute une série de massacres. Ils décrivaient de quelle manière ils entraient dans les villages et tuaient les civils, les torturaient. Une de mes discussions avec M. Molina a même eu lieu près des corps de 4 guérilléros que ses troupes avaient capturés. Un des soldats a raconté que les 4 hommes avaient été dirigés vers M. Molina après qu’un d’entre eux eut dégoupillé une grenade. Ce soldat expliquait que ces hommes n’avaient voulu rien dire durant leur interrogatoire. Un autre m’a dit que c’était eux, les militaires, qui les avaient achevés. Donc, il est tout-à-fait logique que M. Molina sois mis sous enquête. Mais, en ce moment il jouit de l’immunité attachée à sa fonction de président. Aussitôt qu’il ne sera plus en poste les procédures pourront être entreprises.
A.G. : À la question du journaliste de CNN quant à savoir s’il était d’accord qu’il y avait eu un génocide au Guatemala, voici ce qu’il répond : « Je vous donne mon opinion personnelle. (…) Je l’ai déjà dit, il n’y a pas eu de génocide au Guatemala. Je le répète aujourd’hui. Nous avons maintenant ce jugement d’une cour de première instance du pays ; ce n’est pas un jugement solide. Nous respectons des conclusions de la justice et nous allons continuer à être respectueux.
Mais je pense que le plus important aujourd’hui, c’est qu’il se passe au Guatemala des choses qui ne sont jamais encore arrivées. Et c’est important. À savoir, qu’un chef de l’État a été reconnu coupable d’un crime de la première ampleur, celui de génocide par une cour de première instance. Cela aurait été proprement impensable il y a tout juste 10 ans. Aujourd’hui, ce que nous voyons c’est que la justice peut agir, que la justice avance ».
Mais cette sentence n’est pas définitive. Nous serons fixés lorsque les procédures d’appel auront eu lieu. J’imagine que les avocats de M. Rios Montt vont en appeler de ce jugement comme il l’a déclaré lui-même aujourd’hui après l’avoir entendu.
A.G. : Lorsque Fernando del Rincon lui demande s’il s’opposera au système de justice de son pays en continuant de soutenir qu’il n’y y a pas eu de génocide il répond : « Vous me posez une question hypothétique. Vous faites une hypothèse. Nous n’avons pas, en ce moment, le jugement de la cour suprême. (….) En tant que président du pays je dois me montrer respectueux (du processus) et c’est aussi ce que je demande à la population : respectons la loi. (…) Ce que j’ai toujours dit, ce que nous voulons c’est que la justice puisse agir mais, nous voulons une justice qui ne soit pas biaisée, qui ne favorise personne ; ce serait la fin de la justice. (…) Je ne donnerai pas mon opinion en ce moment.
A.G. : (…) Allan Nairn qu’elle est votre réaction ?
A.N. : On pourrait croire que M. Molina veut tirer profit de ce procès qui s’est pourtant tenu contre sa volonté. Il y a à peine quelques semaines, il manigancé en coulisse pour le faire avorter. Il a pu se tenir parce qu’il y a eu une réaction importante dans la population et des pressions internationales. Ce matin, le Wall Street Journal publie un article qui rapporte les déclarations de divers résidents de la région sous son commandement qui sont autant de preuves de son implication y compris dans la perpétration d’atrocités.
Un des commentaires de M. Molina, en réponse au verdict, fut qu’il s’agit là d’une décision qui va décourager les investissements étrangers dans le pays. Il reflète l’opinion de la Chambre de commerce qui représente les intérêts des sociétés américaines au Guatemala. C’est un commentaire révélateur : les entreprises étrangères lorsqu’elles envisagent d’investir dans un pays, veulent que le système légal fonctionne pour assurer l’application de certaines lois, comme celles sur les contrats, mais pas d’autres, comme celles sur le droit du travail et celles qui les empêchent d’assassiner leur employéEs qui tentent de se syndicaliser. Durant les années 80, un des dirigeants de l’American Chamber of Commerce m’a expliqué comment, à certains moments, ils donnaient aux forces de l’ordre le nom de travailleurs-euses jugéEs dérangeantEs. Ainsi ils et elles disparaissaient ou mourraient assassinéEs. Fred Sherwood est un de ces leaders qui tenait de genre de discours. Il semble que ce verdict rende les entrepreneurs et l’élite guatémaltèques nerveux : ils pourraient avoir plus de difficulté à assassiner des travailleurs-euses et des organisateurs-trices quand ils estiment devoir le faire.
Cela revêt une pertinence particulière en ce moment parce qu’il y a un énorme conflit en cours dans le secteur des mines. Le gouvernement Molina a recruté des minières américaines et canadiennes pour l’exploitation de l’argent et d’autres métaux. Les communautés locales résistent à ce programme. Des organisateurs communautaires ont été tués. Il y a eu un affrontement au cours duquel un policier a aussi été tué. Le gouvernement a imposé l’état d’urgence dans diverses parties du pays. Il n’y a que quelques jours, la presse locale a diffusé la transcription d’une écoute téléphonique d’un des responsables de la sécurité d’une de ces mines, la San Rafael. Il dit à ses hommes qui observent des manifestantEs aux abords de la mine : « Cette bande de chiens ne comprennent pas que la mine crée des emplois. Il faut éliminer ces espèces d’animaux….Nous ne pouvons pas permettre à ces gens de s’installer dans la résistance. Tuez ces fils de…. ». ! Et les gardes de sécurité ont ouvert le feu peu après. C’est de cette façon que les compagnies étrangères opèrent, pas seulement au Guatemala, mais partout dans le monde. Ce que je veux dire, c’est que c’est ce genre de non respect des lois qui a rendu possible l’écroulement de l’usine au Bengladesh en tuant des centaines de travailleurs-euses. Alors, maintenant, ils ont peur au Guatemala.
(…)
Si seulement, ce verdict contre M. Rios Montt pouvait créer un précédent et que l’application des lois contre le meurtre puisse se mettre en place. Cela rendrait la vie des compagnies un peu plus difficile. Cela pourrait augmenter le coût de la main-d’œuvre. Cela a de sérieuses implications pour elles.
Il y a un autre aspect à cette décision. Nous allons assister aux attaques des oligarques et des militaires contre ce verdict. Ils ont commencé en discréditant la juge Barrios, en la traitant de sale guérillero, de nazie hystérique. Il y a des gens qui la suivent partout en ville avec des caméras vidéo, laissant entendre qu’elle ne se conduit pas en conformité avec sa fonction. Ils vont tenter de faire annuler ce verdict par les autres cours qui ont toujours été à leur service. La bataille est loin d’être gagnée.
A.G. : Allan, il y a trois remarquable femmes qui ont travaillé à ce que ce procès et ce verdict advienne. L’une d’elle est Mme Rigoberta Menchu, prix Nobel de la paix. Elle déposé les plaintes qui ont mené à ce procès. Une autre est la ministre de la justice, la première femme ministre de la justice, Mme Claudia Paz y Paz. Et enfin la juge Barrios. Pouvez-vous nous en dire plus sur elles ?
A.N. : C’est Mme Menchu qui a aidé à démarrer le processus il y a des années, en soutenant des plaintes officielles contre des généraux pour des atrocités qu’ils ont commis dans la région de Mayan. Cela a permis l’ouverture de procédures auprès d’une cour espagnole, la Audiencia Nacional. Les cours espagnoles ont pu accuser formellement et tenter d’obtenir l’extradition vers l’Espagne de généraux et d’anciens responsables gouvernementaux. J’ai témoigné à ce procès. Et un des survivants de ces massacres qui a également témoigné, a mentionné que M. Pérez Molina avait été impliqué dans sa propre torture. C’était un à côté du procès, il y avait tellement d’officiers impliqués….
Un des raisons pour lesquelles la cause contre M. Rios Montt a pu aller de l’avant, c’est que l’actuelle ministre de la justice, Mme Paz y Paz, est une personne d’une très grande intégrité. Elle a permis que les procédures se tiennent, de toute évidence contre la volonté de M. Pérez Molina et de l’oligarchie.
Mme la juge Barrios est celle qui était sur la ligne de front. Elle a dirigé le procès. Elle était celle qui devait livrer le verdict. Tous les soirs, elle quittait le tribunal en portant une veste pare balles. Les juges et les procureurs dans ce procès ont reçu des menaces de mort. Un des procureurs c’est vu mettre un pistolet sur la table et dire : « Je sais où sont vos enfants ». Il faut toute une dose de courage pour continuer les procédures dans un cas comme celui-ci. Et il y a eu suffisamment de Guatémaltèques qui ont voulu se tenir debout pour que le procès ait lieu. Mais ils l’ont fait en prenant des risques considérables.
Je vais vous donner une idée du genre d’environnement dans lequel ils travaillent. Plaza Publico, un de magazines politique les plus en vue au Guatemala, a publié des entrevues de familles de militaires qui protestent contre le procès fait à M. Rios Montt. Ce sont de jeunes gens maintenant extrêmement riches grâce à l’argent que leurs parents ont volé à l’armée. Ce dont ils parlent le plus dans ces entrevues, ce sont des accusations de viols contre des généraux et des colonels. Toute une série de témoins ont rapporté comment les femmes indigènes étaient violées durant les massacres. Un homme, membre de ces familles, déclare : « Oui ces viols – certains de ces viols sont peut-être arrivés mais ça n’était pas une règle. »
Et il défend les militaires en disant qu’il ne pense pas qu’ils auraient pu systématiquement violer des femmes indigènes et en plus il utilise un langage que je ne peux répéter sur les ondes. Essentiellement, son argumentation n’est pas de dire que ces militaires ont plus d’honneur que cela, ou que c’est illégal ou indécent de violer une femme. Son argument tient dans le fait qu’à cause de spécificités personnelles de ces femmes, les militaires ne pouvaient les trouver désirables. Et il le dit avec les mots les plus dégoutants que vous pouvez imaginer. C’est l’oligarchie et ce sont les militaires qui sont maintenant jetés à terre par ce verdict et qui cherchent vengeance.
Je veux ajouter une dernière dimension de nature légale : le mandat que la juge, Mme Barrios a donné à la ministre de la justice, Mme Paz y Paz de poursuivre les enquêtes sur quiconque a été impliqué dans les crimes de M. Rios Montt pourraient toucher des représentants du gouvernement américain. Les attachés militaires américains, les membres de la CIA, étaient sur le terrain et aidaient l’unité militaire de renseignements G2. Il y a aussi ceux qui élaboraient les politiques ici à Washington ; des gens comme Elliott Abrams et d’autres membres de l’administration Reagan. Ils sont parties prenantes des actes des militaires guatémaltèques et leurs complices. Ils fournissaient l’argent, les armes, le soutient politique et le renseignement. Selon la loi guatémaltèque et selon les lois internationales ils pourraient être accusés. La cour et la ministre de la justice auraient le droit de réclamer leur extradition des États-Unis vers le Guatemala. En plus, au cours des investigations, elles pourraient réclamer par voie de subpoena, des documents américains entre autre, d’énormes rapports dont les communications de l’armée guatémaltèque que l’Agence Nationale de Sécurité a interceptés au cours de cette période. Ils sont sans doute encore sous interdiction de consultation et publication mais on trouverait là exactement ce que la CIA, le DIA, la Maison blanche et le Département d’État faisaient avec le général Rios Montt, les commandants sur le terrain, des gens comme le général Benedicto Lucas Garcia (avant Rios Montt), et ensuite M. Pérez Molina. Donc, à la fois M. Pérez Molina et le président des États-Unis sont susceptibles d’être l’objet d’enquêtes judiciaires pour crimes de génocide et crimes contre l’humanité au Guatemala.
A.G. : (…) Nous allons terminer avec la déclaration que Mme Rigoberta Menchu a faite au tout début de ce procès : « C’est un grand jour pour le Guatemala. C’est un grand jour pour ceux et celles d’entre nous qui nous sommes défenduEs au cours de circonstances difficiles très pénibles alors que nous étions isoléEs, même en exil. Il semble que cette période de douleurs soit en train de se terminer parce que nous espérons qu’à partir de maintenant, nous serons acceptéEs dans la société guatémaltèque dans notre société si polarisée. Cette société qui porte déjà le poids de génocides antérieurs dans son histoire ».