Édition du 19 novembre 2024

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Québec

L'angle mort du programme électoral de QS

« François Legault va faire compagne en pointant du doigt. Nous on va faire campagne en ouvrant les bras », disait Gabriel Nadeau-Dubois au sortir du Conseil national de QS en commentant les résultats du dernier conseil de la CAQ ; un conseil qui s’était ouvert sous l’égide de la fierté, et clos sur l’inquiétante volonté de faire du contrôle de l’immigration un thème électoral central.

Quoi de mieux en effet que cette formule frappante du co-porte-parole de Québec solidaire pour rappeler quelles sont les valeurs de la gauche ainsi que dénoncer la stratégie démagogique de la CAQ : elle qui joue la carte de la fierté retrouvée du Québec, mais en pointant —mine de rien— comme bouc-émissaires les immigrants. La recette, il faut le dire, n’a rien d’original, et on la retrouve actuellement partout en Occident, de façon il est vrai bien plus marquée qu’au Québec, en France par exemple avec Marine Le Pen ou Éric Zemmour et sa hantise de "grand remplacement", ou encore aux USA avec l’ex président Trump.

Il reste que la question essentielle réside moins dans la compréhension des tenants de cette politique identitaire, que dans la façon dont on devrait agir pour s’y opposer. Et là, on ne peut pas dire que la gauche s’y soit employée avec succès, ne serait-ce qu’au regard des résultats électoraux enregistrés pour le compte de la droite ou l’extrême droite qui ne cessent de gagner du terrain partout, y compris au Québec (songez à la croissance phénoménale et si récente du PCQ) !

Aussi doit-on vraiment se demander si c’est simplement, comme le fait Gabriel Nadeau Dubois, en en appelant à de bons sentiments, comme l’inclusivité ou le respect d’autrui, qu’on pourra regagner du terrain quant à la question de l’immigration. Imaginant par dessus le marché, comme vient de l’expliciter Gabriel Nadeau Dubois, que ce qui compte pour les gens, se trouve d’abord dans des solutions apportées aux problèmes économiques les plus urgents : le logement, l’inflation, les bas salaires, la hausse du coût de la vie, etc.

C’est là l’erreur !

Et sans doute est-ce là l’erreur ! En effet si ces problèmes d’ordre économiques sont évidemment centraux, leur prise en compte ne permettra pas, à elle seule, de faire échec à la CAQ, et encore moins de permettre à QS de tenir —comme elle souhaiterait après le 3 octobre prochain— le rôle de première opposition.

Car la droite identitaire joue habilement sur une série de malaises sociétaux, de tensions et de ressentiments collectifs qui ne cessent d’être ravivés par les crises multidimensionnelles (sanitaire, écologiques, économiques, sociales, politiques et culturelles) que nous expérimentons aujourd’hui et qui finissent par alimenter une sourde angoisse collective. Une angoisse qu’on ne devrait pas ignorer ou juger de haut en faisant la leçon, au nom d’une quelconque morale universaliste, mais qu’on devrait plutôt", comme le dit l’historien médiéviste français Patrick Boucheron, "aérer", en faisant quelque chose ensemble".

Car c’est cette sourde angoisse qui —si on ne lui propose pas d’autres échappatoires— va alimenter la peur de l’autre ou encore stimuler la mécanique du bouc-émissaire ; celle-là même qui permet de retrouver dans la puissance d’un groupe d’appartenance se formant contre un ennemi arbitrairement désigné, l’assurance qui nous manque tant pour mieux affirmer notre propre existence collective.

Faire l’indépendance ensemble

C’est là le décisif quand on pense aux rapports possibles qu’immigrants et membres de la société d’accueil devraient entretenir les uns avec les autres Et c’est ce que ne voit pas assez QS : le projet d’indépendance, la marche vers l’indépendance que QS souhaite par ailleurs relancer (notamment à travers la constituante) pourrait justement être cette occasion toute trouvée de faire quelque chose ensemble —Québécois comme nouveaux arrivants— quelque chose qui permettrait d’aérer nos peurs respectives et de nous retrouver politiquement sur un pied d’égalité dans la co-construction affirmative du pays du Québec. En n’oubliant rien, ni de la propre histoire du peuple du Québec, ni de celle des nouveaux arrivants.

À condition bien sûr que QS ose remettre au premier plan son projet d’indépendance et en fasse un thème électoral central. À condition aussi que QS n’hésite pas à damner le pion à la droite conservatrice en n’ayant pas peur de batailler avec elle sur le front de l’identité, et de rappeler la filiation historique dont il ne peut que se revendiquer, celle des patriotes de 1837-1838 et des indépendantistes des années 1960, et qu’il peut offrir sans honte en partage à tous les nouveaux arrivants.

N’est-ce pas ainsi et seulement ainsi que QS pourra faire échec à la montée préoccupante du nationalisme identitaire dont la CAQ de François Legault est en train de faire si cyniquement son miel ?

Pierre Mouterde
Sociologue, essayiste
30 mai 2022

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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