La mer Méditerranée, cette grand bleue si bien nommée, cette eau si vaste entre les mers, entre ses deux rives, nord européenne, sud africaine, combien elle attire ses Européens du nord, de l’est, du centre qui courent vers Elle, cherchant le soleil, des mondes différents hospitaliers jusqu’aux rivages de l’Afrique. Ils ont les moyens de rendre la Méditerranée complice.
Ses rives du sud et de l’est parlent un autre langage, d’espoir fou et de mort pour les habitants de l’Afrique et des rives du Moyen-Orient. Pour la plupart d’entre eux, il leur faut fuir, à tout prix, la misère, le chômage, l’impossibilité de vivre chez eux, et la guerre, la guerre. Ils sont attirés par les lumières d’un monde qu’ils imaginent pouvoir répondre à leurs demandes si intenses.
Cette mer, comment ne pourrait-elle pas être leur alliée, leur amie. Ils se sont préparés à la traverser. Ils se sont renseignés. Il y a eu, il y a encore des leurs, là-bas en Europe. Ils savent qu’il y a des passeurs, oui, on raconte bien des horreurs à leurs sujets, mais pas toujours, et comment faire. Ils économisent autant qu’ils peuvent, ils empruntent auprès de ceux qui espèrent recevoir en retour plus qu’ils n’ont donné, surtout la famille.
Les routes migratoires sont diverses, multiples, changeantes.
La route de la méditerranée orientale, empruntée de l’Afghanistan, du Pakistan, de Syrie, de Palestine, d’Irak vers la Grèce, l’Albanie, les Pouilles et la Calabre.
La route méditerranée centrale, des migrants de la Somalie, de l’Erythrée, du Tchad, de la Lybie, de la Tunisie, du Nigéria, vers Malte, Lampedusa, l’Italie du sud.
La route méditerranée occidentale, des migrants du Tchad, du Niger, du Mali, de l’Algérie vers les enclaves espagnoles de Ceuta et de Melilla.
Nous pouvons dire et migrants et demandeurs d’Asile.
Les déplacements vers les côtes, sont longs très longs durant des mois et parfois des années de traversée de déserts et de territoires hostiles. Les pertes sont lourdes avant l’arrivée sur les rivages, avec des passeurs qui veulent tirer le maximum d’argent plus que la garantie pour ceux qu’ils transportent ou conduisent.
Encore faut-il une fois arrivés, le moyen de la traverser cette mer enfin cernée. On la craint mais avec tellement d’espoir d’atteindre l’autre rive, celle de l’Europe.
C’est bien cette Méditerranée qui avait déjà, il y a bien longtemps, empêché Ulysse d’atteindre Ithaque, le ballotant dans les mers plus de dix ans, voyages perturbés par Poséidon, le dieu de la mer des Grecs.
Aujourd’hui, la mer n’a pas besoin de dieu pour engloutir celles et ceux qui s’aventurent sur elle dans des embarcations trop fragiles, trop surchargées.
Les Européens, peuples et gouvernements, savent tout cela, mais ils ne s’émeuvent, ou feignent de le faire, que lorsqu’une catastrophe humanitaire leur révèle une fois de plus les drames bruts.
Ainsi le naufrage d’une embarcation au large de Lampedusa, le 3 novembre 2013, avec 400 morts et disparus, puis quelques jours plus tard, le 11 novembre, le même scénario près de Malte avec 30 victimes.
Les récits de ceux qui se portent à leur secours sont toujours terribles comme ceux des survivants perdant souvent une ou un ou plusieurs des leurs.
L’Union Européenne accroit la surveillance en Méditerranée, elle s’est dotée d’un gendarme spécialisé dans cette tâche, FRONTEX, chargé de surveiller les frontières européennes. Si ces membres peuvent parfois servir de secouristes, et tendre la main aux migrants en très grand danger, ils sont surtout une police prête à multiplier les barrières pour empêcher le passage, détourner les embarcations qui cherchent alors à les contourner.
Mais les migrants et demandeurs d’asile passent, 72 000 clandestinement en 2012. Et comme il faut toujours, et encore plus, les en empêcher, les frontières doivent se multiplier. Les gouvernements européens érigent des murs sur terre, de plus en plus nombreux, hors de la mer. Prennent-ils exemple sur des murs plus anciens, comme celui entre la Palestine et Israël démarré en 2002 en Cisjordanie construit par le gouvernement israélien pour enfermer les Palestiniens ou le mur construit en 1992 entre le Mexique et les Etats Unis ?
Aujourd’hui, en Europe, des murs s’érigent, gendarmes protégeant les frontières des pays européens, se repliant en eux mêmes.
Entre la Bulgarie et la Turquie, murs de 3 m sur 30 km ;
Entre la Grèce et la Turquie depuis 1 an sur 12, 5 km un double mur de 3 m doublé entre eux de rouleaux de fil de fer barbelés ;
En projet le mur de la honte entre la Syrie et la Turquie, rempart de béton d’1,50 m sur 7 km.
Parfois des hommes, des femmes réagissent, dénoncent ces murs comme Mme Ayse Gokkan, maire d’un petit village kurde de l’est de la Turquie, en grève de la faim, pour s’y opposer dans cette région de mines et de barbelés.
Quant à celles et ceux qui arrivent à franchir tous ces obstacles, c’est un long séjour qui les attend, dans des centres de rétention surpeuplés, dépourvus de tout.
Les premiers murs, construits en 1998, séparent sur terre ferme l’Afrique de l’Europe. En 2005, ils furent rehaussés de 3 m à 6 m ; aujourd’hui, ils s’élèvent à 7 et 8 m. Ils entourent les deux enclaves espagnoles de Ceuta et Melilla au Maroc, vestiges d’un temps colonial, au statut encore particulier, car hors de l’espace de Shengen.
L’enclave de Melilla, la « valla », rideau de fer et de barbelés et la « concertina »
Du 4 au 8 novembre 2013, nous étions à deux, à Melilla, venus voir et comprendre de près, cette frontière forteresse entre l’Afrique, cette ancienne terre de la colonisation, et l’Europe.
Melilla, cité autonome, est une ville de 80 000habitants, peuplée de 50 % d’espagnols et de 50 % d’habitants de double nationalité, espagnole et marocaine.
Dans cette enclave espagnole, toujours réclamée par le Maroc, comme sa voisine Ceuta, la vie pourrait ressembler à celle des villes de l’autre rive, Malaga, Motril, ou Alméria, juste un peu moins riche et plus marocaine.
Melilla n’est pas un lieu de tourisme, et très vite on se demande quelles sont les activités des citoyens. Outre le petit commerce, les fonctionnaires des écoles, hôpitaux, les employés et ouvriers du port, les pêcheurs, on se rend compte que le gros employeur est celui des forces de sécurité, de police, des services de douanes.
Dans la ville, de très jeunes marocains, enfants et adolescents, se remarquent. Ils fuient la police militaire, vivent près du port, dans des grottes, lorsque d’une manière ou d’une autre, ils ont pu franchir une de ces frontières.
Parfois, ils ont séjourné un temps dans des centres de protection pour mineurs, mais ils n’y trouvent aucune solution et n’attendent que de partir en Espagne, cherchant à se cacher dans les voitures ou sous un camion en transit. Refoulés, souvent blessés, d’autant plus prêts à recommencer que certains ont réussi à passer. Une organisation de solidarité « Prodein »leur vient en aide sans véritables moyens pour mener à bien sa tâche.
Melilla est une ville cinglée à l’est comme à l’ouest jusqu’à la mer de la valla, ceinture d’un triple grillage de 7 à 8 m, aux mailles serrées, doublé de rouleaux de fil barbelés sur ses faces ou au sommet, sur 12 km de long.
Une fois saisie la géographie de la ville, il est facile de s’en approcher. Et même d’apprendre qu’une route, libre de circulation, permet de suivre cette frontière de fer. Trois passages ouvrent vers le Maroc, donnent une autre vision de la ville.
De part et d’autres, les polices des frontières espagnoles et marocaines, contrôlent, fouilles, enregistrent.
Passer la frontière, possible en un seul point pour les non résidents découvre que le Maroc des villages et hameaux jouxte Melilla. Seule, la ville de Nador est un peu plus loin. La foule est là avec celles et ceux qui passent et repassent, plusieurs milliers par jours. Les échanges de toutes sortes sont nombreux.
Chaque jour, des femmes marocaines entrent surchargées d’énormes ballots aussi pleins à l’aller qu’au retour. Seuls moyens pour ces femmes de survivre avec l’échange de marchandises.
Sur la terre, face à Melilla, et jusqu’à Nador, à près de 900 m, le Gurugu, montagne couverte de forêts d’origine volcanique.
C’est là que vivent, survivre serait plus juste, les Africains, Subsahariens de cette route de l’ouest de l’Afrique vers l’Europe. C’est l’ultime étape.
Ils s’y cachent, au mieux dans des cabanes souvent détruites par les forces de police marocaines. Ils y sont isolés, certains pour quelques mois, parfois des années.
De là, ils préparent leur montée vers la valla, le mur, à chaque échec, ils retournent dans le Gurugu, parfois grièvement blessés.
Pour se nourrir, ils font chaque nuit les poubelles des villages, des hameaux.
Ils sont prêts à tout, le froid, la faim, et attendre le temps qu’il faudra le moment de passer.
Le 6 novembre 2013, à 4 h du matin, ils ont tenté à 200 de franchir le mur. Une centaine y ont réussi, l’un est mort du côté marocain, 4 ont été blessés, 40 arrêtés.
Une fois, les 3 grillages franchis, de 7 m et plus, ils sont « parqués » dans le centre de rétention, centre d’accueil temporaire, le CTEI qui a la particularité d’être un centre ouvert, les migrants et demandeurs d’asile peuvent en sortir
Dès qu’ils touchent le territoire espagnol, ils sont conduits au centre où ils trouvent lit et nourriture. Pour eux, comme ils nous l’ont dit, malgré le surpeuplement du centre, prévu pour 450 personnes mais avec en ce moment près de 1000 occupants, c’est un mieux depuis leurs galères.
Dès le lendemain, ils doivent se faire enregistrer à la direction centrale de la police. Obtenir ce premier papier avec leur identité et les accueils qu’ils sont susceptibles de recevoir en Europe est très important pour eux, Espagne, Allemagne, France moins citée, pays du nord.
Un avocat était parmi eux pour les aider à remplir les papiers. Il nous a assuré que chaque jour, à tour de rôle, il y aura un avocat.
30 % des migrants du CTEI refusent de se faire enregistrer ; ils sont alors à la merci d’expulsions vers le Maroc.
Des ONG espagnoles qui militent contre le racisme et pour les droits de l’homme dénoncent comme illégales ces expulsions, à l’encontre de la loi en Espagne sur les étrangers. Elles sont menées par la police espagnole de Melilla, la Guardia Civil au statut militaire, avec la complicité du gouvernement espagnol et de l’Union Européenne.
C’est à côté du centre de police que nous avons rencontré les premiers migrants arrivés la veille. Venus de Guinée et du Mali, ils parlaient français, ce qui facilita le dialogue. Juste quelques mots échangés car la police était trop présente autour de nous ; ils nous ont alors donné rendez-vous près de CTEI, à une heure précise, à une cinquantaine de mètres, dans un large fossé sous un eucalyptus. Ils s’y retrouvent, montent un petit foyer avec quelques pierres, cherchent un peu de bois, et font en petite quantité du thé dans un fond de boite en fer ; ils le partagent, discutent entre eux, certains avaient envie de nous parler, de témoigner.
Kafou, parti de Guinée, a mis 2 ans pour atteindre le Maroc, après avoir traversé le Mali et la Mauritanie. Et toujours se cacher, travailler pour survivre et poursuivre le rêve.
Lui, s’est blessé en sautant le dernier grillage, ses mains ont lâché, il a fini sur du béton avec foulure de la cheville ; il a eu de la chance, un espagnol l’a pris en charge et l’a conduit à l’hôpital. Avec ses béquilles, il a rejoint difficilement le groupe. Il a 19 ans, il espère pouvoir rejoindre son frère de 32 ans qui vit en Allemagne.
Djamel, il est malien ; parti en mai 2011, il a d’abord vécu et travaillé dans l’Adrar des Ifoghas en Algérie comme manœuvre, maçon. Pour vivre et même envoyer un peu d’argent au pays. Il a eu du mal à passer la frontière entre l’Algérie et le Maroc. Il précise qu’il a pu passer grâce à un taxi/mafia pour l’équivalent de 300 E. Puis, il a travaillé quelques mois à Rabat avant de rejoindre le Gurugu où il est resté deux mois.
Là ce fut très dur, la faim, le froid ; rien à manger sauf ce qui peut être trouvé dans les poubelles, et le risque de tomber sur la police marocaine.
Comme le froid va devenir encore plus insupportable très vite, dès ce mois de novembre, il fallait franchir le mur rapidement aux endroits les plus propices.
Il accepte de nous raconter comment se prépare l’assaut.
Tous les migrants du Gurugu se réunissent, discutent, se préparent, choisissent le lieu du passage, le jour. Il leur faut l’unanimité ou tout est remis en cause. Le jour venu, tous ceux qui ont choisi de tenter le passage, se rapprochent le plus possible de Melilla. Puis en rampant, ils sont 200, ils s’approchent encore jusqu’au moment où tous ensemble ils foncent vers les grillages. Il leur faut moins de 5 mn pour franchir les 3 grillages, se jouer de tout ce qui peut les retarder, les renvoyer d’où ils viennent avec les panneaux mobiles. Ils sont jeunes, ils se sont entrainés, ils ont une volonté absolue de passer en Europe, et la première porte est là, à leur portée. Ils sont prêts à tout.
Les grillages sont gardés avec les moyens les plus modernes, radars, et caméras, capteurs du moindre mouvement, de la moindre chaleur humaine. En 2 à 3 mn, ils peuvent être sur place. De l’autre côté, la police marocaine est en embuscade, prête à porter aide à ses collègues espagnols. C’est dire combien la tâche des migrants est difficile.
Les autorités espagnoles veulent arrêter les arrivées de Subsahariens. Non seulement, ils vont doubler les grillages, de grilles plus fines pour que les doigts ne puissent s’y accrocher, mais ils décident de rétablir ce qu’ils avaient inventé en 2005, la « concertina ».
Ils vont renforcer les fils de fer barbelés de couteaux et de larges lames de rasoirs, rouleaux posés en différents endroits et au sommet des murs.
Le résultat est connu avec de nombreuses blessures aux membres et partout sur les corps qui arrivent ensanglantés.
La vue de ces blessés ensanglantés fit réagir la population de Melilla, et le pouvoir espagnol. La concertina fut ôtée en 2007. Mais aujourd’hui, elle est remise en place, malgré les réactions des ONG et d’une partie du personnel politique, de gauche, à Melilla et en Espagne, tous arguant des droits de l’homme à respecter.
Aujourd’hui, rien ne peut arrêter les Subsahariens.
Mercredi 20 novembre, un millier de Migrants, se sont approchés de Melilla. Détectés par les systèmes de repérage, ils ont été bloqués par les forces de police marocaine, à 3 h du matin ; ils sont retournés dans le Gurugu sans tenter le passage à Melilla, ce n’est que partie remise.
Mais disent les braves gens, et les moins braves, comment laisser passer tous ceux qui le désirent ?
Ne jamais oublier que les Migrants, préfèreraient vivre chez eux, avoir une vie confortable !!
Le droit de se déplacer à la surface de la terre ne peut leur être refusé. C’est un droit fondamental dont usent les habitants des pays industrialisés, et dans ce cas précis les Européens.
Si nous restons au Maroc, des retraités, apparemment classe moyenne, peuvent s’y installer quelques mois, régulièrement.
Des visiteurs, touristes et hommes d’affaires se retrouvent partout en Afrique comme le dispositif militaire français avec ses bases fixes, de Djibouti, du Sénégal, du Gabon. Sans compter les opérations extérieures, l’Opex, en Côte d’ivoire, au Tchad, et bien sûr la guerre au Mali, et bientôt en Centre Afrique.
Les groupes économiques forent, exploitent les sources d’énergie, les matières premières y compris agricoles, mercantilisent les produits bruts, ou transformés, font la loi des prix.
Les Migrants et Demandeurs d’asile subissent aussi les dictatures africaines corrompues, les guerres civiles, les guerres entre Ètats qui causent le malheur de centaines de milliers de gens, chassés de leurs terres, de chez eux, rejetés dans la faim, l’extrême misère, le viol des femmes, des enfants.
Le moindre que nous puissions faire, c’est ouvrir les yeux, refuser l’inacceptable, dénoncer sans relâche l’Europe Forteresse.
* http://blogs.mediapart.fr/blog/michele-villanueva/271113/l-europe-forteresse