Le leader de la FI présente sa ligne comme une voie médiane. D’un côté, il se démarque des extrêmes gauches françaises (trotskistes, anarchistes, autonomes), des associations de défense des migrants ou des universitaires qui prônent la liberté d’installation et de circulation de par le monde. De l’autre, il condamne la logique du « tout-sécuritaire » qui aurait conduit les gouvernements successifs à manquer au « devoir d’humanité » en menant des politiques migratoires indignes et inefficaces. Sa position, qu’il juge équilibrée et réaliste, fait songer à la logique du « en même temps » chère au président de la République. Jean-Luc Mélenchon juxtapose ainsi plusieurs lignes d’action : renforcer le droit d’asile et accorder le pavillon français à l’Aquarius au nom du « devoir inconditionnel de rescousse » ; mettre en œuvre une coopération euro-méditerranéenne pour épargner aux Africains les affres de l’exode et les enraciner chez eux pour qu’ils puissent « vivre et travailler au pays », mais aussi réaffirmer le respect des frontières nationales et la souveraineté des États en matière de gestion des flux migratoires, en excluant toute reconnaissance d’un droit universel à la mobilité.
On pouvait légitimement s’attendre à ce que le chef de file des Insoumis aille au bout de son raisonnement. Or il ne dit mot de la mise en œuvre. Appliquerait-il les mesures administratives d’éloignement des étrangers en situation irrégulière ? Il ne prononce jamais les mots « expulsion » ou « reconduite à la frontière », comme si cette problématique, pourtant incontournable lorsqu’il s’agit des politiques migratoires, était taboue au sein d’un mouvement attaché à défendre une politique « humaniste » et « progressiste » opposée à celle de la majorité présidentielle.
Or, c’est la prise de position sur les expulsions qui trace une ligne de démarcation nette au sein du champ politique. De deux choses l’une. Soit on délivre un titre de séjour à tout migrant ayant mis le pied sur le territoire national indépendamment de son point de départ (Union européenne, « pays d’origine sûr »...), au nom du droit universel à la mobilité, ce qui interdit de procéder à la moindre expulsion et conduit à fermer les centres et locaux de rétention recensés en Métropole et en Outre-mer. Soit on postule que l’État doit souverainement décider de l’admission au séjour dans le cadre de la loi, quitte à recourir à la force publique pour contraindre les illégaux à quitter le territoire, comme cela fut encore le cas en 2017 avec 26 000 expulsions revendiquées par le Ministère de l’Intérieur.
C’est manifestement la seconde voie qui semble tenter la France insoumise. Mais Jean-Luc Mélenchon se garde bien, pour l’instant, de toute déclaration publique à ce sujet, soucieux qu’il est d’esquiver les critiques venant des organisations politiques situées sur sa gauche et de ne pas attiser les tensions au sein de son mouvement, divisé sur la question, à l’image de son électorat. Mais pourra-t-il tenir encore longtemps cette position équivoque, alors que les élections européennes sont programmées dans 8 mois, et que la problématique de la « rencontre migratoire » occupera une place importante, sinon centrale, dans les débats ? Ainsi, arrivera-t-il le moment où il devra répondre publiquement à cette question simple : « Monsieur Mélenchon, vous qui aspirez à exercer les plus hautes fonctions, dès 2022, à la faveur de la prochaine élection pour la Présidence de la République, pouvez-vous nous dire si, oui ou non, votre gouvernement procédera à l’expulsion d’étrangers en situation irrégulière à l’instar de l’actuelle majorité présidentielle ? »
Hugo Melchior
Citations
Jean-Luc Mélenchon, député des Bouches-du-Rhône et président de la France insoumise, était l’invité de Francis Letellier dans « Dimanche en politique », le 30 septembre. Il est revenu sur diverses questions d’actualité, dont l’immigration.
Résumé de l’AFP :
L’immigration ne doit pas « être la question centrale des élections »
Interrogé au sujet de L’Aquarius, il évoque un « devoir inconditionnel de rescousse ». En ce qui concerne la question migratoire, un manifeste pour l’accueil des migrants a été lancé par Mediapart, Politis et Regards, signé notamment par Christiane Taubira, Ian Brossat, Benoît Hamon ou encore Yannick Jadot. Jean-Luc Mélenchon refuse d’y apporter sa signature, arguant qu’il ne veut pas « faire de l’immigration la question centrale des élections qui arrivent » et que ce serait « servir la soupe à [Emmanuel] Macron et à [Marine] Le Pen ».
« Je ne suis pas d’accord pour le droit à la libre installation », lâche-t-il, assurant qu’une fois à la tête du pays, « il n’y aura plus de travailleurs détachés en France », dénonçant une « fraude sociale ». Il se prononce pour « un statut unique pour tous les travailleurs en France » afin de lutter contre ceux qui « exploitent » les immigrés sans papiers.
• http://www.mediadixitworld.com/archives/2018/09/30/36754726.html
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