Il n’y a aucun mal à être en faveur de l’indépendance du Québec ; d’ailleurs Québec solidaire lie l’objectif souverainiste à celui d’établir une vraie social-démocratie au Québec une fois que ce dernier aura récupéré tous les pouvoirs d’Ottawa si le « OUI » l’emporte lors d’un référendum.
C’est ici que le bât blesse. La chose ne va pas autant de soi que le prétendent ses partisans et partisanes. Il faut donc jeter un regard aussi impartial que possible sur les conditions d’accession du Québec à son éventuelle indépendance. Les souverainistes sont complètement muets sur cette question cruciale.
Il faut tout d’abord se rendre compte qu’Ottawa et le Canada anglais ont des intérêts énormes à préserver au Québec. L’essentiel du fleuve Saint-Laurent (notamment son estuaire et la Voie maritime en face de Montréal) sont situés dans la Belle Province. Deux villes majeures s’y trouvent : Montréal l’ancienne métropole canadienne et Québec, autre port important et agglomération urbaine non négligeable. De plus, le Québec relie l’Ontario aux Provinces maritimes.
Ces considérations signifient que même si le « OUI » à la souveraineté l’emportait lors d’un référendum, la partie ne serait pas pour autant gagnée. Il est illusoire de croire que l’équipe gouvernementale en poste à Ottawa accepterait volontiers ce verdict, surtout si la majorité obtenue se révélait modeste, et qu’au bout de quelques mois de négociations tranquilles entre Québec et Ottawa, les Québécois et Québécoises pourraient entamer leur nouvelle vie de nation indépendante.
Vu l’importance des intérêts en jeu, il faudrait au contraire s’attendre à de longues tractations laborieuses et aigres entre les deux gouvernements, le fédéral et celui d’un Québec indépendant en devenir.
Ottawa ne lâcherait pas le morceau facilement. Le scénario le plus plausible est que le cabinet fédéral (quelle que soit sa couleur partisane) s’arrangerait pour faire traîner les choses en longueur tout en se livrant à une intense propagande au Québec pour convaincre l’électorat de congédier l’équipe souverainiste en place au prochain scrutin provincial au profit d’un parti fédéraliste. Il se livrerait à un mélange de promesses de réforme du fédéralisme mais assorties de menaces, notamment sur la question de l’intégrité territoriale du Québec dans le cas où électeurs et électrices reportaient au pouvoir le parti indépendantiste. Bref,on assisterait à pas mal d’intimidation de sa part vis-à-vis de la population québécoise.
On peut donc prévoir une longue et difficile période de transition entre une adhésion majoritaire des Québécois et Québécoises à l’indépendance et l’obtention effective de celle-ci.
Si l’électorat québécois maintenait malgré tout son choix et réélisait Québec solidaire ou le Parti québécois, Ottawa devrait finalement céder mais non sans avoir arraché de très solides garanties que jamais un gouvernement de la République du Québec ne bloquerait la Voie maritime du Saint-Laurent ; se poserait aussi dans la foulée toute la question des liens ferroviaires à maintenir entre l’Ontario et le Nouveau-Brunswick.
Quant à l’intégrité territoriale du Québec... Ottawa instrumentaliserait sans doute les minorités, surtout les Amérindiens (fédéralistes pour la plupart, comme on sait) pour la contester et maintenir une certaine emprise sur une partie du territoire québécois « afin de protéger les droits fondamentaux des premiers habitants du pays », soutiendrait-il. Les réserves indiennes risqueraient de devenir autant de « trous de gruyère » fédéralistes au sein du territoire québécois. La cause amérindienne est en or et y apporter des nuances ou des bémols serait présenté par le cabinet fédéral, l’opinion canadienne-anglaise et les multiculturalistes comme une offense à saveur raciste contre les Amérindiens et Amérindiennes.
On peut aussi affirmer que durant la cahoteuse période de transition, même un conseil des ministres solidaire devrait, qu’il le veuille ou non imposer de douloureuses compressions budgétaires pour maintenir les équilibres financiers élémentaires. Une politique socialiste ou même authentiquement social-démocrate ne serait pas pour bientôt. Gabriel Nadeau-Dubois s’apercevrait que le gouvernement fédéral est un adversaire autrement plus puissant et coriace que l’ex-gouvernement provincial de Jean Charest lors de la grande contestation étudiante du printemps 2012...
La répartition sociale des sacrifices requis pour la réalisation de l’indépendance serait aussi inévitablement très inégale, en dépit de toute la bonne volonté dont ferait sans doute preuve un gouvernement dont Gabriel Nadeau-Dubois serait premier ministre et Manon Massé ministre des Affaires sociales. Le Parti québécois, lui, s’est rallié depuis longtemps au rétrolibéralisme et il n’hésiterait pas à sabrer les programmes sociaux. Si le passé est garant de l’avenir...
Les compressions budgétaires affecteraient avant tout les catégories de citoyens et de citoyennes les plus vulnérables : prestataires de l’aide sociale, travailleurs et travailleuses à statut précaire ou ceux et celles à modeste revenu et une partie de la classe moyenne. Patrons, financiers, entrepreneurs, hauts fonctionnaires et retraités avec une grosse pension s’en sortiraient nettement mieux.
À la fin de ce processus compliqué et pénible, le Québec déboucherait enfin sur son indépendance. Une politique sociale étendue de gauche deviendrait alors possible. Mais il importerait d’abord de réparer les pots cassés lors de la période de transition, ce qui serait long.
Le jeu en vaut-il la chandelle ? On peut se le demander, d’autant plus que ni Québec solidaire ni le Parti québécois n’abordent jamais ce problème dans leurs interventions publiques.
Il serait donc intéressant que Gabriel Nadeau-Dubois, Manon Massé et le prochain chef du Parti québécois éclairent la lanterne des Québécois et Québécoises à ce sujet. Ils ont droit à des informations franches et honnêtes là-dessus.
Faire la lumière, quoi.
Jean-François Delisle
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