14 mai 2022 | tiré de pivot.quebec
À 7,2 milliards $, les coûts pour Hydro-Québec seraient beaucoup plus élevés que les400 millions $ originellement estimés. Le nouveau calcul prend en compte que l’accord s’étalera en fait jusqu’en 2050 plutôt qu’en 2030. Il ajoute aussi au bilan les manques à gagner pour Hydro-Québec, puisque le recours à la biénergie retarde le passage au chauffage pleinement électrique, ce qui fait perdre des revenus à la société d’État.
L’entente sur la biénergie vise à installer des équipements de chauffage électrique chez les clients d’Énergir pour leur permettre de consommer moins de gaz naturel, tout en continuant de miser sur ce combustible dans les périodes de pointe, lorsque la demande est trop forte auprès d’Hydro-Québec. La société d’État compenserait Énergir pour ses pertes de revenus dues à l’électrification.
Ce sont les clients d’Hydro-Québec qui payeront en partie la facture de cette entente, avec des augmentations de tarifs. Une situation jugée inacceptable par Jean-Pierre Finet, analyste au Regroupement des organismes environnementaux en énergie. « Le seul accomplissement de cette entente est de rentabiliser les actifs d’Énergir et sauvegarder l’investissement que la Caisse de dépôt a fait dans l’entreprise », peste-t-il.
Selon Bertrand Schepper, analyste de politiques publiques en énergie et en environnement à l’IRIS, il aurait été préférable de donner une compensation unique à Énergir. L’entente prévoit plutôt qu’Hydro-Québec dédommage Énergir durant l’ensemble de la durée de vie des nouveaux équipements de chauffage à biénergie.
Pour Jean-Pierre Finet, le cœur du problème, c’est aussi qu’il n’y a pas de volonté de sortir du gaz et de réellement décarboner nos besoins énergétiques.
« Ce qui nous choque dans cette entente c’est qu’elle cherche à pérenniser le gaz le plus possible », explique-t-il.
En effet, la biénergie assure une place au gaz naturel dans la consommation énergétique québécoise pour les prochaines années, même si celle-ci sera sensiblement réduite.
« Compenser les pointes [de consommation] avec du gaz naturel n’est pas un mauvais système en soi, c’est même une très bonne idée, sauf que le problème réside dans la façon dont le programme est géré », nuance Bertrand Schepper.
Des solutions alternatives
Selon Jean-Pierre Finet, Hydro-Québec a déjà une solution alternative 100 % décarbonée qui pourrait être utilisée pour gérer les périodes de pointe. Ce sont les « accumulateurs de chaleur » déjà déployés dans le cadre d’un autre programme. Ces appareils permettent de déplacer la période de consommation d’électricité. Ils fonctionnent en chauffant une série de briques aux heures où la consommation est plus faible pour ensuite relâcher cette chaleur durant les périodes de pointe, sans avoir besoin de consommer à nouveau de l’électricité.
Des solutions de ce type seraient tout à fait envisageables, selon Bertrand Schepper, surtout qu’elles se sont sensiblement améliorées dans les dernières années. « La biénergie a un rôle à jouer, mais elle ne devrait pas être la priorité dans les solutions, ce devrait être celle qui est utilisée quand les autres possibilités ne sont pas intéressantes sur le plan économique ou environnemental », précise-t-il.
La passivité de Québec
Le manque de volonté du gouvernement québécois pour sortir du gaz serait surtout le fait des importantes activités de lobbyisme conduites par Énergir au cours des dernières années, selon Jean-Pierre Finet. Les 149 lobbyistes de l’entreprise gazière ont effectivement été extrêmement actifs sur le sujet de la biénergie auprès de plusieurs ministres du gouvernement Legault. « Avec la gestion de la pointe, ils ont créé un épouvantail pour arriver avec leur solution de biénergie et la CAQ a avalé les couleuvres des lobbyistes », illustre l’environnementaliste.
Les villes sources d’espoir
Une partie de la solution devra donc passer par les villes, qui ont le pouvoir d’interdire la pose de nouveaux systèmes au gaz dans les constructions neuves, explique Jean-Pierre Finet. Selon lui, plusieurs municipalités, dont Montréal, envisagent de passer des législations en ce sens.
L’objectif de la métropole d’atteindre une décarbonation à 55 % d’ici 2030, rappelle-t-il, ne se réalisera pas sans faire reculer massivement l’utilisation du gaz en ville. « La spirale de la mort d’Énergir a maintenant débuté », prédit l’analyste. Une mort qui, selon lui, ne peut qu’être retardée par les 7,2 milliards $ qui ultimement seront payés par les clients d’Hydro-Québec.
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