Dans un document « confidentiel » mais dont le Wall Street Journal a eu aussitôt connaissance, le FMI reconnait « Le programme n’a pas permis de retrouver la croissance et l’accès au marché bien qu’ayant été conçu dans cette intention ». C’est le moins que l’on puisse dire. Il fallait donc restructurer la dette publique grecque dès le départ pour qu’elle soit soutenable.
Déjà, en début d’année, un document du FMI signé par son économiste en chef Olivier Blanchard reconnaissait une mauvaise estimation du « multiplicateur budgétaire ». L’erreur d’estimation était, en effet, de taille ! Le modèle du FMI considérait qu’avec une réduction du déficit public de 1, l’effet négatif sur la croissance serait de 0,5 % seulement. Les nouveaux chiffres avancés par le FMI vont de 0,9 à 1,7 : « Quand la France réduit son déficit public de 1 milliard d’euros, son PIB diminue corrélativement de 0,9 à 1,7 milliards d’euros, soit jusqu’à trois fois plus que le modèle ne le prévoit[1] »
Une triple catastrophe
Entre temps, la politique de la troïka (Commission européenne, BCE, FMI) a produit une triple catastrophe en Grèce. Une catastrophe économique puisque le PIB grec a reculé (de – 6,4 % en 2012) pour la 5ème années consécutive. Une catastrophe sociale : 27,6 % de la population active est au chômage. Une catastrophe budgétaire : la dette grecque est passée de 113 % du PIB fin 2009 à une prévision de 175 % en 2013, pour la Commission européenne.
Les dégâts provoqués par la troïka ont continue en Irlande, au Portugal et en Espagne. Que pèsent les peuples face au verdict d’un logiciel néolibéral ?
Pourquoi le FMI avait-il imposé une telle tragédie à la Grèce ?
Le FMI n’avait pas respecté ses propres règles qui veulent que le fonds ne s’engage que s’il estime que ses prêts pourront être remboursés. Il reconnaît maintenant que cela n’était pas possible et que la Grèce ne pouvait pas rembourser sa dette publique.
S’il l’avait fait, ce n’était pas pour « sauver la Grèce » comme on nous le répète sur tous les tons mais bien pour sauver le système bancaire. « Faut-il rappeler que les banques allemandes étaient à l’époque du « sauvetage » en question exposées à la dette publique grecque à hauteur de 15,5 milliards d’euros et les françaises à hauteur de 10,3 milliards ? L’exposition de l’ensemble des banques européennes s’élevait à 52,3 milliards d’euros. Ce sont elles qu’il fallait protéger, ni plus ni moins » souligne François Leclerc[2].
Depuis, les banques européennes ont eut le temps de se mettre à l’abri et c’est la BCE qui est maintenant en première ligne. En deuxième ligne, il y a l’Allemagne qui garantit 27 % des dettes accordées par l’UE et la France qui en garantit 20 %.
Le FMI fait rentrer par la fenêtre l’austérité qu’il dit vouloir chasser par la porte
Le FMI reconnaît que la Grèce ne pouvait rembourser sa dette publique. Il fera très certainement la même constatation, demain, pour l’Irlande, le Portugal ou l’Espagne. Il a déjà commencé pour le Portugal, au grand dam d’Angela Merkel.
Ce n’est pas pour autant que la politique qu’il propose n’aboutirait pas aux mêmes résultats que celle imposée par la troïka. Le FMI reconnaît une erreur (de taille !) mais n’a toujours pas changé de logiciel, il affirme que la Grèce devait et doit adopter des « réformes structurelles » (réforme du marché du travail pour faciliter les licenciements, baisse du coût du travail, privatisations…) qui aboutiraient à la même tragédie que celle que connaissent aujourd’hui les pays de l’Europe du sud.
Les conservateurs allemands se rebiffent
« Le FMI se moque du pacte de stabilité » dénonce le directeur général du Mécanisme européen de stabilité (MES), Klaus Regling. Il va jusqu’à affirmer qu’il faudra revoir le concept même de « troïka » et la participation du FMI à cette « troïka » qui n’en serait donc plus une.
Maintenant que ces banques sont « sauvées », la droite allemande limite toutes ses interventions au financement des « sauvetage » des États européens. Une preuve supplémentaire qu’il s’agissait bien de plan de sauvetage des banques et non de ces États. Elle impose une diminution drastique des moyens du MES. Quant au fonds de renflouement des banques, il a purement et simplement disparu du projet d’union bancaire européenne à la demande du gouvernement allemand.
La cour de Karlsruhe (le Conseil constitutionnel allemand) examine, en ce moment, la remise en question le programme de rachat des dettes publiques par la BCE. Pourtant, ces rachat sont assortis des « conditionnalités » du MES, c’est-à-dire des plans de destruction sociale infligés à la Grèce, l’Irlande, le Portugal et l’Espagne.
Tout cela pourquoi ?
La troïka a plongé la Grèce, l’Irlande, le Portugal, l’Espagne dans une profonde tragédie pour sauver les banques européennes, les banques allemandes et françaises en premier lieu.
Mais, aujourd’hui, la crise est revenue à son point de départ : les banques. Non seulement les dettes publiques n’ont cessé d’augmenter mais les banques sont au bord de la rupture : les actifs « de pacotille » s’accumulent dans leurs bilans, tout particulièrement en Espagne. Ces actifs pourris sont ceux des crédits accordés aux entreprises européennes que la récession, fruit de l’austérité généralisée du TSCG, amenées et mène à la faillite. Ces actifs pourris, ce sont aussi les titres des dettes publiques des pays du sud de l’Union européen. Le serpent se mord la queue.
François Hollande manquait donc pour le moins de prudence lorsqu’il affirmait à Tokyo, le 8 juin 2013 qu’il fallait « bien comprendre que la crise dans la zone euro était terminée ».
Gérard Filoche (avec Jean-Jacques Chavigné)
Notes
[1] « Coefficient multiplicateur : erreur de calcul ou de modèle économique » – Didier Voydeville – Le Monde de l’Economie – 28/01/2013
[2] François Leclerc « L’unité de la Troïka fait question ». Blog de Paul Jorion – 7 juin 2013.