Qui aurait pensé qu’à mi-chemin d’un second mandat, majoritaire, au moment même où il perd toute la confiance et la sympathie de la population, le gouvernement, comme pour rattraper le retard dans son agenda, aurait usé de sa légitimité représentative pour démolir les efforts entrepris par la société civile pour plus de transparence et déposséder le peuple de sa légitimité, de son territoire et de ses ressources, à l’encontre des valeurs fédératrices de la social-démocratie..
Saborder le bateau, voilà qui résume bien l’image de notre capitaine Jean James Charest qui, tel Icare ivre du sentiment de toute puissance, se sert de son statut pour mettre les deux mains sur le gouvernail du Québec, et l’en remettre entre les mains avides du capitalisme apatride accrocs du profit vite fait. Mutinerie envers le peuple, mais quand on passé sa vie à jouer le rôle du laquais au service de l’élite séduisant le vice, se mutiner revient à affirmer sa véritable identité et sa suprématie haineuse, rempli du désir impatient de récolter les fruits du bien longuement mûri.
Ce fruit mûr, consacré par la nomination du très saint père des Lucides, monseigneur Lucien Bouchard, vient confirmer la mainmise de nos richesses collectives par les usuriers de la nation qui acceptent de remplir le rôle du prétendant laquais de service. Ce n’est pas de la discipline et de la rigueur intellectuelle de M. Bouchard que l’industrie gazière se vante d’avoir pour défendre sa cause perdue, mais bien plus de l’image rassérénée d’un bon vieux père de famille austère et amnésique fier du sentiment du devoir accompli. Fort d’arguments alambiqués et paternalistes, il tente déjà de se (nous) convaincre de l’intérêt et de l’opportunité unique pour le Québec de miser sur son indépendance énergétique, en nous hypnotisant de propos savamment trompeurs (entrevue à l’émission 24h/60 min)." Je me souviens" est la devise du Québec, mais nos glorieux chefs ont tendance à oublier leurs responsabilités dans la décrépitude de notre société dépouillée de son autonomie et de son autodétermination, par leur traître collaboration aux dictats mondialistes qu’ils affublent ensuite d’épithètes paraboliques tels que « réingénierie de l’état » pour mieux légitimer leurs actions en objectivant la chose sur fond de fatalisme.
Créer de la richesse, c’est le leitmotiv, la locomotive qui traîne notre gouvernement libéral vers la sortie de secours pour faire passer ses ambitions partisanes avant celles de la nation, et diluer le débat dans d’ineptes raccourcis pseudo-économiques (créations d’emplois, baisse record du taux de chômage, cote auprès des agences de crédit, performances des placements de la CDPQ) qui vont à l’encontre du bon sens et du consensus. Mais pour créer de la richesse, d’abord faut-il avoir une vision à long terme de l’utilisation de nos ressources et assurer un plan fiscal rentable pour l’état, ce qui n’est pas du tout le cas ici puisqu’on subventionne grassement une industrie colonialiste déjà richissime. À titre d’exemple, l’Institut Fraser, think tank de l’ultra-droite libérale, classe le Québec premier au cours des trois dernières années pour ses politiques favorables aux investissements des minières qui profitent des généreux crédits d’impôts et qui font perdre des milliards de dollars en recette au trésor public.
Au lieu de gérer intelligemment nos ressources pour en faire bénéficier au maximum la société via le financement des services et programmes sociaux (santé et éducation), notre gouvernement agit lâchement en abaissant au minimum les redevances perçues de l’exploitation de nos ressources en plus de faire porter le fardeau fiscal sur les étudiants et les contribuables déjà surtaxés pour le sous-financement des universités et du système de santé. L’entêtement de notre gouvernement est digne des mœurs de l’époque colonialiste du film Le Temps des Bouffons du compère Falardeau.
Alors même que l’Ordre des ingénieurs cosigne une lettre sommant le gouvernement d’imposer immédiatement un moratoire sur toute activité d’exploration gazière, ce dernier fait la sourde oreille à cet appel unanime et minimise par là même le sérieux de leur demande fondée sur la prévention et l’étude approfondie. Au lieu de susciter la réflexion et ouvrir la porte à un débat sain et serein, le gouvernement reste muet sur sa politique d’indépendance énergétique en laissant le champ libre à l’influence indue du puissant lobby pétrolier et gazier comme dans le cas de la filière éolienne dont le développement fut contrôlé par quelques grandes sociétés étrangères en recherche d’investissements rentables.
En aucun cas, ni le gouvernement, ni Lucien Bouchard ne se sont portés en faveur de l’augmentation de la part de l’état dans la détention des actions gazières ou de la nationalisation de nos ressources naturelles pour assurer le juste revient des bénéfices à la nation qui détient les droits exclusifs sur les ressources de son territoire. Pourtant, le modèle norvégien a su créer un fond de 400 milliards, pour soutenir le développement des énergies vertes et dédommager les générations futures, à partir de sa participation dans l’exploitation de ses ressources pétrolières off-shore, et plusieurs des plus grandes entreprises du monde sont des formes hybrides où le public et le privé se partagent les risques et les recettes.
La vente de feu de nos ressources aux intérêts étrangers des géants de l’économie mondiale, qui ponctionnent les pétrodollars dans les fonds de pensions et d’investissements verts et s’unissent en holdings pour privatiser les services publics et dessiner la structure des sociétés, est en parfaite adéquation avec la philosophie ultra-libérale ouvrant la voie à la mainmise des oligopoles sur l’orientation des politiques. La disparition des valeurs sociales du partage et de l’équité, et l’effritement des luttes collectivistes par la montée en puissance des états policiers est le symptôme du renoncement d’une société qui a rompu avec ses repères historiques.
Vivement le retour à une démocratie directe éclairée par les bienfaits des luttes sociales organisées autour de la valorisation de l’espace public commun, de la mise au service des institutions publiques pour le développement solidaire de la société et de la pluralité des idées fédératrices.