Édition du 17 décembre 2024

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France

France. Macron et le droit de commander

L’homologie entre l’efficacité entrepreneuriale, les méthodes de marketing et l’orientation impulsée par le cercle de direction de La République en marche (LRM), plus spécifiquement du club Macron, a été souvent soulignée par des observateurs de divers horizons. S’installe ainsi l’illusion d’un management à tournure participative, mais assujetti à des objectifs et des méthodes dictés « par en haut » et contrôlés étroitement. Au plus petit dérapage, le caractère autoritaire et astreignant de cette gouvernance ressort.

Publié par A l’encontre le 14 - juin - 2017

Cela au nom de la « loyauté collégiale gouvernementale » qui est fort bien connue, depuis des décennies, en Suisse. Une loyauté qui doit aussi être mesurée par un impératif dicté par Macron : chaque ministre qui se présente aux législatives doit être élu, sans quoi il perd son poste. Sotto voce, le message, voisin des « fake news », du gouvernement est le suivant : la « société civile » a choisi Macron et le peuple le gouvernement. Le 2 mai 2017, « Les décodeurs » du quotidien Le Monde avaient déjà effectué une première enquête dans l’article intitulé : « Qui sont les proches d’Emmanuel Macron qui comptent au sein d’En Marche ? » Une garde rapprochée très… civilisée, dont les liens avec les « grandes écoles », les ministères, les grandes entreprises forment une sorte de rhizome souvent identifié dans les études descriptives en tant qu’« élites » du pouvoir et des pouvoirs.

La griffe de l’autorité efficace et discrète

Certes, sur le terrain du gouvernement et des institutions, la griffe du secret et des contraintes de l’entreprise privée est plus difficile à garantir. Dès lors, au nom de la sainte efficacité, Emmanuel Macron a nommé des conseillers communs à l’Elysée (présidence) et à Matignon (premier ministre). Formellement pour permettre de faciliter la coordination Elysée-Matignon. La question : quel cercle restreint va coordonner ce binôme, en dernière instance ?

Car une concurrence peut s’exprimer au sein d’un gouvernement même réfléchi dans sa constitution, mais pas nécessairement formaté dans sa totalité pour ce genre d’exercice et par des trajectoires socio-politiques communes. La « bousculade », par médias interposés, entre Edouard Philipppe (premier ministre) et le second du gouvernement François Bayrou (garde de Sceaux, autrement dit ministre de la Justice) en est une illustration. Macron va, certainement, arbitrer cette bagarre de cour d’école. L’autorité présidentielle peut être invoquée, l’autoritarisme réside, lui, dans la structure et ce qui la commande. Outre à la « dizaine » de conseillers qui ont la double casquette, il faut avoir l’œil sur le réseau qui entoure le premier ministre. Son cabinet est notablement très masculin : on y décompte 34 hommes, dont le directeur de cabinet Benoît Ribadeau-Dumas et le directeur adjoint Thomas Fatome, pour seulement 13 femmes. Six des sept « chefs de pôle », conseillers plus importants, sont également des hommes. On est loin de la « parité » tant vantée.

Avec les « conseillers communs », l’Elysée aura une présence directe dans le bureau d’Edouard Philippe. En Marche, comme formation en voie de constitution effective, sera représenté dans les deux lieux de pouvoir politico-gouvernemental par le trésorier de la campagne présidentielle, Cédric O, un ancien de chez Safran, le groupe de haute technologie français présent dans la défense et l’aéronautique.

Nicolas Hulot – qui a fait bouillir le bavardage lors de sa cooptation comme ministre d’Etat de la Transition écologique et solidaire – devra composer avec l’experte Diane Simiu, nommée conseillère « environnement » pour l’Elysée et pour Matignon. Cette polytechnicienne a travaillé au ministère de l’Ecologie en 2009 (sous Sarkozy). En 2011, elle est à la tête du bureau des marchés carbone et participe à l’élaboration et à la mise en œuvre des politiques dites « énergie-climat » au niveau européen et international. En 2014, elle rejoint le WWF France. Un WWF international dont la présidente Yolanda Kakabadse, ex-ministre équatorienne (de 1998 à 2000 sous la présidence de Jamil Mahuad) se trouve à la direction de la Ford Foundation et a le titre de conseillère pour l’environnement (sic) de Coca-Cola et du cimentier helvète Holcim, qui a capté Lafarge. Elle est encadrée par des personnalités liées à des entreprises « prestigieuses ». Le vice-président du WWF, André Hoffmann, vient de Givaudan (la plus grande entreprise pour les arômes « alimentaires », les cosmétiques, les parfums). De là, il a passé chez un des géants de la pharma : Roche Hoding (qui a racheté Givaudan). A. Hoffmann est de même à la tête d’une société familiale d’importance de « private asset management », Masselaz SA. Elle est sise à Morges, près de Genève, siège de Givaudan. Parmi les « trustees » (mandataires) du WWF, on trouve Sir Andrew Cahn qui a fait sa carrière dans la banque auprès de Nomura International et de Lloyd’s (Londres), tout en disposant d’un fauteuil chez le chinois Huawei, un géant des technologies de l’information et de la communication. Il est vrai que Sir A. Cahn s’intéresse aux jardins botaniques, tout en finissant sa carrière comme PDG de UK Trade and Investment et de la Gatsby Foundation. Cette dernière est très active dans des secteurs comme la médecine tropicale ou le développement de la technologie dans la culture de plantes « adéquates aux nouveaux développements agricoles ». La liste pourrait être étendue.Parions, dès lors, que le WWF international, Diane Simiu et d’autres sauront inspirer une écologie de pointe et efficace en termes de marché, ce qui constituera le socle du marchand volant (et pas ambulant) Nicolas Hulot.

Vers un autoritarisme national et supranational ?

L’autoritarisme – qualifié de manière noble d’autorité – peut rassurer un secteur des électeurs et électrices qui, sensibles à une insécurité sociale au visage protéiforme, sont à la recherche, par procuration, d’un « renouvellement » imposé par une « homme à poigne » qui va « mener à bien des réformes ». Des réformes dont l’ADN, en réalité, est celui d’un chapelet de contre-réformes qui apparaissent, pour l’heure, être en syntonie avec une couche sociale rêvant d’améliorer ou au moins de maintenir sa position dans une société transnationalisée. Et qui ne perçoivent pas que les startupers sont des nains de jardin qui seront soit repeints-rachetés, soit serviteurs zélés par obligation de sous-traitance, soit éliminés suite aux processus de concentration et centralisation à l’œuvre à l’échelle mondiale.

En outre, l’intrication du gouvernement Macron – en coopération avec celui d’Angela Merkel et, demain, si « tout va bien », un gouvernement Matteo Renzi ou « d’unité nationale » en Italie – avec des structures supranationales du type de celles de l’Union européenne, de la BCE et d’autres « mécanismes », ne peut que renforcer le rapport de forces en faveur des dominants contre les majorités populaires, dans les différents pays européens.

Pour l’heure, certes, les impasses de l’UE sont évidentes. L’objectif de la Commission et de la BCE consiste à gagner du temps sur le temps. Toutefois, si la maîtrise de l’éclatement d’une crise bancaire en Italie, en automne 2017, peut être suffisante et ne pas déboucher sur trop de turbulences – comme cela vient de se passer avec Banco Popular en Espagne reprise par Santander [1] avec le feu vert du Superviseur unique (Single Resolution Board of the Single Resolution Mechanism) logé à la BCE, dont la présidente est l’Allemande Elke König – le doublement de la force d’imposition nationale et supranationale des fractions clés du capital en Europe aura passé une difficile étape de montagne. Cela reste du domaine d’un projet, encore vacillant, de fractions du Capital. Mais il ne peut être balayé par l’invocation religieuse au mantra de la crise. Même si cette dernière, entre autres au plan de la finance de marché, reste présente aux Etats-Unis (endettement privé) et dans divers pays d’Europe.

En d’autres termes, l’imprévisibilité du politique (les incertitudes gouvernementales et de réorganisation du champ politique) se marie avec celle de « l’économie ». Cela renvoie pour une gauche effectivement radicale à une urgence analytique qui relève de la revalorisation de l’économie politique, trop souvent oubliée. La presse financière est, aujourd’hui, souvent plus sensible à la double instabilité institutionnelle nationale et supranationale que les économistes de gauche. Pas à tort. Les enjeux de l’envol du capital fictif rendent fort difficile la recherche d’une piste d’ atterrissage adéquate, avec contrôle aérien coordonné.

Les « Macron boys » et la régie du pouvoir

Dans ce contexte, de nombreux partisans du vote Macron vont s’apercevoir, mais trop tard, que l’autoritarisme peut prendre, dans la configuration présente, un visage néo-corporatiste bien illustré par les procédures mises en place pour aboutir a l’adoption, début septembre 2017, d’ordonnances portant sur une refonte à la racine du Code du travail. Cela dans la foulée, planifiée, des « efforts » de concertation entre Macron, sa ministre du Travail Muriel Pénicaud, le Medef et certaines organisations syndicales, comme la CFDT. Son ex-dirigeante Nicole Notat ne préfigurait-elle pas – et le fait encore mieux aujourd’hui, elle qui n’a pas été nommée ministre pour faciliter le dialogue avec la CFDT – l’accomplissement de ce processus institutionnel néo-corporatiste du XXIe siècle naissant, qualifié de « gouvernance » ?

Au-delà des réorganisations gestionnaires effectuées par les « Macron boys », le transfert des lois liées à l’état d’urgence dans le droit commun est un signe plus fort du type de pouvoir politico-entrepreneurial à la Macron. Ainsi, le 7 juin 2017, Le Monde révélait que, suite à la reconduction à quatre reprises de l’état d’urgence, E. Macron et E. Philippe, en accord avec les diverses composantes de l’appareil « sécuritaire », allaient proposer d’introduire les éléments clés de cette situation constitutionnelle exceptionnelle dans le droit commun. L’urgence devient permanente, pour les questions « de terrorisme ». Le rapport d’Amnesty International (voir sur ce site les éléments conclusifs de ce rapport publiés le 1er juin 2017) démontrait l’extension de l’utilisation de la notion de « terrorisme » pour porter atteinte à des droits démocratiques. Le Monde résumait de la sorte la substantifique moelle de cette mesure : « Assignations à résidence, perquisitions administratives, fermetures de lieux de culte, zones de protection et de sécurité, toutes ces mesures emblématiques du régime d’exception créé en 1955 pendant la guerre d’Algérie et étoffé par touches successives depuis les attentats du 13 novembre 2015, devraient se retrouver dans la loi ordinaire avec quelques modifications marginales. Elles ne pourront néanmoins s’appliquer qu’à la matière antiterroriste. […] La marque de fabrique de cette transposition est que l’autorité judiciaire est maintenue à l’écart. Toutes ces mesures resteront l’apanage du ministère de l’Intérieur et des préfets, sans l’intervention d’un juge judiciaire. »

Y compris la présidente du syndicat majoritaire de la magistrature – l’USM (Union syndicale des magistrats) qui est à droite sur l’échiquier au regard du Syndicat de la magistrature (SM) –, Viginie Duval, « dénonce la possibilité donnée au ministre de l’Intérieur d’ordonner le port du bracelet électronique à des personnes qui ne sont même pas condamnées ; ou même d’obliger certains à livrer leurs identifiants électroniques, et à signaler à la police tout changement de mot de passe sur leur ordinateur ou leur portable. “Même lors des contrôles judiciaires actuels, on ne peut pas imposer des mesures pareilles. Et puis ces dispositions s’appliqueraient hors du champ des magistrats, c’est cela qui nous choque le plus. Dans notre Etat de droit, le juge, et lui seul, est le garant des libertés individuelles. Ce texte jette aux orties nos principes” ». (Journal du Dimanche, le 11 juin 2017). Le New York Times, dans un éditorial daté du 12 juin, n’a pas manqué de souligner : « L’absence d’un rôle pour le judiciaire qui pourrait contrôler le pouvoir général de l’exécutif est troublante. Encore plus alarmant consiste à consacrer l’état d’urgence dans le droit ordinaire, ce qui donne un coup de frein permanent aux droits constitutionnels des citoyens français. […] De telles mesures n’ajoutent pas grand-chose à la législation antiterroriste déjà existante qui a peu contribué à la lutte contre le terrorisme, tout en faisant du mal aux droits des citoyens. La seule chose qui peut empêcher le projet de loi de devenir loi peut être le Conseil constitutionnel. […] Il ne doit pas permettre ce qui devait être une suspension extraordinaire et temporaire des droits des citoyens de devenir permanente. Sinon, la promesse du nouveau départ de M. Macron pour la France pourrait aboutir à une république plus répressive et préparer la voie à d’autres abus du pouvoir exécutif au-delà de son mandat. »

L’Union syndicale Solidaires ne s’est pas trompée quand, début mai, elle affirmait, alors qu’elle déclinait les invitations à la « concertation » sur le révision du Code du travail que ce gouvernement prolongerait et accentuerait : « Le nouveau président a, durant la campagne, défini les contours d’un projet qui accentuera les politiques libérales menées par les différents gouvernements depuis des années. » Autrement dit : « remise en cause du système de protection sociale et de son financement, diminution de l’impôt sur les sociétés, suppression de l’ISF sur les revenus du capital » et « affaiblissement de la Fonction publique. Par ces annonces et par sa volonté de gouverner par ordonnances, il montre le peu de cas qu’il fait des syndicats, et prépare une politique autoritaire autant que libérale », ajoutait Solidaires.

L’attitude sur le contrôle étroit et brutal de sa communication en constitue une autre facette. Ce qui fait écrire à Bastien Bonnefous, Cédric Pietralunga et Solenn de Royer dans Le Monde en date du 14 juin 2017 : « A la fin du conseil des ministres, il faut voir ces derniers rejoindre leurs voitures sans un mot, parfois même sans un regard, aux journalistes, tenus à distance derrière des cordons, sur le côté. Certains demandent même que leurs berlines s’avancent jusqu’au pied des marches, pour éviter de traverser la cour et d’être importunés par d’éventuelles questions embarrassantes… Mais le président assume. Il a décidé de raréfier sa parole et d’agir dans le secret… Depuis son élection, Emmanuel Macron n’a pas jugé bon d’accorder la moindre interview. « Pourquoi parler ? Son incarnation suffit », lâche un de ses proches, extatique. »

Le Monde poursuit : « De la même manière, lors de ses déplacements « poolés » (avec un accès réduit pour les journalistes), il refuse de répondre aux questions qui ne concernent pas le sujet qu’il a décidé d’aborder. Ainsi, pas un mot sur l’affaire Ferrand, ni sur les soupçons d’emplois fictifs au Parlement européen qui frappent le MoDem, le parti du garde des sceaux, François Bayrou. « Quand je viens sur un sujet que j’ai choisi, je parle du sujet que j’ai choisi. Je ne fais pas des commentaires d’actualité », a sèchement répondu Emmanuel Macron, le 9 juin dans le Limousin. »

Dès lors dans cette structuration du « nouveau pouvoir » la Tribune de 23 médias français mérite une attention qui va bien au-delà d’une saute d’humeur de journalistes. Raison pour laquelle nous la reproduisons ci-dessous. (14 juin 2017)

Note

[1] Pour rappel, Banco Popular, sixième banque de l’Etat espagnol, avait parmi ses dirigeants des membres de l’Opus Dei. La situation de cette banque était jugée instable depuis plusieurs mois. Les déclarations du milliardaire mexicain Antonio del Valle Ruiz – proche de la congrégation des Légionnaires du Christ – ont accentué la panique et a débouché sur la solution : rachat par Santander pour un euro. Comme le précisent les quotidiens El Mundo (p. 27) et Expansion (p. 15) du 15 juin, l’effet socio-économique du bail in, qui implique l’expropriation des actionnaires, a été amorti par la promesse de la patronne de Santander, Ana Botin, d’indemniser une partie des actionnaires qui, le 7 juin, ont perdu leurs « investissements ». Plus exactement, les petits actionnaires clients de Banco Popular qui avaient participé à l’augmentation de capital pour une somme de 2,5 milliards d’euros en juin 2016. Une partie d’entre eux se sont organisés pour une contre-attaque au plan judiciaire. Selon Ana Botin, il reste à déterminer quelle est la part respective de leur participation à l’augmentation de capital de 2016, ce qui implique un processus d’examen cas par cas. Cela n’est pas sans poser des problèmes techniques et aussi socio-politiques. Pour rappel, la méthode du bail in implique une « expropriation » des actionnaires, pour faire simple. Lors d’un sauvetage sous régime du bail out, c’est l’Etat, c’est-à-dire les contribuables, qui soutient l’entité en grandes difficultés ou en faillite.

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