tiré de : Entre les lignes et les mots 2017 - 25 - 17 juin : Notes de lectures, textes, annonces et pétitions Publié le 16 juin 2017
Le mois dernier, un garçon de 12 ans a été condamné pour avoir violé à plusieurs reprises sa sœur après avoir « été fasciné par du porno hardcore ». Le garçon avait tapé dans les termes de recherche en ligne afin de trouver de l’incest porn. Le procureur dans l’affaire a dit « les cas de cette nature seront de plus en plus courants à l’avenir en raison de l’accès qu’ont maintenant les jeunes à ce porno hardcore ».
La pornographie et la technologie ont créé en même temps une vague extrême – mais simultanément normalisée – de misogynie, illustrée par des cas comme celui-ci, à côté de tendances comme le « sexting » et le « revenge porn », où des jeunes femmes sont encouragées à offrir des images sexualisées d’elles-mêmes à leur petit copain pour voir ensuite celles-ci rediffusées en ligne comme un moyen de les punir après la fin de la relation.
L’application de la loi commence à reconnaître la nécessité de réprimer ces actes (en particulier le contenu où des enfants sont mis en scène), mais dans l’intervalle, un nombre incalculable de jeunes femmes ont subi la honte, l’humiliation, et pire encore. A 31 ans, Benjamin Barber est le premier homme condamné en Oregon pour « diffusion illégale d’une image intime ». Il a été condamné à six mois de prison après avoir publié des vidéos pornographiques de lui-même et d’une ancienne partenaire sans son consentement sur « plusieurs sites web pour adultes ». Plus tôt cette année, cinq garçons de la Newtown High School dans le Connecticut ont été inculpés après le partage et la vente de photos et de vidéos de leurs camarades de classe nues. Un homme écossais a été condamné à des travaux d’intérêts généraux après avoir créé un faux compte facebook de son ex-petite amie afin de poster des photos d’elle nue. Malgré les efforts des féministes « pro sexe » libérales libertaires pour nous convaincre que la pornographie est neutre, ce qui est clair c’est qu’elle est utilisée par les hommes comme un moyen de punir les femmes, et non de leur donner plus de pouvoir.
Je n’avais pas de téléphone portable lorsque j’étais adolescente. Quand j’en ai finalement eu un, l’accès à internet était une impossibilité technologique. À l’époque, vous ne tombiez pas sur de la pornographie à moins d’en avoir expressément cherchée ou d’en avoir trouvée accidentellement cachée par un autre homme dans un bureau ou une penderie.
Mais cette époque est révolue. Les données présentées par l’ONG « YoungMinds » montrent que dès 2014, la moitié des jeunes de 9 à 16 ans et 95% des jeunes de 15 ans en Europe étaient propriétaires d’un smartphone. En 2010, 96% des 9 à 16 ans du Royaume-Uni allaient en ligne au moins une fois par semaine – la plupart tous les jours. Cette expansion de l’utilisation de la technologie signifie un accès à tout ce qui se retrouve sur internet, y compris et en particulier… de la pornographie.
En fait, un rapport publié cette année par la NSPCC1 démontre qu’aujourd’hui les jeunes sont tout aussi susceptibles de trouver de la pornographie par accident que s’ils en recherchent délibérément.
Il existe une différence entre une culture dans laquelle quelqu’un doit s’efforcer de trouver de la pornographie et une culture dans laquelle la consommation de pornographie par les enfants et les adolescents arrive autant accidentellement qu’intentionnellement. Nous sommes dans une culture où la pornographie fait tout simplement partie de la vie quotidienne et de la croissance des enfants, que nous le voulions ou non. Une fillette de 11 ans interrogée par la NSPCC a mentionné :
« Je n’aimais pas cela parce que c’est apparu par hasard et je ne veux pas que mes parents le découvrent et l’homme avait l’air de lui faire mal. Il la tenait et elle criait et elle pleurait. Je suis au courant pour le sexe, mais ça n’avait pas l’air sympa. J’ai la nausée si je pense que mes parents le font de cette façon ».
Ce qu’elle décrit ne suggère pas qu’elle soit tombée sur quelque chose d’une violence exceptionnelle. L’agression et les actes de violence sont la norme dans la pornographie en ligne – la recherche montre que les scènes porno les plus appréciées contiennent des actes d’agression et que dans la majorité des cas, un homme est l’auteur de l’agression et une femme la destinataire.
Même si une jeune personne réussit par ruse ou par chance à éviter toute rencontre directe avec la pornographie, l’impact sur elle existe tout de même puisque ses pairs en regardent. Les jeunes femmes sont entourées de garçons qui ne connaissent le corps des femmes et la sexualité que par la pornographie. Celles qui ont des relations hétérosexuelles ont toutes les probabilités d’avoir leurs premières expériences sexuelles avec des jeunes hommes qui ont reçu leur éducation sexuelle à travers celle-ci. Le rapport de la NSPCC par exemple, montre que 44% des hommes ont déclaré vouloir essayer des choses qu’ils avaient vu dans du porno. Arrivées à l’âge adulte, les jeunes femmes ont déjà été empêchées de développer une relation authentique avec leur propre corps et leur sexualité. Une fille de 13 ans interrogée dans l’étude indique que, « [la pornographie] donne une vision irréaliste du sexe et de nos corps, elle nous rend anxieuses de notre image, et inquiètes si nos corps ne sont pas développés comme ce que nous voyons en ligne ».
Il y a nulle part où se cacher dans la culture pornographique. Même si une jeune femme évite de regarder de la « vraie » pornographie, son impact se fera sentir à travers ses relations avec ses pairs, à travers les images qu’elle voit dans la publicité, la culture pop et les médias, ainsi que dans les espaces privés en ligne, où elle en verra accidentellement. Même si son corps n’est pas littéralement mis à nu et disponible pour la consommation des hommes, elle apprendra que son corps féminin – détaché de son humanité et transformé en un vestibule vide et abstrait pour les fantasmes sexuels des hommes – est à la disposition de ses pairs. Elle apprendra que le corps féminin est toujours observé, toujours consommable et toujours baisable. Ce sera sa norme. Et si elle a un problème avec cette norme, elle sentira qu’il s’agit d’un problème personnel qu’elle aura à surmonter ou à accepter de son côté, pas d’un problème avec ladite norme. Si elle veut se sentir mieux, elle devra apprendre à se discipliner elle-même, son corps et sa sexualité afin de s’ajuster à cette norme.
Une étude publiée dans le British Medical Journal montre que 54% des médecins généralistes reçoivent des demandes de chirurgie esthétique génitale (FGCS). Parmi ces demandes, 35% viennent de femmes de moins de 18 ans. Voilà une façon dont les femmes s’adaptent à la culture porno. Il y a en a bien d’autres.
Augmentation mammaire. Régime drastique. Épilation pubienne. Les signes sont partout – les jeunes femmes, entourées d’images pornifiées de leurs corps, ont l’impression qu’elles sont inadéquates et doivent être corrigées à n’importe quel prix. Et qui dit prix, dit aussi coûts : la labioplastie par exemple, comme toute chirurgie, présente un risque d’infection et de saignements mais peut aussi mener à une réduction de la sensibilité des organes génitaux. Un autre type d’ajustement dont nous entendons de plus en plus parler est que les adolescentes subissent des pénétrations anales afin de plaire à leurs partenaires masculins. L’idée que le sexe est avant tout une question de plaisir masculin est promue par la pornographie – nous voyons les hommes s’engager dans des pratiques sexuelles qui blessent physiquement les femmes et l’éjaculation faciale est presque toujours le point culminant de la scène.
Un manque de recherches spécifiques sur les jeunes femmes et la culture pornographique signifie que nous ne connaissons pas encore pleinement quelles seront les conséquences à long terme de ces ajustements physiques et sociaux pour les femmes, mais certaines des conséquences immédiates sur la santé physique, sexuelle et psychologique sont déjà évidentes. En réponse à l’augmentation soudaine des demandes de chirurgies génitales par les jeunes filles, le Collège américain des obstétriciens et gynécologues (ACOG) a publié de nouvelles lignes directrices sur la chirurgie des seins et la labioplastie chez les adolescentes. Il recommande aux cliniciens de vérifier auprès des jeunes femmes demandant ces interventions s’il y a présence de dysmorphie corporelle – un problème de santé mentale caractérisé par une préoccupation obsessionnelle avec des défauts ou des lacunes physiques imaginaires ou réelles que la personne croit devoir faire corriger.
Pourtant, sans aucun doute, le lien avec la culture pornographique sera nié et nous allons tous être en mesure de continuer à prétendre que les filles n’en sont affectées d’aucune manière significative.
À la lumière de cette réalité culturelle, il y a deux façons d’aller de l’avant. La première est d’apprendre aux jeunes femmes à revendiquer cette culture comme la leur – de leur donner des mots comme « empowerment », pour les convaincre qu’elles choisissent elles-mêmes et apprécient la culture pornographique, que celle-ci les libère et leur donne du pouvoir. Cette route ne détruit en rien la culture pornographique, mais propose de « meilleures » façons de vivre avec elle. Elle crée la pornographie « alternative », « indépendante » voir « féministe » afin d’imaginer que la pornographie en soi n’est pas nuisible, mais corrigible. Ces soi-disant paradis de la libération des femmes offrent un moyen d’absorber le choc de cette culture grâce à une récupération des récits qui évite d’avoir à affronter la réalité de la misogynie dans la pornographie.
La deuxième façon d’aller de l’avant nécessite de confronter la réalité des jeunes femmes – leur montrant qu’une culture dans laquelle le corps féminin et la sexualité sont objectivés ne peut jamais être vraiment sécurisante pour elles et ne peut jamais être un endroit où elles peuvent atteindre une pleine auto-détermination. Or, dans une culture où la pornographie est totalement normalisée et intégrée, ce n’est pas une tâche facile. Ceci exige pour les femmes de voir que le monde qui les entoure est très majoritairement contre elles, et qu’elles reconnaissent et expérimentent leur propre humanité dans une culture qui est déterminée à la nier.
Cette deuxième façon de faire est la responsabilité du féminisme. Il est de notre responsabilité dans le mouvement de contester la culture pornographique et de la révéler comme le cauchemar misogyne qu’elle est. C’est à nous de créer des espaces où les jeunes femmes pourront en toute quiétude surmonter les traumatismes de cette culture, élaborer des stratégies à la fois pour leur survie personnelle et pour contribuer au mouvement visant à la faire disparaître. En effet, pour beaucoup d’entre nous, tenir un rôle actif dans le mouvement de libération des femmes a été notre principale stratégie de survie.
Les gens continueront à nier l’existence de la culture pornographique et les désastres qu’elle crée, mais la réalité est juste en face de nous. Les statistiques nous apprennent des choses au sujet de l’expérience de la vie dans un corps d’adolescente qui ne peuvent pas être ignorées. La culture pornographique est en train de changer la réalité des femmes et des jeunes filles. Je rêve d’un jour où les ados ne demanderont plus à leur médecin de remodeler leurs parties génitales et où le quart d’entre elles ne feront plus de mal à leur propre corps. Je rêve du jour où les jeunes femmes ne croiront plus avoir besoin de se tromper elles-mêmes pour s’adapter à cette culture. Je crains toutefois que ce jour ne viendra que lorsque nous atteindrons un nouvel âge – un âge au-delà de la pornographie.
Laurie Oliva
publié le le 14 décembre 2016 sur FEMINIST CURRENT
Laurie Oliva est responsable de l’engagement communautaire chez FiLia, une ONG pour les droits des femmes et les arts du Royaume-Uni, qui accueille La Conférence Féministe de Londres (Feminism in London Conference).
TRADUCTION : Claudine G. pour le collectif Ressources Prostitution
1 NSPCC : National Society for the Prevention of Cruelty to Children/ « Société nationale de prévention contre la cruauté envers les enfants » est une ONG qui vise à promouvoir la protection des enfants au Royaume-Uni.
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