17 septembre 2022 | tiré de mediapart.fr
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Milan (Italie).– Donnée largement gagnante des élections législatives du 25 septembre prochain, la coalition dite de « centre droit » italienne semble de plus en plus se déchirer en interne. Certes, sur le papier, l’entente semble parfaite : il existe un accord solide sur un programme minimal et sur la répartition des circonscriptions uninominales. Mais l’accord ne règle pas l’essentiel : puisque la victoire semble acquise, la vraie question est désormais de savoir qui aura le pouvoir à l’intérieur de la future majorité.
Le système électoral italien laisse cette option en suspens : si l’électeur ne peut pas diviser son vote entre candidat uninominal et listes, il peut faire des choix entre les différents partis membres de la coalition. Pour cela, il lui faut cocher un des symboles de ces partis. Et c’est sur ce geste précis que les partis de droite et, surtout, d’extrême droite formant cette alliance semblent désormais se concentrer. Les affiches électorales elles-mêmes n’oublient pas de rappeler à l’électeur qu’il doit cocher le « bon » symbole sur le scrutin de liste…
Le duel principal se joue entre Matteo Salvini, le chef de file de la Lega, ancien parti régionaliste devenu depuis 2011 une forme de copie du RN français, et Giorgia Meloni, la présidente de Fratelli d’Italia (FdI), une formation qui s’inscrit davantage dans la tradition néofasciste italienne. La Lega, jadis dominante à droite, perd du terrain face à son concurrent d’extrême droite, y compris dans certains de ses bastions du nord comme la Vénétie. Dès lors, Matteo Salvini n’hésite pas à attaquer son « alliée ».
Cela a été le cas notamment sur un des sujets les plus brûlants de la campagne, celui du coût de l’énergie. Depuis quelques jours, alors même que le gouvernement Draghi finalise ses dernières mesures sur le sujet, Matteo Salvini n’a cessé de proposer, en cas de victoire de la droite, la mise en place d’un collectif budgétaire de 30 milliards d’euros pour réduire l’impact de la crise. Une option rejetée par Giorgia Meloni, qui est en quête de respectabilité auprès des marchés financiers et de l’Europe, et cherche à se montrer sérieuse sur la question de la dette publique.
Je suis d’accord sur tout avec Meloni, mais je ne comprends pas comment on peut dire qu’il faut attendre quelques mois ou quelques semaines pour réduire les factures.
FdI s’en tient donc à l’idée de s’appuyer sur l’Europe pour obtenir une politique commune et des protections. La manœuvre permet de rassurer une partie des électeurs de centre-droit qui pourraient s’inquiéter du souverainisme de Giorgia Meloni, mais elle a déclenché l’attaque du leader de la Lega.
Ce dernier a ainsi affirmé ne pas comprendre pourquoi il faut attendre l’Europe. Et de s’interroger : « Et si l’Europe ne fait rien en novembre ? » « Je suis d’accord sur tout avec Meloni, mais je ne comprends pas comment on peut dire qu’il faut attendre quelques mois ou quelques semaines pour réduire les factures. Si c’est comme ça, ce sera pire que le Covid », a-t-il ajouté.
« Quelle satisfaction à être premier ministre si des millions d’emplois sont menacés ? », interroge-t-il. L’allusion à la prétention de la dirigeante de FdI à devenir cheffe du gouvernement après le 25 septembre est claire, et rend l’attaque très personnelle.
Au point que, interrogée le 12 septembre sur la chaîne LA7, Giorgia Meloni s’est présentée comme victime des attaques de Matteo Salvini : « Depuis quelques jours, je suis surprise de quelques déclarations de Salvini, [qui] semble plus polémique avec moi qu’avec nos adversaires. » En réponse, la dirigeante néofasciste se présente comme la défenseure de l’unité nationale, dont elle compare la nécessité à celle construite dans l’après-guerre.
Mais cette image de rassembleuse responsable et calme est souvent mise à mal. Non seulement par ses discours enflammés sur l’immigration et l’insécurité qu’elle génèrerait (discours guère contestés dans une coalition où tout le monde est d’accord sur le sujet et joue allègrement sur cette corde), mais aussi sur l’Europe.
FdI, qui n’a pas soutenu le gouvernement Draghi, a ainsi laissé entendre qu’elle voulait modifier le plan national de relance et de résilience (PNRR) qui permet d’obtenir, moyennant des réformes, l’aide de l’Union européenne. Elle n’entre pas dans le détail de ces modifications, mais son propos consiste à vouloir imposer à l’UE certains choix du gouvernement.
L’Europe au centre des querelles
Cette volonté entre dans la stratégie de Giorgia Meloni : affirmer son attachement à l’UE, tout en promettant d’imposer des choix nouveaux à Bruxelles. Le PNRR est en cours de réalisation et la Commission a prévenu que les marges de manœuvre d’un nouveau gouvernement italien étaient limitées sur le sujet. Mais cette promesse de révision du plan est devenue une priorité de la campagne de FdI.
Jeudi 15 septembre, Giorgia Meloni a ainsi proclamé que, pour l’Europe, « la partie de plaisir est terminée ». Son bras droit, Ignazio La Russa, a précisé dans un entretien au Corriere della Sera qu’il s’agit simplement de « faire comme Paris et Berlin », c’est-à-dire de « défendre désormais ses intérêts nationaux dans l’UE » et non plus de subir simplement le choix des autres.
Ces sorties inquiètent néanmoins au sein de la coalition. Pour l’instant, la Lega garde un silence prudent sur cette proposition de révision du PNRR, laissant à FdI la seule charge des accusations d’euroscepticisme. Mais la contestation vient du troisième larron de la coalition, le parti de Silvio Berlusconi, Forza Italia. Ce dernier, qui est en très grande perte de vitesse et n’est guère crédité de plus de 7 % des intentions de vote, se veut le garant de l’ancrage proeuropéen de la coalition.
Nous sommes la garantie que ce gouvernement sera libéral, chrétien et surtout européiste et atlantiste.
Silvio Berlusconi
L’ancien président du Conseil a refusé de commenter directement la déclaration de Giorgia Meloni, ce qui fait dire à Ignazio La Russa qu’il « serait d’accord avec elle ». Mais c’est un autre événement qui a permis à Silvio Berlusconi de sortir du bois. Le 15 septembre au Parlement européen, la Lega et Fratelli d’Italia ont voté ensemble contre la condamnation du régime hongrois, à la différence de Forza Italia qui a voté pour.
L’occasion pour Silvio Berlusconi, qui représente toujours une part importante des dirigeants économiques italiens, de mettre en garde ses deux alliés. « Nous sommes européistes et atlantistes et si nos alliés, en qui j’ai confiance et pour qui j’ai du respect, partent dans des directions opposées, nous ne serons plus au gouvernement », a-t-il prévenu dans un entretien au site Lapresse.
Et d’ajouter : « Nous sommes la garantie que ce gouvernement sera libéral, chrétien et surtout européiste et atlantiste. » Or, si le parti de Berlusconi est en difficulté, la répartition des sièges implique que son appui sera sans doute indispensable à la future coalition.
Évidemment, on peut aussi supposer qu’il existe une forme de répartition des rôles dans la coalition de droite, les partis venant insister sur des points divers et garantissant en retour des défenses contre les tentations des autres. Pour répondre aux accusations de dérives autoritaires et souverainistes qu’avance le Parti démocrate, Berlusconi serait là pour rassurer sur les orientations futures de la coalition. Mais il ne faut pas négliger l’existence d’une vraie concurrence interne avec des enjeux électoraux clairs.
Soupçons russes
Un dernier épisode est venu le montrer. La publication, le 13 septembre, d’un rapport du secrétariat d’État états-unien sur le financement russe de certains partis en Europe a relancé les doutes sur l’existence d’un tel financement vis-à-vis de la droite italienne. La Lega et FdI, et même dans une moindre mesure Forza Italia, ont souvent été soupçonnés d’un tel financement.
Les trois partis ont évidemment rejeté ces accusations, mais la défense ne s’est absolument pas faite en commun, bien au contraire. Le parti de Giorgia Meloni a immédiatement mis en avant ses prises de position en faveur de l’Ukraine et son attachement à l’Otan et aux sanctions contre la Russie. Moscou, selon elle, aurait donc fait alors un « bien mauvais choix ».
Mieux même, le hasard a voulu que ces révélations interviennent pendant le voyage d’un cadre du parti, Adolfo Urso, à Washington. Or, Adolfo Urso est aussi le président du Comité parlementaire pour la sécurité de la République (Copasir), et il a utilisé son statut pour discuter du sujet avec des responsables états-uniens, mettant en scène le fait que FdI n’avait rien à cacher sur le sujet.
Cette attitude semble laisser la Lega seule contre tous. Matteo Salvini s’était, début septembre, prononcé contre les sanctions envers la Russie. Le Parti démocrate, de centre-gauche, s’est engouffré dans la brèche pour demander de la « clarté » sur les fonds russes. Et même Mario Draghi, l’actuel chef du gouvernement, a appelé le secrétaire d’État états-unien Antony Blinken pour savoir si l’Italie était concernée.
Washington a assuré que l’Italie n’était pas concernée par ce rapport, mais cela n’a guère apaisé la polémique. Chacun s’attend, en Italie, à ce que des révélations viennent toucher la Lega sur ce point. Matteo Salvini est clairement dans le viseur et se montre ouvertement « agacé » par ces soupçons. « Nous poursuivrons ceux qui nous accusent de recevoir des fonds russes parce que je n’en peux plus de ces soupçons », a-t-il martelé mercredi, avant de déclarer que « l’on n’a jamais trouvé de preuves de ces financements parce qu’ils n’existent pas ».
Reste que le soutien de Giorgia Meloni, qui a fait de la défense de l’Ukraine un point central de sa campagne, est inexistant, tandis que celui de Silvio Berlusconi est très général puisqu’il s’est contenté de déclarer que « le seul parti qui a reçu des fonds russes en Italie, c’est le Parti communiste » – le (très) lointain ancêtre du Parti démocrate.
L’impression générale est bien que sur bon nombre de sujets, la coalition de droite aura du mal à construire une politique cohérente. Dans la dernière semaine de campagne, l’enjeu serait peut-être moins de combattre des adversaires divisés, que de se positionner au mieux pour l’avenir et les futures discussions gouvernementales.
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