Wall Street et diverses entreprises, grandes et petites, ont salué l’élection de Trump avec une exaltation qui anticipait ses promesses de campagne visant à l’élimination des réglementations [1] qu’ils considèrent comme onéreuses. Ce qu’il a commencé à faire depuis sa prise de fonction. Les capitalistes s’engouffrent afin de profiter de ces ouvertures pour ratisser encore plus de profits.
Le 13 février, il y a eu des protestations de la part des travailleurs et travailleuses de la restauration rapide contre le candidat de Trump au poste de secrétaire au Travail, Andrew Puzder. Pudzer est le propriétaire de la chaîne de fast-food Carl’s Jr. et Hardee’s. C’est un ennemi juré des travailleurs, du droit du travail et du ministère du Travail qu’il aurait dirigé ! Il a retiré sa nomination après que certains Républicains [il ne pouvait, dès lors, obtenir les 51 voix sur 100 au Sénat] se sont retournés contre lui, non pas pour son dossier anti-travail – « Nous ne voulons pas d’un secrétaire au Travail qui gagne des millions pendant que ses employés gagnent à peine de quoi manger », a déclaré le sénateur démocrate Bernie Sanders – mais parce qu’il avait employé comme domestique, au noir, une migrante en situation irrégulière et n’avait pas payé ses impôts.
Le lendemain, un rassemblement de 20’000 personnes a eu lieu à Milwaukee pour défendre les immigrants et les réfugiés. Le 17 février, un jeudi, de nombreux travailleurs sans papiers sont restés à la maison dans le cadre d’« Une journée sans immigrés » [voir sur ce site l’article en date du 20 février 2017]. Le lendemain, des actions dans une centaine de villes appelées par Strike4Democracy ont regroupé 100’000 personnes, selon les organisateurs.
Au cours du week-end, des milliers ont pris la rue. A New York, il y avait une marche funèbre dans le style de La Nouvelle-Orléans pour le président, avec une fanfare et un cercueil. Les manifestants LGBT se sont embrassés à l’extérieur de l’hôtel Trump à Washington DC. Il y a eu des actions et manifestations à Chicago, Dallas, Minneapolis, Los Angeles et le long de la frontière avec le Mexique.
Le 20 février, los de la Journée des présidents – jour férié, le troisième lundi de février, en l’honneur des présidents –, ont été convoquées par les manifestant·e·s, dans de nombreuses villes, des manifestations placées sous le slogan : « Pas le jour de mon Président ».
Trump a subi deux revers apparents. L’un reposait sur une campagne du Parti démocrate, aidée par des fuites provenant d’agences d’espionnage, accusant Trump d’être de mèche avec la Russie contre les Etats-Unis. La seconde était une décision de la Cour d’appel de San Francisco maintenant la suspension de son décret interdisant d’entrer aux Etats-Unis à quiconque provenant de sept pays à majorité musulmane.
1° Les fuites ont concerné le choix par Trump du général à la retraite Michael Flynn en tant que conseiller à la Sécurité nationale. Les fuites auraient été des enregistrements par le FBI de discussions de Flynn – ayant trait à des sanctions américaines imposées par Obama – avec l’ambassadeur de Russie, Sergei Kislyak. Trump a laissé Flynn s’en aller au motif qu’il a menti au vice-président Mike Pence en niant avoir eu de telles discussions, et non pas sur la question plus vaste des relations avec la Russie.
Trump menace de nettoyer les agences d’espionnage, et d’autres départements. Il exige la loyauté à son programme.
Cela a soulevé une question difficile pour les Démocrates et ceux dans la CIA ou le FBI qui sont opposés à Trump. Trump dit qu’il s’agissait de fuites d’informations classifiées. Il exige donc que les personnes à l’origine des fuites soient jugées et emprisonnées pour avoir enfreint la loi. Il a raison d’affirmer qu’ils ont violé la loi.
Mais c’est la même loi que les administrations précédentes ont utilisée pour emprisonner les lanceurs d’alertes qui ont divulgué des informations [700’000 documents transférés à WikiLeaks] dénonçant des actes néfastes du gouvernement, y compris Chelsea Manning emprisonnée pendant sept ans sous Obama parce qu’elle a exposé des crimes de guerre, entre autres contre les populations civiles, commis par les troupes américaines en Irak [arrêtée en juin 2010, elle avait été condamnée en 2013 à 35 ans de prison ; le 17 janvier Obama a commué sa peine et elle devrait être libérée en mai 2017]. C’est aussi la même accusation lancée contre Edward Snowden qui a mis en lumière le vaste programme d’espionnage que le gouvernement finance contre le peuple américain, entre autres choses.
Le FBI a-t-il enfreint la loi en espionnant le citoyen américain Michael T.Flynn ? Non, dit le FBI, parce qu’ils ne surveillaient que l’ambassadeur russe quand ils ont enregistré sa conversation avec Flynn. Mais l’enregistrement lui-même est classé, donc la fuite est un crime grave.
Tant les Démocrates que les Républicains ont applaudi l’emprisonnement de Manning [Trump avait prononcé des remarques vulgaires à propos de son changement de sexe]. Ils ont fait de même pour d’autres qui ont divulgué des informations classifiées. Ils ont exigé l’arrestation de Snowden. Certains, comme la sénatrice démocrate Dianne Feinstein – sénatrice du Parti démocrate depuis 1992, représentant la Californie – ont exigé que Snowden soit jugé pour trahison. Certains, comme Trump lui-même, ont appelé à la condamnation à mort de Snowden.
Au cours de la campagne électorale, lorsque des fuites (peut-être à partir de hackings par les Russes) d’intrigues peu ragoûtantes de l’establishment démocratique et d’Hillary Clinton contre Bernie Sanders ont été révélées, Trump a applaudi ces fuites !
Donc, savoir si les fuites d’informations classifiées doivent être poursuivies dépend, sur le fond, d’un critère : sont-elles favorables ou non aux positions de cette bande de politiciens capitalistes. Voilà un autre symptôme de trouble et de désarroi sur la scène politique des Etats-Unis, qui joue en faveur de l’affirmation de Trump comme quoi un homme fort est nécessaire pour « régler les choses », « mettre de l’ordre ».
Le système de centaines de millions de secrets gouvernementaux « classés » pour dissimuler les crimes du système est une attaque contre les droits démocratiques, voire la démocratie bourgeoise. A bas tout ce système ! Vive les lanceurs d’alertes et les « fuites » !
« L’ordre mondial » dominé par l’impérialisme américain depuis la Seconde Guerre mondiale s’efface, s’éclipse. Ce qu’il faut faire, c’est mettre la classe dirigeante américaine face à un dilemme. Certains, comme Hillary Clinton, veulent pousser vers la confrontation militaire avec la Russie. Trump semble vouloir passer un accord avec la Russie et faire un pas vers la Chine. Pour l’heure tout est en l’air. Et ce que Trump fera est inconnu, peut-être même par lui.
2° En ce qui concerne l’ordonnance du tribunal qui bloque l’interdiction de l’entrée de personnes issues des sept pays mentionnés, Trump organise la contre-offensive de deux façons. La première, il continue d’insister sur le fait que les tribunaux n’ont pas voix au chapitre, que c’est la seule prérogative de celui qui agit en tant que président. Dans l’intervalle, son administration se prépare à réintroduire l’interdiction sous un nouveau libellé afin de contourner la décision du tribunal, et de contester les tribunaux de statuer sur la nouvelle formulation, tout en mettant en œuvre sa nouvelle version.
Il a lancé une offensive massive sur un autre front face aux manifestations de masse contre ses attaques visant les immigrants. Son secrétaire à la Sécurité intérieure, John Kelly, a publié de nouvelles règles pour accélérer les expulsions massives d’immigrants sans papiers.
Selon de nouvelles lignes directrices vagues, des millions d’immigrant·e·s pourraient être expulsés. Presque tous les sans-papiers pourraient être détenus et expulsés, même s’ils n’ont jamais commis de crime alors qu’ils se trouvaient aux Etats-Unis. Une violation de la circulation automobile ou un simple soupçon par les agents d’immigration d’avoir commis un crime constituerait un motif d’expulsion. Tout immigrant qui ne pourrait pas prouver qu’il n’a pas été aux Etats-Unis depuis au moins deux ans serait expulsé. Les parents qui amènent des enfants sans papiers aux Etats-Unis seraient arrêtés et emprisonnés.
Les lignes directrices affiment : « Avec des exemptions extrêmement limitées, le DHS [Department of Homeland Security] ne va pas s’abstenir de renoncer à l’application potentielle (sic) [de mesures d’éloignement ou de refoulement] d’étrangers ». Pour l’instant, la seule exemption est celle qui a été introduite, sous Obama, concernant les enfants que leurs parents ont amenés avec eux aux Etats-Unis [voir sur cette mesure nommée DACA la note 2 de l’article publié sur ce site en date du 25 février]. Mais cette mesure pourrait changer suite à un caprice de la nouvelle administration.
Pour mener à bien ces nouvelles lignes directrices, qui reprennent la machine de déportation d’Obama et la muscle aux stéroïdes, 15’000 nouveaux agents d’immigration et de patrouille frontalière seront embauchés. C’est le début de ce que Trump a proposé dans sa campagne : la mise en place d’une nouvelle « force de déportation ».
L’attaché de presse de Donald Trump, Sean Spicer, a déclaré que « le président voulait enlever leurs entraves aux agents de l’immigration et aux patrouilles frontalières ».
Trump vise à démoraliser et à effrayer les immigrant·e·s. Beaucoup d’entre eux disposent de documents mais ont des membres de la famille qui sont sans papiers. Ils constituent aussi des cibles pour une intimidation. Trump espère briser leur détermination à se battre, mais cela aura probablement l’effet inverse.
Beaucoup de progressistes ont espéré que la décision de la cour concernant l’interdiction des musulmans (Muslim ban) et les fuites du FBI indiquaient que les « pouvoirs » allaient bientôt jeter (to dump) Trump. Mais la nouvelle offensive du démagogue trahit cet espoir.
La classe dirigeante se débrouille assez bien avec Trump. Sa suppression des réglementations sur la production de combustibles fossiles, des « régulations » bancaires, et ses promesses d’allégements fiscaux pour les entreprises, grandes et petites, remontent leur moral et poussent à la hausse le marché boursier à des niveaux historiques. Même les propriétaires de prisons privées (une atrocité en elle-même) ont vu la cotation en Bourse de leurs sociétés grimper. La nouvelle secrétaire à l’éducation, la milliardaire Betsy De Vos – nommée grâce à la voix du vice-président Mike Pence venu, au dernier moment, au Sénat pour assurer la majorité de 51 votes –, promet de mettre fin à la réglementation des « fausses universités », favoriser le système d’éducation qui est source de profits. Les sociétés cotées en Bourse dans ce secteur ont aussi réagi à la hausse.
Nous ne pouvons placer nos espoirs dans une limitation des décisions de secteurs opposés partiellement à Trump [parmi des Républicains], ni dans leurs laquais du Parti démocrate. A l’heure actuelle, nous devons nous devons mettre nos forces dans les manifestations de masse et les aider à s’unir. Et cela, dans la perspective de créer une nouvelle force politique pour arrêter ce dictateur. (Article reçu le 23 février 2017 ; traduction A l’Encontre)
[1] Selon Le Figaro du 26 février 2017 : « Cinq semaines après son entrée à la Maison-Blanche, l’Amérique a déjà débuté au pas de charge son retour vers « la grandeur », assure Donald Trump. Pour son conseiller stratégique, Steve Bannon, cette renaissance passe par « la déconstruction de l’Etat administratif », amorcée avec une multitude d’ordres présidentiels restreignant le poids de la bureaucratie et sa production de réglementations. Les deux hommes se sont succédé jeudi et vendredi, 24 et 25 février, devant la Conférence conservatrice d’action politique (CPAC), près de Washington. Pour le président, c’était une occasion de mesurer la conversion des multiples courants républicains au trumpisme. « Vous avez finalement un président, ce sont les patriotes tels que vous qui l’ont permis », a-t-il dit dans un nouveau discours électoral, ponctué d’attaques contre « les infos bidon » de certains médias « ennemis du peuple américain ». « Je continuerai à me battre pour vous » […] « Nous allons mettre au chômage l’industrie de la réglementation » et « personne n’osera plus défier notre puissance militaire ». « Nous sommes américains, rien n’est hors de notre portée. » Pour Steve Bannon, conseiller de l’ombre déjà perfidement surnommé « le cerveau de Trump » par le New York Times – comme en son temps Karl Rove auprès de George W. Bush –, c’était la première sortie publique depuis l’élection qu’il a contribué à gagner. Fidèle à sa réputation d’insurgé, il a promis une lutte de tous les instants contre les ennemis de la révolution trumpienne. « Si vous croyez qu’ils vont vous rendre votre pays sans se battre, a-t-il dit à l’assistance, vous vous trompez tristement. Ça va être un combat de chaque jour. » « Ils », ce sont « les médias corporatistes et mondialistes » qui « pleurnichaient et sanglotaient » le soir de l’élection. Ce « parti d’opposition » reste « implacablement opposé au nationalisme économique du programme de Donald Trump ». […] Son projet « nous unit […], que vous soyez populiste, conservateur partisan d’un gouvernement limité, libertarien ou nationaliste économique ». […] Pour sa [de Trump] conseillère spéciale Kellyanne Conway, la CPAC pourrait tout aussi bien se rebaptiser TPAC, Conférence trumpienne d’action politique. »
C’est aussi cet « Eat administratif » qui ne sait produire que des impôts, des règlements et des accords de libre-échange défavorables aux Etats-Unis. Pour Bannon, le retrait du Partenariat transpacifique décidé par Trump constitue « l’un des moments les plus importants de l’histoire américaine », celui où le pays a commencé à reprendre sa souveraineté. « Nous sommes une nation avec une économie qui n’est pas juste une sorte de marché global aux frontières ouvertes, dit-il, mais une nation qui a une culture et une raison d’être. » Trump, assure-t-il, tiendra toutes ses promesses de campagne (la comptabilité tenue par le Washington Post en a recensé 282). Trump et ses troupes ont fait un long chemin pour rallier la « base » et incarner « l’avenir du Parti républicain ». En février 2015, la CPAC avait hésité à inviter l’homme d’affaires pas encore candidat, redoutant qu’il n’utilise sa tribune que pour son autopromotion. Il n’y avait pas manqué, mais avait aussi énuméré tous les thèmes et toutes les formules qui allaient faire le succès de sa campagne : « Nous devons reprendre le contrôle de notre pays, l’Amérique ne gagne plus, je détruirai l’Etat islamique, il faut durcir les contrôles de l’immigration, on a besoin d’un mur à la frontière… » Steve Bannon, lui, y était jugé si sulfureux qu’il avait été tenu à l’écart, organisant même une conférence concurrente sous le titre « Les non-invités ».
Deux ans plus tard, Donald Trump n’a pas changé d’un iota, mais les applaudissements polis en faveur d’un outsider sont devenus les bruyantes ovations envers un président au faîte de sa puissance. »