Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

Environnement : la question des sables bitumineux

Plusieurs des plus importantes luttes actuelles aux États-Unis autour des enjeux environnementaux concernent les industries du pétrole et du charbon. Ici, nous nous penchons plus précisément sur l’exploitation, très problématique, des sables bitumineux.

Les sables bitumineux sont une substance épaisse, noire et gluante qui doit être soit chauffée, soit mélangée à des hydrocarbures toxiques plus légers pour pouvoir s’écouler à travers un pipeline. Ces sables sont composés d’argile, de sable, d’eau et de pétrole. Chaque étape du procédé est écologiquement dévastatrice — extraction, traitement, transport et raffinage. Les gisements de sables bitumineux se trouvent sous la vaste forêt boréale canadienne de l’Alberta (par ailleurs, le Venezuela possède d’autres gisements importants).

Pour extraire les sables bitumineux, les compagnies pétrolières taillent des coupes franches dans les forêts anciennes (une source importante de la séquestration du carbone), créent de longues carrières à ciel ouvert à l’emplacement de la forêt et utilisent d’énormes quantités d’eau douce et de gaz naturels pour séparer l’huile des autres substances. La production d’un baril de pétrole nécessite quatre barils d’eau. L’exploitation terminée laisse derrière elle d’immenses lacs toxiques (bassins de résidus miniers). Le lien a été établi entre leur présence et le niveau anormalement élevé de cancers chez les populations des environs.

L’industrie pétrolière des États-Unis étend les installations de traitement de ce pétrole hautement toxique à travers un réseau de raffineries et de pipelines, y compris la raffinerie Marathon Oil située à proximité de mon domicile au sud-ouest de Detroit. L’extraction du pétrole des sables bitumineux rejette des résidus polluants qui sont directement liés au développement de cas d’asthme, d’emphysème et de malformations congénitales. Mais aussi horrible que puisse être le mal fait aux collectivités proches du pipeline et des raffineries, la plus grande menace est l’accélération d’une surchauffe fatale de notre planète.

Un pétrole très sale

Les sables bitumineux sont du «  pétrole sale  ». Cela signifie que l’extraction, le transport et le raffinage sont plus difficiles que pour le pétrole conventionnel  ; un baril de pétrole de sables bitumineux est responsable de trois fois plus de pollution que le pétrole conventionnel. TransCanada a un projet en quatre tranches pour transporter le pétrole des sables bitumineux vers les raffineries des États-Unis. Deux tranches, déjà en activité, acheminent 800 000 barils par jour de l’Alberta jusqu’à plusieurs raffineries aussi loin vers le sud que Cushing en Oklahoma. Les tranches sud du tracé du pipeline s’étendraient jusqu’aux côtes du Texas, permettant à la fois le raffinage et l’expédition par bateau.

La section la plus controversée est le projet qui augmenterait la capacité de transport de 900 000 barils par jour. Il s’agit du pipeline KeystoneXL, long de 1 700 miles, reliant l’Alberta à Steele City (Nebraska). Ce fournisseur de pétrole renforcerait considérablement la dépendance des États-Unis envers les combustibles fossiles, alors qu’il est urgent de prendre des solutions opposées afin de réduire le réchauffement climatique.

Les niveaux actuels de dioxyde de carbone dans l’atmosphère sont d’environ 390 ppm, soit environ 40 ppm au-delà d’un niveau considéré comme suffisamment «  sûr  » pour assurer la stabilité du climat. L’investissement de 7 milliards de dollars pour ajouter du «  pétrole sale  » semble fou. Pour cette raison, ainsi que pour les retombées sur les riverains, la lutte contre le Pipeline Keystone XL est devenue un point central du combat contre le changement climatique.

Parce que la construction du Pipeline Keystone XL a été conçue de manière à traverser 92 miles de l’aquifère d’Ogallala, un des plus grands réservoirs souterrains d’eau douce au monde, la coalition qui s’y est opposée est exceptionnellement large. Formé il y a 20 millions années, l’aquifère spongieuse alimente en eau potable deux millions d’habitants du Middle West ainsi qu’en eau les agriculteurs de huit États. Par endroits, la profondeur des nappes est de 1 200 pieds, mais parfois elles se situent près de la surface.

Durant l’été 2011, un groupe de douze personnalités dont l’environnementaliste Bill McKibben, fondateur de «  350.org  », le climatologue de la NASA James Hansen, Tom Goldtooth du «  Réseau environnemental indigène  », l’auteur Naomi Klein et l’acteur Danny Glover, a appelé à la désobéissance civile devant la Maison blanche pour exiger que le président Obama refuse d’approuver le permis international. En deux semaines, 1 253 personnes ont été arrêtées. En janvier 2012, Obama a rejeté la demande de TransCanada, indiquant que le projet, en raison des préoccupations environnementales, nécessitait davantage d’études. Mais l’approbation du président et du département d’État américain n’est exigée que pour le tronçon entre le Canada et les États-Unis.

Immédiatement après le rejet d’Obama, TransCanada a éclaté le projet en deux, un plan nord et un plan sud. En juillet, l’entreprise avait obtenu les autorisations pour le dernier des trois permis requis pour la construction du pipeline sur la portion Oklahoma – côte du golfe du Texas et les terrassements avaient commencé en août. En quelques jours, des membres du «  Blocus des sables bitumineux  » se sont postés devant les équipements de deux chantiers et ont déployé leurs banderoles. Le président Obama, cependant, a apporté son soutien à la construction de la voie du sud et offert son aide pour couper tout «  ruban rouge  » qui pourrait entraver son avancement – comme si les lois sur l’environnement étaient un simple désagrément.

Pendant ce temps, l’entreprise a déposé une nouvelle demande d’autorisation pour la partie internationale, faisant passer le pipeline à «  seulement  » 10 miles de l’Aquifère Ogallala. TransCanada affirme que le projet est conçu de manière à être parfaitement sûr  ; toutefois, depuis l’ouverture du premier tronçon, il y a eu douze fuites. Le concurrent de TransCanada, Enbridge Energy Partners, possède un pipeline qui dessert la raffinerie Marathon Oil (sud-ouest de Detroit). Lors d’un incident il y a deux ans, un million de gallons de pétrole brut issu des sables bitumineux s’est déversé dans la baie près de Marshall dans le Michigan. Du fait de sa densité, le pétrole brut s’est déposé sur le fond et les opérations de nettoyage sont toujours en cours.

TransCanada soutient que le projet Pipeline Keystone XL permettra de créer 20 000 emplois directs et 119 000 indirects. Les syndicats américains du BTP se montrent enthousiastes. Des études plus réalistes estiment à 6 500 sur deux ans les emplois pour des travailleurs des BTP et à 7 000 les emplois indirects liés à la durée d’exploitation du pipeline. Les politiciens favorables au projet prétendent que celui-ci va sécuriser l’approvisionnement des États-Unis en pétrole et clament que, contrairement aux pays producteurs du Moyen-Orient, les «  valeurs  » canadiennes sont similaires aux «  valeurs  » américaines.

Des syndicats divisés

Malheureusement, ce dossier divise le mouvement syndical et paralyse l’«  Alliance Bleu-Vert  », la principale organisation qui a concilié par le passé les efforts des syndicats et des environnementalistes.

Le président de la fédération syndicale ATU (Amalgamated Transit Union) Larry Hanley a souligné que «  les études scientifiques prouvent que [le pipeline] contribuera à plus de changements climatiques et créera un environnement hostile sur notre planète.  » L’ATU, dans une déclaration conjointe avec le syndicat TWU (Transport Workers Union of America), a exhorté Obama à rejeter la demande. Mais le président de la fédération LIUNA, Terry O’Sullivan, leur a lancé un défi en proclamant qu’«  il est temps pour ATU et TWU de sortir des jupes des groupes environnementaux en plein délire qui entravent la création de bons et nécessaires emplois américains.  » Les syndicats de la construction et du BTP ont fait pression lors des auditions du Congrès et de l’État, transportant leurs membres aux audiences. Quatre syndicats ont signé des conventions avec TransCanada, garantissant la couverture syndicale pour les emplois américains de construction.

Au Canada, le Conseil canadien du travail et la Fédération du travail de l’Alberta s’opposent au Keystone XL pour plusieurs raisons, notamment le fait que le Canada n’ait pas un plan énergétique global. David Coles, le président du syndicat canadien de l’énergie, et d’autres responsables syndicaux se sont joints l’année dernière à la manifestation de Greenpeace sur la colline du Parlement (Parliament Hill, Ottawa). S’adressant à la foule, Coles a demandé, «  Comment diable peut-on dissocier emploi, environnement et droits des Premières Nations [Indiens]  ?  »

Alors que les compagnies pétrolières et les politiciens banalisent les préoccupations environnementales, James Hansen, scientifique de la NASA , affirme que l’exploitation continue des sables bitumineux déstabilise le climat au point que «  à la base, la partie est terminée.  »

La nouvelle demande d’autorisation internationale ne sera examinée qu’après les élections de novembre. Les écologistes travaillent sur des projets locaux  : les arasements de montagnes dans les Appalaches et les fracturations hydrauliques dans les États de Pennsylvanie, du Michigan et de New York.

Ce qui est crucial dans la lutte autour de Keystone XL, c’est qu’elle soulève la question du changement climatique en même temps que les autres problèmes environnementaux, allant de l’eau potable à la qualité de l’air, aux droits des travailleurs et des populations à un environnement sûr, des deux côtés de la frontière.

* Publié dans : Revue Tout est à nous ! 37 (novembre 2012). Titre et intertitres sont de la rédaction de TEAN La Revue. Article traduit par Ven K. Praga.

* L’auteure est membre de l’organisation anticapitaliste étatsunienne Solidarity.

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