Les Artistes pour la paix, qui comptent près de 700 membres et sympathisants, tiennent à se joindre au mouvement de protestation contre le projet Énergie Est de transport du pétrole lourd en provenance des sables bitumineux de l’Alberta, puisqu’il constitue sous plusieurs angles une atteinte directe à la paix sociale et à la paix entre les peuples du monde.
Puisque cette atteinte à la paix interpelle directement l’engagement et la mission des APLP, nous souhaitons attirer l’attention de la Commission d’examen du BAPE sur cette problématique, et cela tant sur le plan environnemental, humain que géopolitique.
Dans ce mémoire, nous allons :
1. présenter sommairement les APLP ainsi que notre mission et notre engagement dans les dossiers environnementaux ;
2. expliquer l’atteinte à la paix sur le plan environnemental ;
3. sur le plan social ;
4. sur le plan humain ;
5. sur le plan de la géopolitique mondiale ;
6. et conclure avec notre vision de l’art comme arme de construction massive.
1. Présentation des Artistes pour la Paix
Les APLP voient le jour à Montréal en 1983 sous l’égide de l’organisme international Performing Artists for Nuclear Disarmement. La mission des APLP s’articule autour de la promotion de l’idéal d’une paix durable, obtenue pacifiquement, en misant sur le désarmement, l’éducation, la justice sociale, le rejet de toute forme de discrimination, l’ouverture à l’autre, le féminisme, le respect de la nature et l’engagement envers l’Art vu comme vecteur de Paix.
La mission des Artistes pour la Paix se décline en sept mandats relatifs à la paix et les arts. Les APLP appellent à protéger la nature contre les assauts répétés des projets industriels, miniers (amiante) et pétroliers dommageables, telle la construction du pipeline TransCanada favorisant le transport du pétrole des sables bitumineux.
Les APLPaix se sont alliés par le passé à de nombreux groupes citoyens et écologistes qui ont fait reculer le gouvernement dans sa volonté d’exploiter les gaz de schistes dans la vallée du Saint-Laurent. Également, il ont participé à la Marche des peuples pour le climat à Montréal (21 septembre 2016), à la marche 100% possible à Ottawa (26 octobre 2015), la marche à Cacouna contre le projet de port pétrolier (septembre 2014) et enfin à la marche à Sorel contre le pétrole des sables bitumineux (26 octobre 2014).
Enfin, à chaque année, les APLP décernent le Prix de l’artiste pour la paix. Cette année, les APLP ont voulu souligner l’engagement pour la paix et la protection de l’environnement de l’artiste anishnabe Samian. Cet artiste multidisciplinaire fait aussi partie d’un jury présidé par Louise Arbour qui sélectionnera 40 personnalités engagées pour le 40e anniversaire de la Charte des droits et libertés de la personne.
2. Atteinte à la paix sur le plan environnemental
Sur le plan environnemental, le projet Énergie Est constitue une atteinte à la paix car il découle directement de la destruction de l’écosystème nord-albertain. L’exploitation des sables bitumineux de l’Alberta est considérée comme un des pires écocides [1] au monde.
À ce chapitre, un mouvement mondial qui a vu le jour en 2010 veut faire reconnaitre le crime d’écocide au niveau du droit international comme un crime contre la paix et l’humanité [2]. Le Mouvement Endecocide présentait d’ailleurs au Président Hollande un appel en ce sens au cours de la Conférence de Paris sur les changements climatiques en décembre 2015.
Particulièrement au Québec, le projet Énergie Est constitue un risque d’écocide supplémentaire puisqu’en traversant 860 cours d’eau, le pipeline menace directement les sources d’eau potable de plus de trois millions de Québécois [3].
De plus, tel que souligné par le professeur en écotoxicologie, Émilien Pelletier, lors de son passage devant le BAPE en mars dernier, un déversement de bitume dilué dans le fleuve Saint-Laurent en hiver, en présence de glaces mouvantes, serait presque catastrophique en raison des difficultés d’intervention.
Enfin, le projet de TransCanada aurait une conséquence directe sur les changements climatiques puisqu’il augmenterait de 30 à 32 millions de tonnes de GES les émissions de l’industrie des sables bitumineux, soit l’équivalent d’un ajout sur nos routes, de 7 millions de voitures.
Le Gouvernement du Québec doit prendre acte de sa part de responsabilité face aux lourdes conséquences environnementales et humaines de la hausse des températures du globe de plus de 2 degrés par rapport à la période pré-industrielle.
Pour toutes ces raisons qui touchent la destruction de notre environnement, les APLP considèrent le projet Énergie Est comme un crime contre la paix et contre l’humanité.
3. Sur le plan social
Sur le plan social, le projet Énergie Est constitue une atteinte à la dynamique démocratique du Québec. En effet, en refusant de soumettre un avis de projet au Ministère de l’Environnement pour se conformer à la loi sur la qualité de l’environnement du Québec, TransCanada contourne nos institutions politiques, ce qui constitue un acte de violence symbolique.
De plus, les consultations menées par la Communauté Métropolitaine de Montréal (CMM) montrent qu’il n’y a pas d’acceptabilité sociale pour ce projet. Les consultations publiques ont conduit les 82 municipalités qui forment la CMM à s’opposer au projet Énergie Est en janvier 2016. En ce sens, il s’agit d’un non-respect de la volonté populaire.
4. Sur le plan humain
Sur le plan humain, les projets d’oléoducs représentent un risque significatif pour les autochtones du Québec, qui, en raison de leur lien privilégié à la terre et au territoire, sont directement concernés par les risques environnementaux et particulièrement vulnérables aux changements climatiques, sans compter le fait que les régions nordiques sont déjà touchées de plein fouet par l’augmentation globale des températures.
Le Gouvernement du Québec continue de faire la sourde oreille aux inquiétudes manifestées par l’Assemblée des Premières Nations du Québec et du Labrador, le Conseil Mohawk de Kanesatake et d’autres membres des Premières Nations qui se sont exprimés en ce sens.
Conséquemment, les APLP considèrent que tant que le Gouvernement du Québec n’aura pas consulté les Premières Nations en bonne et due forme, le projet constitue une atteinte à leurs droits ancestraux constitutionnels et un refus d’obtempérer au principe du consentement libre préalable et éclairé tel qu’établi par la Cour suprême du Canada dans le jugement Tsilhqot’in (2014, SCC 44).
Notons également que la Cour suprême de Colombie-Britannique a statué en janvier dernier que la province avait « porté atteinte à l’honneur de la Couronne » en ne consultant pas les Premières Nations au sujet du projet du pipeline Northern Gateway de la compagnie Enbridge.
Les Premières Nations se considèrent à juste titre les « otages économiques du Canada [4] » et des multinationales pétrolières, ce qui constitue également un cas d’injustice environnementale puisque qu’il fait porter à une frange défavorisée de la population la majeure partie des risques associés au problème environnemental que soulève le projet Énergie Est.
Par conséquent, les APLP considèrent qu’en matière de consultations des autochtones, le projet de TransCanada et la position du Gouvernement constituent une entrave importante à la paix et à la cohésion sociale au Québec.
5. Sur le plan de la géopolitique mondiale
Sur le plan de la géopolitique mondiale, les risques guerriers engendrés par l’économie pétrolière mondiale sont avérés, et les APLP se sont positionnés à plusieurs reprises sur ces enjeux [5]. Sans conteste, le projet de TransCanada s’inscrit dans ce paradigme de l’économie du pétrole aux retombées destructrices.
En effet, depuis les empires pétroliers bâtis entre les deux grandes guerres jusqu’à l’intensification récente du terrorisme financé par le pétrole irakien, en passant par les guerres du Golfe (1990 et 2002), le marché du pétrole qui domine l’économie mondiale a été un instrument de destruction massive et d’iniquité sociale.
À l’inverse, la communauté internationale s’est engagée à décarboniser l’économie mondiale lors de la rencontre de la COP21 en décembre 2015. L’Accord de Paris constitue un exemple de solidarité des peuples autour de l’objectif commun de limiter la hausse des températures globales sous la barre des 2 degrés Celsius.
Le Québec, en s’engageant dans le projet Énergie Est, se désolidarise de la communauté internationale, ce qui constitue un recul envers la justice climatique à l’échelle planétaire.
6. Conclusion
Pour toutes ces raisons, les APLP sont résolument engagés dans l’appui au principe de la transition énergétique et dans la lutte aux changements climatiques.
Depuis l’annonce du projet Énergie Est et la construction d’un port pétrolier à Cacouna, les APLP ont été de toutes les manifestations pour faire reculer ce projet, comme nous le signalions en introduction, et sont à ce titre également signataires du manifeste Élan global et d’Un Bond vers l’avant.
Le territoire québécois et en particulier le fleuve Saint-Laurent ont constitué une inspiration pour plusieurs générations d’artistes québécois, de Gilles Vigneault à René Derouin, en passant par Gatien Lapointe, Richard Séguin, Domlebo, Natasha Kanapé Fontaine, Joséphine Bacon, Michel Rivard, Félix Leclerc et bien d’autres encore.
« Le fleuve qui coule entre la rive nord et la rive sud, entre l’intérieur des terres et l’océan, entre notre passé le plus ancien et notre avenir, est non seulement ce qui nous abreuve, mais aussi ce qui nous relie à nous-mêmes et nourrit notre imaginaire. Si une catastrophe se produisait, ce serait une perte irrémédiable de beauté et de mémoire. Abandonner le fleuve aux intérêts financiers à court terme, c’est compromettre la suite du monde. [6]
En refusant Énergie Est, nous faisons un geste concret pour la paix dans le monde.