Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

En défense d’Ilhan Omar…

Le mythe de « l’exceptionnalisme » des États-Unis, puissance messianique porteuse d’un message démocratique universel s’apparente de plus en plus à un naufrage moral et politique.

Tiré de Entre les lignes et les mots

Aux États-Unis, la majorité républicaine de la Chambre des Représentants (une des deux chambres du Parlement, avec le Sénat) a exclu (par 218 voix contre 211) la députée Ilhan Omar de la Commission des affaires étrangères. Les motifs invoqués accumulent des accusations publiques touchant à la politisation du Comité sur le renseignement, à des risques de sécurité et à des commentaires, datant de plusieurs années, de nature prétendument antisémites. Rien que cela… mais sans autres précisions.

En vérité, Ilhan Omar est sanctionnée et mise en accusation en particulier du fait de ses très vives critiques de la politique d’Israël. Elle avait notamment utilisé ces formules : «  Israël a hypnotisé le monde » en ajoutant « qu’Allah réveille les gens et les aide à voir les méfaits d’Israël  ». Ilhan Omar s’est excusée pour certaines formules controversées, mais l’accusation d’antisémitisme est manifestement contrefaite. Ilhan Omar a d’ailleurs voté en faveur de textes parlementaires condamnant explicitement l’antisémitisme, et elle a souligné « qu’être opposé à Netanyahou et à l’occupation, ce n’est pas la même chose qu’être antisémite ». Elle a aussi déclaré « qu’attirer l’attention sur le régime israélien d’apartheid est loin de haïr les juifs ».

On note qu’elle a obtenu le soutien de Bernie Sanders (qui est juif), et même celui de Nancy Pelosi (ex-présidente de la Chambre des Représentants) qui a déclaré : «  je ne pense pas que son intention était antisémite ». A l’évidence, Ilhan Omar est sanctionnée pour ses attaques (légitimes) contre le soutien permanent des États-Unis à Israël, et certainement pour son appui au mouvement BDS (boycott, désinvestissements, sanctions) à l’encontre de la politique israélienne.

Les Démocrates insistent aussi sur le fait que cette expulsion d’Ilhan Omar de la Commission des affaires étrangères résulte d’une « promesse » faite par Kevin McCarthy lors de sa campagne électorale. McCarthy, élu de Californie, est devenu président de la Chambre des Représentants. Avant Ilhan Omar, il avait déjà expulsé deux élus Démocrates de la même Commission. A noter que sa « promesse » avait été faite en rétorsion à l’exclusion de deux Républicains d’extrême droite décidée par la précédente majorité démocrate.

Enfin, si Kevin McCarthy met toute son énergie à sanctionner une élue américaine noire, ex-immigrée venant d’Afrique (d’origine somalienne), il a en revanche refusé de sanctionner Lauren Boebert, élue (de justesse) du Colorado. Lauren Boebert est une ultra-conservatrice d’extrême droite qui, au cours d’un premier mandat, a bataillé pour porter une arme au sein du Capitole, et n’a pas hésité à chahuter le Président Biden alors que celui-ci parlait de son fils décédé. Quelle élégance…

Enfin, Ilhan Omar a obtenu le soutien très net d’ONG juives. Selon le quotidien israélien The Times of Israël (du 2 février 2023) «  … plusieurs groupes juifs, et notamment la branche activiste du mouvement Réformé, avaient dénoncé des propos tenus par McCarthy sur Omar. Le ton du courrier qui avait été diffusé en décembre dernier était inhabituellement combatif pour des ONG juives, et il laissait entendre que McCarthy lui-même a davantage flirté avec l’antisémitisme que cela n’a été le cas d’Omar. En tant qu’organisations juives américaines, nous nous opposons à la promesse faite par Kevin Mc Carthy de priver la représentante Ilhan Omar de son siège à la Commission des affaires étrangères de la Chambre sur la base d’accusations mensongères qui ont laissé entendre qu’elle serait antisémite ou anti-israélienne  », notait la missive. «  Nous pouvons nous-mêmes être en désaccord avec les opinions de la membre du Congrès Omar, mais nous rejetons de manière catégorique l’idée que ses positionnements ou ses déclarations politiques quelles qu’elles soient justifient que sa présence au sein de la commission soit disqualifiée  ».

Kevin McCarthy (peut-être candidat à la candidature et rival potentiel de Donald Trump pour la présidentielle de novembre 2024) est souvent présenté comme une homme politique moins brutal et moins vulgaire que Trump, ce qui en soi n’est pas une grande performance… mais on voit bien que sa hargne contre Ilhan Omar le range dans une catégorie idéologique peu reluisante.

S’il fallait une autre démonstration de cette dérive radicalisée de la droite aux États-Unis, radicalisation que l’on retrouve dans bien d’autres configurations, en Israël, en Europe et ailleurs encore, on peut rappeler l’obsession du gouverneur républicain de l’État de Floride, Ron DeSantis, qui refuse catégoriquement (mais sans argument explicite) le programme (en phase pilote) d’études afro-américaines proposé aux élèves des lycées américains afin d’améliorer leurs connaissances avant l’Université. Il y est question d’histoire, notamment de l’esclavage, de la révolution haïtienne, mais aussi de sciences, d’art, de géographie, de politique… avec des contributions de personnalités afro-américaines. Le refus de ce programme est une mise à l’index discriminatoire.

Lorsqu’Ilhan Omar est intervenue devant la Chambre des Représentants pour s’expliquer et pour dire en quoi et comment elle revendique « d’être américaine »… les élus Républicains ne lui ont guère laissé plus de chance. Ce n’est pas un hasard. A l’évidence, certains veulent la rejeter non pas pour ce qu’elle dit (ou pas), mais pour ce qu’elle est : une femme, afro-américaine, musulmane, progressiste… De quoi faire trembler la « démocratie » américaine… Le mythe de « l’exceptionnalisme » des États-Unis, puissance messianique porteuse d’un message démocratique universel s’apparente de plus en plus à un naufrage moral et politique.

Jacques Fath, 06 02 2023

https://jacquesfath.international/2023/02/06/en-defense-dilhan-omar/

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