Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

Les syndicats ne sont pas des petits canards du Parc Belmont

Je me rappelle les manèges et attractions du Parc Belmont à Cartierville autrefois. On y trouvait entre autres, des kiosques de tir de fléchettes de plastique avec une carabine à air. On tirait sur des canards de bois attachés à une courroie qui faisait un cercle et qui ramenait les canards droit devant nous. Quand on « abattait » 3 canards on gagnait un toutou en peluche. Attachées à la courroie les canards de bois étaient des cibles faciles.

La CAQ tire allègrement sur les syndicats qui sont censés être attachés à la mécanique de « la négociation doit se faire à la table de négo et pas sur la place publique »

Pendant ce temps, Radio-Canada rapporte une réponse de Christian Dubé..

À un journaliste qui lui demandait si Québec se dirigeait vers une confrontation avec les syndicats, il a répondu : Je pense que la confrontation est déjà là. [1]

Sans surprise, après la protestation des syndicats, voilà François Legault qui en rajoute une couche en reprochant aux syndicats de ne pas venir négocier sur la place publique dans des forums où la CAQ contrôle totalement les sujets, les propositions et les pistes de solution. On peut difficilement imaginer un terrain plus miné d’avance.

Les attaques contre les directions syndicales ne sont pas de malheureux accidents de parcours, c’est une façon de placer les directions syndicales sur la défensive… une tentative de les réduire au rôle de petits canards de bois du parc Belmont.

La stratégie caquiste n’est pas nouvelle c’était déjà ça au début de la pandémie quand le CAQ a décrété des primes sans les négocier avec les syndicats et bien entendu les règles pour toucher les primes étaient profondément discriminatoires et traduisaient une ignorance crasse du rôle de chacune dans le fonctionnement d’un hôpital.

De plus en accordant une prime de 1000$ par mois à certains salariés, la CAQ envoie un message « vous voyez vous n’avez pas besoin de syndicat pour obtenir une prime » . C’est plus qu’un mépris des syndicats c’est une tentative de saborder leur raison d’être.

Les syndicats ont raison de dire que les forums de Legault sont là pour empêcher de discuter des solutions proposées par les syndicats aux tables de négociation, alors faut-il se désoler encore et encore ou, pourrait-on envisager notre propre stratégie pour mettre la CAQ sur la défensive ?

Les syndicats devraient mettre en miette le discours qui veut nous vendre l’idée que la CAQ est un bon gestionnaire et un protecteur des fonds publics. On peut le faire en dénonçant vigoureusement et pas seulement au niveau provincial, mais dans chaque localité, les gaspillages les privatisations, les sous-traitances ruineuses, l’inaction à combler les postes, les décisions de gestion qui font fuir les salariés vers le privé etc…

Privatisation et démolition

La CAQ a de gros projets de privatisation qui se mettent en place dès maintenant et qui vont exploser après la négociation. La CAQ a besoin de justifier les privatisations.

Pour cela, il faut que le réseau public soit submergé, qu’il apparaisse comme incapable, sans solution, sans espoir. Autrement dit quand on cherche une excuse pour tuer son chien on dit qu’il a la rage…

Et pour arriver à faire passer le message que le privé doit prendre une place en santé, la CAQ copie directement dans le livre de recettes des libéraux et c’est pas compliqué :
  Il faut provoquer un exode des salarié-es du public, les amener à aller chercher au privé, de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail.
  Immanquablement, le manque de personnel affecte les soins, cause du temps supplémentaire obligatoire, démolit le réseau de l’intérieur, lentement mais surement…

Et quand la démolition finit par convaincre la population que le secteur public est incapable de remplir sa mission… le gouvernement « constate tout bêtement », que le public ne suffit plus, alors il faut avoir recours au privé.

De toute façon, c’est au privé qu’on retrouve les médecins, infirmières, PAB, agentes administratives, ouvriers de maintenance, informaticiens, gardiens de sécurité, etc… qu’on a poussé à quitter le réseau public.

Pas besoin d’être un génie pour démolir le secteur public, il faut juste maintenir la ligne dure contre les salaires et les conditions de travail de nos anges gardiens et un jour, ça finira par devenir vrai que le secteur public est rendu incapable de fournir les services.

Faut être gonflé quelque chose de rare pour retourner contre les salarié-es du réseau les conséquences de leur avoir imposé pendant plus de 20 ans des augmentations de salaire en bas de l’inflation et de mauvaises conditions de travail.

Un exemple parmi des centaines…

Les exemples de cette démolition voulue abondent partout en province. Il y a une présentement crise dans les services informatiques du Centre universitaire de Santé McGill. Un cadre a quitté vers le privé. Rapidement il a été rejoint par plusieurs informaticiens syndiqués du CUSM en mal d’améliorer leurs salaires.

Cette compagnie privée fait le même travail que les syndiqués faisaient pour le CUSM il y a quelques mois. Le tout coûte une fortune. Les salaires sont plus élevés, la compagnie a des cadres et sa propre administration à payer et pour chaque heure de travail facturée il faut bien que la compagnie fasse des profits. Combien ? C’est là que les contribuables se font avoir, les contrats sont protégés par le secret commercial.

Les scandales d’abus et même de fraude contre le gouvernement dans tout ce qui touche aux services et au matériel informatique abondent depuis pas mal d’années et pourtant, la privatisation continue allègrement.

Le plus grave c’est que le secteur public perd son expertise interne, il devient de plus en plus dépendant des firmes privées qui détiennent les droits de propriété intellectuelle sur des systèmes qui sont critiques au fonctionnement d’un hôpital. C’est pas compliqué, sans expertise interne le secteur public devient esclave de ses fournisseurs privés et plus le temps passe, plus il sera difficile de revenir en arrière.

Relever le défi

Un changement de stratégie, d’approche et de discours syndical devient urgent, il en va non seulement de nos jobs mais du droit de la population à un service universel de santé et de la bonne gestion finances publiques.

Bref, une négociation fructueuse des conditions de travail et de salaire du secteur public dépend directement de la capacité des syndicats de contester la légitimité même des orientations politiques de la CAQ. Ce défi on ne l’a pas choisi mais on l’a devant nous quand même, autant l’embrasser que s’en désoler. Comme le dit l’expression, on devrait en faire une bénédiction déguisée en malheur.

Jean-Pierre Daubois
syndicaliste

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