Édition du 12 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Syndicalisme

Négociation dans les secteurs public et parapublic 2022-2023

Le voile commence à se lever sur la stratégie du gouvernement Legault

Les sorties récentes de Christian Dubé - ministre de la Santé et des Services sociaux - et de François Legault - premier ministre du Québec - en lien avec le refus des organisations syndicales de négocier dans le cadre des trois « Forums » mis de l’avant par le gouvernement caquiste ne sont absolument pas étonnantes[1]. Elles s’inscrivent dans un cadre où l’objectif visé par l’État patron semble facilement identifiable : il veut contraindre ses vis-à-vis syndicaux à négocier dans un cadre monétaire déterminé à l’avance par le gouvernement.

Cadre financier prévoyant des augmentations salariales plafonnées, le tout accompagné d’une augmentation quantitative bien ciblée des effectifs à ajouter dans certains services bien précis. Si les porte-parole syndicaux refusent de participer à ces lieux de discussion (qui n’ont aucune assise juridique) auxquels semble tant tenir la ministre Sonia Lebel - présidente du Conseil du trésor -, ils n’auront qu’à s’en prendre à eux-mêmes et la volonté gouvernementale s’appliquera sans qu’il n’y ait eu de véritables négociations sur le renouvellement des conventions collectives.

Il faut se rappeler que négocier avec le gouvernement Legault est loin d’être un exercice qui correspond à une démarche qui se conforme aux règles du jeu qui sont stipulées dans le Code du travail ou la Loi sur le régime de négociation des conventions collectives dans les secteurs public et parapublic. Le chef de la CAQ n’a pas en très haute estime ces lieux de négociations en face à face avec des vis-à-vis qui, selon lui, ne sont que les porte-parole d’employéEs subordonnéEs. Le maître Legault n’aime pas négocier avec ses subalternes. Il préfère avoir devant lui des négociatrices et des négociateurs syndicaux complaisantEs qui se feront les promotrices ou les promoteurs de ses offres qui sont en deçà de la protection du pouvoir d’achat et qui ne répondent pas adéquatement aux besoins sociaux et culturels de la population. Qu’on se le dise, François Legault ne veut faire société qu’avec celles et ceux qui l’approuvent en tout. En cela, il inscrit son action dans la voie du refus de négocier avec celles et ceux qui ne pensent pas comme lui ou qui n’acceptent pas d’emblée ses propositions.

Vers une nouvelle offre… et probablement une ronde de négociation courte et expéditive

On nous annonce que la présidente du Conseil du trésor présentera, mercredi le 1er mars, une nouvelle offre aux 600 000 salariéEs syndiquéEs des secteurs public et parapublic. Nous verrons à ce moment jusqu’à quel point cette « nouvelle offre » diffère de celle présentée le 15 décembre dernier et s’il s’agit d’une « offre finale ».

À voir cependant le contenu des interventions des ténors du gouvernement caquiste dans la présente ronde de négociation, contenu qui repose sur des approximations asymptotiques de la réalité et une soif insatiable d’écraser les porte-parole syndicaux, tout semble se mettre en place pour une ronde de négociation courte et expéditive. Une ronde de négociation où le gouvernement se donnera le beau rôle de celui qui veut discuter des problèmes et où les organisations syndicales seront montrées comme ayant refusé de se présenter aux endroits identifiés à cette fin par le gouvernement. N’ayons pas peur de le dire, François Legault semble habité par une volonté destructrice de certains droits syndicaux. Il donne l’impression de vouloir savourer rapidement une victoire sur les huit organisations syndicales présentes dans les secteurs public et parapublic (CSN, CSQ, FTQ, APTS, FIQ, FAE, SFPQ et SPGQ). Une victoire qui risque par contre de laisser le goût d’une amère défaite du côté de celles et ceux qui tiennent à bout de bras des services malmenés par les gouvernements qui se sont succédé à Québec depuis la ronde des décrets de 1982.

Vers la présentation d’un nouveau budget…

Nous savons que le ministre des Finances Éric Girard nous a annoncé qu’il présentera son budget le 21 mars prochain. Une fois le budget 2023-2024 adopté, il y a de fortes chances que la marge de manœuvre pour bonifier la « nouvelle offre » gouvernementale sera, dans le meilleur des cas, réduite ou, dans le pire des cas, inexistante.

Vers une entente négociée ou une loi spéciale ?

Loin de nous l’idée de vouloir jouer au prophète de malheur, mais il y a longtemps que nous connaissons l’alignement de François Legault en matière de droits collectifs au travail. Avec lui, les acquis syndicaux sont toujours susceptibles d’être remis en question. Dans ses relations avec les syndicats, toute relation est un rapport de force, c’est-à-dire une lutte de puissance à puissance. Voilà pourquoi il commence à se lancer dans la mêlée en dénonçant et en discréditant les organisations syndicales. Pour triompher et imposer son point de vue, il n’hésitera pas à utiliser tous les moyens à sa disposition. La signature de conventions collectives dans les secteurs public et parapublic n’est pas une de ses priorités. Par conséquent, si jamais son gouvernement recourt à l’adoption d’une loi spéciale, nous aurons à constater encore une fois que si l’État interdit à l’individu le recours à l’injustice, ce n’est pas parce que le gouvernement veut supprimer l’injustice, mais parce qu’il veut monopoliser ce recours.

Yvan Perrier

26 février 2023

17h

yvan_perrier@hotmail.com

Sources :

https://www.lapresse.ca/actualites/politique/2023-02-25/negociations-du-secteur-public/legault-choque-les-syndicats-en-les-accusant-de-fermeture.php. Consulté le 26 février 2023.

https://www.ledevoir.com/politique/quebec/783173/secteur-public-legault-denonce-une-logique-de-fermeture-des-syndicats. Consulté le 23 février 2023.

https://www.ledevoir.com/politique/quebec/782765/accueil-glacial-pour-de-nouvelles-offres-de-quebec-aux-syndicats. Consulté le 23 février 2023.

[1] Il s’agit des Forums « Équipe soins », « Équipe classe » et « Équipe santé mentale ».

Yvan Perrier

Yvan Perrier est professeur de science politique depuis 1979. Il détient une maîtrise en science politique de l’Université Laval (Québec), un diplôme d’études approfondies (DEA) en sociologie politique de l’École des hautes études en sciences sociales (Paris) et un doctorat (Ph. D.) en science politique de l’Université du Québec à Montréal. Il est professeur au département des Sciences sociales du Cégep du Vieux Montréal (depuis 1990). Il a été chargé de cours en Relations industrielles à l’Université du Québec en Outaouais (de 2008 à 2016). Il a également été chercheur-associé au Centre de recherche en droit public à l’Université de Montréal.
Il est l’auteur de textes portant sur les sujets suivants : la question des jeunes ; la méthodologie du travail intellectuel et les méthodes de recherche en sciences sociales ; les Codes d’éthique dans les établissements de santé et de services sociaux ; la laïcité et la constitution canadienne ; les rapports collectifs de travail dans les secteurs public et parapublic au Québec ; l’État ; l’effectivité du droit et l’État de droit ; la constitutionnalisation de la liberté d’association ; l’historiographie ; la société moderne et finalement les arts (les arts visuels, le cinéma et la littérature).
Vous pouvez m’écrire à l’adresse suivante : yvan_perrier@hotmail.com

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