Le gouvernement accuse M. Wu de « regroupement d’une foule et de désorganisation de l’ordre public dans les transport en commun ». Ces incidents se seraient produits au cours d’une manifestation de centaines de travailleurs-euses d’une usine de meubles à Shenzhen, en mai dernier. Cette usine est la propriété de Diweixin de Hong-Kong.
Les supporters de M. Wu soutiennent qu’à titre de leader désigné des travailleurs-euses il a, au contraire, essayé de les dissuader de s’engager dans des actions violentes. Il a travaillé à organiser des négociations avec la partie patronale à propos des demandes les plus pressantes des manifestantEs : des compensations pour ceux et celles qui seraient affectéEs par la fermeture programmée de l’usine. Les fermetures d’usines se font de plus en plus nombreuses en Chine ; les entrepreneurs délocalisent leur production vers des pays où le coût de la main d’œuvre est moins cher.
Les avocats de leur côté, parlent de biais dans les procédures légales que ce soit dans l’enquête où dans la qualité douteuse des preuves.
M. Wu a été détenu depuis 300 jours jusqu’à maintenant. Comme bien des militantEs, il fera face à bien peu de chances de s’en sortir lorsqu’il sera sur le banc des accuséEs. Mais son cas est un peu différent et pourrait être le point de départ d’un tournant. Ses partisans voient son procès comme une chance pour tout le système judiciaire chinois quant à la tenue de ce genre de procès.
Le China Labour Bulletin rapporte que lors d’une audience précédente en février, ses partisans avaient prévenu que si la cour les ignorait ils passeraient à l’action. Lorsque le juge a annoncé qu’il rencontrerait M. Wu en privé : « La foule est devenue furieuse et s’est précitée dans le bureau des plaintes du tribunal. Nous voulons une explication a crié un travailleur. Et un autre a ajouté : Nous les payeurs de taxe, payons le salaire de ces personnes. Nous ne nous effaceront pas ». Les avocats ont publié un communiqué de presse disant que s’il y avait l’ombre d’une justice, M. Wu devait être acquitté.
Pendant ce temps, une douzaine de gardiens de sécurité d’un hôpital, subissaient un procès semblable pour les mêmes chefs d’accusation. Ils exigeaient justice à leur direction. Ils avaient protesté depuis le toit de l’hôpital de l’Université de médecine de Guangzhou et ils ont été accusés de « regroupement d’une foule et de désorganisation de l’ordre social ». Ils ont été détenus pendant environ cinquante jours. Ces travailleurs luttent pour le paiement d’assurances et d’arriérés de salaires que leur direction leur doit selon eux. Ils expliquent qu’ils sont passés à l’action après avoir fait valoir leurs revendications à travers leur syndicat sans résultat après des mois d’attente. Ils ont tous été trouvés coupables et condamnés au maximum de peine, soit neuf mois de détention comprenant le temps déjà servi. Beaucoup pensent faire appel de cette condamnation.
Selon le China Labour Bulletin ce procès est une réaction politique démesurée, une opération de contrôle de dommage qui sert surtout à décourager ceux et celles qui voudraient rendre leurs conflits publics en leur promettant l’emprisonnement.
Les médias occidentaux se sont concentrés récemment sur ce genre d’attaques, mais contre des militantEs progressistes, éduquéEs et luttant pour le respect des droits humains. Le mouvement New Citizens, un groupe peu structuré de gens bien éduqués et connus, qui lutte contre la corruption, a fait les manchettes parce que plusieurs de leurs membres ont fait face aux mêmes chefs d’accusation pour avoir organisé des manifestations pacifiques en 2012 et 2013. Mais les procès de M. Wu et des travailleurs de l’hôpital de Guangzhou ne sont pas suffisamment attrayants pour bénéficier d’un traitement semblable. Pourtant ils représentent un mouvement social qui a une bien plus grande portée populaire. Ils sont la preuve des tensions qui existent en Chine, les travailleurs-euses étant de plus en plus conscientEs de leurs droits collectifs. Leur inquiétude grandit à propos de la volatilité de l’économie chinoise, de la hausse du coût de la vie et de la structure judiciaire qui systématiquement joue contre le grand public et en faveur de l’élite. Plusieurs ne voient aucun salut ailleurs que dans l’action directe de la base populaire surtout quand il s’agit de lutter contre la corruption endémique des dirigeantEs.
Cette semaine, des travailleurs-euses ont été un peu plus loin encore dans cette logique contre le manufacturier Dongguan dans le sud du pays. Des milliers de travailleurs-euses ont fait grève chez Yue Yuen un manufacturier de chaussure originaire de Taïwan. Les revendications ? Le défaut de contribution de la compagnie au système d’assurances sociales et au fond pour le logement des employéEs. Selon l’ONG China Labor Watch, basée aux États-Unis, cette grève a été suivie par 30,000 travailleurs-euses qui ont subit les interventions de la police anti émeutes. Plusieurs ont été arrêtéEs.
L’enjeu des assurances sociales des travailleurs-euses d’usine est le nerf de la guerre le plus généralisée. En même temps que la libéralisation agressive de l’économie chinoise le gouvernement a consolidé les programmes sociaux dont les pensions et les soins de santé. Dans le cadre de ce nouveau contrat social, les employeurs négligent de payer leur part de ces assurances alors que les besoins sociaux des travailleurs-euses au bas des échelles salariales augmentent.
Kevin Slaten de China Labor Watch explique par courriel comment ces revendications ont mené à des actions comme la grève de Yue Yuen alors que c’était rare antérieurement : « depuis l’année passée on a observé une augmentation des grèves dont la revendication était le paiement des arriérés pour les assurances. Cela ne reflète pas seulement la prise de conscience des travailleurs-euses de leurs droits mais aussi de nouvelles politiques qui leur permettent de transférer les paiements des assurances dans leur communauté d’origine à la fin de leur emploi ». Cela a pour effet de détacher leurs bénéfices de leur employeur, leur donne plus d’autonomie et un plus grand enjeu face au comportement de leurs employeurs dans la gestion de leurs assurances. Cela veut dire pour les employéEs de Yue Yuen des millions de dollars d’arriérés.
Chinese Labor Bulletin, qui suit à la trace les grèves dans tout le pays, observe que l’échec des promesses autour des assurances sociales alimente le militantisme des travailleurs-euses chinoisEs. Leurs actions ont atteint un sommet partout en mars de cette année.
Ce mouvement en est maintenant à une masse critique. Comment cette énergie peut-elle être canalisée sans un mouvement ouvrier indépendant et sans démocratie électorale ? Au-delà des manifestations de rue qui se terminent généralement dans la violence, les arrestations et les congédiements, certainEs militantEs tentent de dégager un espace dans le système légal pour les contrevenantEs en renforçant les protections pour les droits du travail. Ainsi, le mois dernier, un groupe d’universitaires spécialistes des relations de travail et d’avocatEs ont publié une proposition pour une révision majeure de toutes les lois syndicales en Chine. Idéalement, la loi devrait renforcer les protections contre les congédiements des militantEs ouvrierÈs en représailles de leur travail d’organisation pour leurs droits à une convention collective. Elle devrait aussi essentiellement étendre la protection légale individuelle aux droits plus larges à l’agitation en faveur de l’organisation collective.
Est-ce que le système légal va continuer à servir d’instrument de répression de la parole, ou est-ce que les militantEs qui agissent dans les rues vont finir par se faufiler dans l’infrastructure légale de leur pays ? Wu Gujiin, les gardienNes de sécurité et le New Movement qui ont dû affronter les autorités de différentes manières ont tous et toutes été jetéEs en prison pour avoir voulu que le gouvernement respecte ses propres lois. Tous et toutes ont été criminaliséEs en tentant d’obtenir justice : la justice économique et politique.
Les travailleurs-euses sont de plus en plus d’accord pour mener leurs batailles dans les rues. Mais l’ultime victoire arrivera quand ils et elles pourront revendiquer leur participation dans l’État et obtenir un système de justice qui travaillera en leur faveur et non contre.