Édition du 5 novembre 2024

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Féminisme

L’illégitimité de la dette est encore plus criante lorsqu’on est une femme !

La dette et les mesures d’austérité ne sont nullement neutres du point de vue du genre. Toute analyse quelque peu approfondie de la crise de la dette démontre sans ambiguïté qu’elle est sexuée tant dans ses caractéristiques que dans ses effets. De fait, elle touche les populations les plus fragilisées, les plus précaires et donc encore malheureusement majoritairement les femmes, et plus particulièrement celles qui sont les plus vulnérables (les mères célibataires, les femmes jeunes, âgées, migrantes, les femmes provenant d’une minorité ethnique, du milieu rural…). Privatisations, libéralisations, restrictions budgétaires au menu de l’austérité sabrent les acquis sociaux des femmes, accentuent leur pauvreté, durcissent et aggravent les inégalités entre les sexes.

10 avril par Christine Vanden Daelen

Des pertes d’emplois et de revenus nets pour les femmes

La fonction publique est dans la ligne de mire directe de l’Europe austéritaire. Suppression d’emplois publics, gel et/ou diminution des salaires des fonctionnaires constituent les variables d’ajustement favorites des politiques imposées au nom de la gestion de la dette. Or, comme au sein de l’Union européenne 69,2% |1| des travailleurs de la fonction publique sont des femmes, ces mesures ont un effet disproportionné sur leur emploi et revenus |2|. De plus, au vu des bonnes conditions de travail généralement en cours dans le secteur public, incluant congés-payés, possibilités de conciliation entre vie privée et vie professionnelle et des salaires féminins supérieurs à ceux pratiqués dans le privé, on mesure à quel point les coupes drastiques appliquées à la fonction publique sont synonymes pour les femmes de précarisation de leur emploi et de pertes salariales sèches |3|.

A titre d’exemples |4|, en Irlande, pays où le taux d’emploi féminin parmi les fonctionnaires est le plus élevé en Europe (71,1%), 24 750 emplois publics ont été supprimés, les embauches sont gelées et les salaires réduits de 5 et 15%. L’Angleterre, où les femmes composent pas moins de 64,65% des salarié-e-s du secteur public, prévoit quant à elle de supprimer 710 000 postes de fonctionnaires d’ici 2017. Il faut ajouter à ces licenciements drastiques le gel depuis 2010 des salaires des employé-e-s de la fonction publique gagnant plus de 21 000£/an (c’est-à-dire plus de 25 036€/an). La Lettonie, qui compte 64,7% de femmes dans la fonction publique, a réduit de 20% l’effectif des fonctionnaires de l’administration centrale et baissé de 20% les salaires. Les professeurs dont 80% sont des femmes touchent des salaires de 30% inférieurs à ceux pratiqués en 2008.

Des pensions toujours plus faibles pour les femmes

La retraite est un facteur d’inégalité hommes-femmes. En Europe, les retraitées touchent en moyenne 39% |5| de moins que leurs homologues masculins. Cet écart s’explique par un marché du travail structurellement inégalitaire : les femmes touchent généralement une rémunération inférieure à celles des hommes, leurs carrières professionnelles sont non linéaires faites d’emplois à temps partiels, irréguliers, atypiques voire informels et bien souvent ponctuées d’arrêts de travail, notamment pour raisons familiales. Or, qui dit carrières en dents de scie, dit pensions rabotées, discriminantes par rapport à celles des hommes. Ainsi, toutes les attaques contre le système de retraites au menu des plans d’austérité, allant de la baisse et/ou du gel des pensions à l’augmentation de l’âge de la retraite et à l’alignement de l’âge de départ à la retraite des femmes sur celui des hommes dans les pays où existe une différence, le tout parfois associé à un allongement des durées de cotisations nécessaires pour toucher une pension pleine, touchent les femmes en premier lieu.

En Allemagne, où les femmes touchent des retraites de 44% inférieures à celles des hommes, le montant des pensions est gelé depuis 2011. Si les femmes autrichiennes (dont la retraite est de 34% inférieure à celle des hommes) pouvaient toucher leur pension à 57 ans, elles doivent désormais, depuis cette année, attendre leurs 60 ans. En Italie (où la pension des femmes est de 31% inférieure à celles des hommes), elles sont contraintes depuis 2012 à continuer de travailler jusqu’à 65 ans. En Roumanie, l’âge de la retraite pour les femmes passe de 57 à 63 ans et les pensions sont réduites de 15%.

Les retraitées deviennent inexorablement l’un des groupes les plus exposés au risque de pauvreté. Pas moins de 22% |6| d’entre elles vivent sous le seuil de pauvreté au sein de l’Union européenne. Alors qu’elles ont travaillé toute leur vie, certaines d’entre elles vivent l’enfer d’une vieillesse démunie.

Les femmes au cœur de la destruction de la protection sociale

Partout en Europe, au nom des économies à réaliser pour gérer la « crise de la dette », les budgets de protection sociale subissent des restrictions draconiennes : diminutions des allocations de chômage, des allocations sociales, des aides aux familles, des allocations de maternité, des prestations aux personnes dépendantes, etc. Ces coupes affectent particulièrement les femmes dans la mesure où parce qu’elles assument encore le rôle de responsables principales de la famille et sont souvent précaires financièrement, elles sont plus dépendantes des allocations sociales que les hommes. Du fait que les prestations et allocations sociales constituent une part non négligeable du revenu des femmes en comparaison avec les hommes |7|, ce sont elles qui sentent le plus douloureusement les effets de leur diminution dans leur vie de tous les jours. Les groupes les plus vulnérables sont les mères célibataires, les femmes âgées et les migrantes.

En Angleterre par exemple, la subvention de bonne santé pendant la grossesse, les allocations familiales, les crédits d’impôts liés à la naissance d’un enfant ont tous été réduits ou gelés. D’autres réductions, comme celle des aides au logement, touchent les femmes de façon disproportionnée, car davantage de femmes que d’hommes dépendent de ces prestations. Une étude commandée par le syndicat anglais TUC relève que suite à toutes ces mesures, les mères célibataires perdent pas moins de 18% de leurs revenus nets. En Allemagne, les allocations de maternité et du congé parental tout comme les allocations de chômage sont diminuées, et l’allocation parentale de 300 euros anciennement allouée aux chômeurs/euses de longue durée est carrément supprimée. Au Portugal, les allocations de maternité et du congé parental sont restreintes. L’instauration de pénalités pour non-respect du droit des femmes enceintes à une allocation et à un congé de maternité est reportée et l’allocation pour soins prodigués à un enfant handicapé coupée de 30%.

De l’État social à la « Mère sociale »

L’austérité est une attaque en règle contre les services publics : services sociaux, santé, éducation, énergie, transports, infrastructures… Tout y passe ! Tous sont réduits, supprimés ou leurs frais d’utilisation augmentent considérablement. Or, les femmes sont les premières usagères de ces services. Leur participation au marché du travail dépend de services à l’enfance accessibles, elles ont plus recours aux services de santé pour elles-mêmes (cf. soins gynécologiques, liés à la grossesse, à la maternité mais aussi à un temps de vie plus long…) ou pour leurs proches, elles utilisent plus les transports publics, etc. Des services collectifs de qualité, en nombre suffisant et abordables financièrement, constituent des leviers incontournables de l’égalité des sexes, de l’autonomie financière des femmes et, à terme, de leur émancipation. La destruction des services publics génère une véritable substitution des obligations fondamentales de l’État vers le privé et donc vers les femmes. Désormais, ce sont elles qui doivent, via une augmentation de leur travail gratuit et invisible, assurer les tâches de soins et d’éducation délaissées par la fonction publique |8|. Les politiques d’austérité, en pénalisant le droit à l’emploi rémunéré des femmes et en les obligeant à regagner la sphère privée pour y rendosser leur rôle dit « traditionnel » de mère et/ou d’épouse au foyer, sont de puissantes courroies de réactivation d’une idéologie patriarcale, conservatrice et sexiste.

Voici quelques illustrations signifiantes de l’impact genré des coupes dans les services publics. En France, 144 maternités ont cessé leur activité entre 2001 et 2012. Plus globalement en 35 ans, 800 maternités ont été supprimées. Les écoles maternelles publiques et gratuites pour les enfants à partir de 2 ans sont fermées au profit de « jardins d’éveil » privés et payants. 180 centres IVG ont disparu entre 2002 et 2012. Au Portugal, on assiste à une diminution du nombre de crèches couplée à des fermetures d’hôpitaux et de jardins d’enfants publics. La principale maternité de Lisbonne a été fermée, une autre également très importante à Coimbra est aussi menacée. Les investissements dans l’éducation publique sont passés de 5,7% à 3,9%, ce qui représente l’un des plus faibles taux au sein de l’UE. Le secteur des transports est privatisé. Après les coupes, en Roumanie, seulement 3,84% du budget public est alloué à la santé, le plus faible pourcentage de toute l’Europe. Les hôpitaux publics qui sont fermés sont remplacés par des institutions privées.

Le travail à temps partiel des femmes augmente

Dans tous les pays européens soumis à l’austérité la plus exacerbée, le taux de travail partiel des femmes a augmenté (voir le tableau ci-dessous). Comme la perte de services publics est synonyme d’augmentation du travail domestique et de soins des femmes |9|, certaines d’entre elles n’ont pas d’autre choix que de soit diminuer leur temps de travail et dès lors, de basculer dans l’emploi à temps partiel, soit de renoncer à exercer un emploi rémunéré. Notons que 80% des temps partiels imposés sont effectués par des femmes et qu’en 2011, 31,6% des femmes travaillaient à temps partiel contre 8,1% pour les hommes |10|. S’il était encore nécessaire de démontrer à quel point des services publics de qualité et accessibles sont primordiaux pour l’autonomie économique des femmes, soulignons qu’en 2010, 28,3% du chômage et du temps partiel des femmes s’expliquait par le manque de services de garde contre 27,9 % en 2009 et qu’en Union européenne, le taux d’emploi des femmes ayant des enfants en bas âge était toujours en 2009 inférieur de 12,7% (contre 11,5% en 2008) à celui des femmes sans enfant |11|.

Évolution du taux de travail à temps partiel des femmes entre 2007 et 2012 |12|

L’ensemble des données fournies par cet article atteste bien de l’antinomie profonde opposant politiques austéritaires et émancipation des femmes. Sur tout le continent européen, elles paient le prix le plus élevé de la gestion la crise de la dette, partout, elles sont frappées en toute priorité dans tous les aspects de leur vie. Ce n’est dès lors nullement un euphémisme que de déclarer que l’illégitimité de la dette est encore plus criante lorsqu’on est une femme !

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