Ministre dans le gouvernement conservateur, Lucien Bouchard démissionne, suivi par une poignée de députés libéraux et conservateurs. En 1993, le Bloc québécois que Bouchard met en place présente une brochette de candidats et devient l’opposition officielle, avec 54 sièges et 49,3% du vote au Québec.
Peu après, le Bloc participe au référendum organisé par le gouvernement de Jacques Parizeau. Après maintes tractations derrière les coulisses, Bouchard devient une des trois figures de proue de la grande bataille. Devant cela, le chef du PQ est partagé : d’une part, la venue de Bouchard et de son jeune acolyte Mario Dumont apporte des atouts indéniables du point de vue des votes. D’autre part, Parizeau doute fort que l’objectif de Bouchard est la souveraineté. Il pense qu’il s’agit plutôt d’une tactique pour renégocier avec le reste du Canada.
Après la défaite crève-cœur, Parizeau quitte et est remplacé par Bouchard qui laisse alors le Bloc Québécois repris en mains par son fidèle lieutenant Gilles Duceppe. En 1997, le Bloc connaît un premier déclin, bien qu’il garde encore 38 % du vote au Québec. En 2004 cependant, le Bloc remonte. dans le sillon du scandale des commandites qui affecte surtout le Parti libéral fédéral (PLC). Il se maintient également aux élections de 2006 et de 2008, qui donne une courte victoire au Parti Conservateur. Devant le tournant ultra droite de Stephen Harper, le Bloc, le NPD et le PLC constitue une éphémère alliance pour constituer un gouvernement de coalition. Mais Harper déjoue la tactique et lors des élections de 2011, le Bloc subit une lourde défaite aux mains de la « vague orange » du NPD avec 24 % du vote et seulement 4 élus. On en reste à peu près là aux élections de 2015.
Depuis, le Bloc reste dans les marges. Plus encore, sa raison d’exister est mise en cause. Alliance arc-en-ciel entre des courants très hétérogènes, le Bloc n’a pas de politique cohérente, au-delà de la « défense des intérêts du Québec ». Sauf pendant le court intervalle lorsque Martine Ouellet se retrouve à la tête du Bloc (avant d’en être « éjectée » par les ténors du PQ et du Bloc), le projet souverainiste est pratiquement mis sur la glace. Sur les questions sociales et écologistes, le Bloc maintient une ligne très prudente, à part l’opposition au projet de pipeline Énergie-Est. Lors du virage péquiste de 2012 et jusqu’à l’avènement du gouvernement de la CAQ en 2018, le Bloc a relayé le discours identitaire visant les immigrant-es et les Musulman-es.
Depuis la fin de 2018, sous la direction d’Yves-François Blanchette (ancien ministre péquiste), le Bloc s’est remis en état de fonctionnement. Dans le cadre de l’élection d’octobre prochain, les candidat-es sont présents dans presque toutes les circonscriptions. Les sondages indiquent une très légère remontée de la popularité du parti, mais les prochaines élections s’annoncent serrées avec des batailles à 3 ou même à 4. Il est probable que le PLC fasse des gains aux dépends du NPD, en chute libre depuis des mois. Dans certaines circonscriptions, les votes pour le PLC et le NPD pourraient se neutraliser, ce qui laisserait un peu plus de place au Bloc, surtout dans certaines régions comme la rive-sud de Montréal et l’est du Québec. Jusqu’à date, Blanchette s’en tient au discours habituel : « Ce que le Québec veut, le Bloc Québécois le veut [...] On est la voix de l’Assemblée nationale du Québec sur ce qu’elle véhicule. [...]
Pour les progressistes, l’élection de 2019 présente deux problèmes majeurs. Le premier et le plus important, c’est que « défendre le Québec », ce n’est pas défendre le gouvernement de la CAQ dont Blanchette a approuvé le tournant identitariste. Une des priorités, selon Blanchette, c’est de protéger la loi 21. Or, il n’y aura ni souveraineté ni progrès social dans un projet qui n’est pas inclusif et qui ne met pas de l’avant l’émancipation sociale, au même titre que l’émancipation nationale. Autrement dit, le projet du Bloc, qui reprend en gros celui du PQ et de la CAQ, n’est ni souhaitable, ni réaliste.
Le deuxième problème est que l’alternative n’est pas évidente. Certes, Jagmeet Singh, essaie de rattraper le temps perdu, en se présentant comme le candidat des « progressistes ». Il reprend plusieurs revendications promues dans le passé et actuellement par les mouvements populaires et QS, notamment sur le Québec dont il se dit un ardent défenseur. Il essaie de nous faire oublier les années noires où l’aventurier de droite Thomas Mulcair a poussé le NPD à la droite du PLC tout en étant dans la lignée de ce parti fortement centralisateur, résolument hostile aux revendications québécoises.
OK, ne soyons pas coincés dans le passé. On aimerait croire Singh, Alexandre Boulerice, Nima Machouf et d’autres candidat-es qui ont l’air d’avoir quelque chose à dire1. Mais comme ce virage apparent survient en pleine campagne électorale, sans qu’il n’y ait eu ni endossement, ni énoncé politique ni réorientation du NPD, cela semble un peu léger. Des cyniques diraient sans doute que cela sent l’électoralisme à plein nez. Autre élément de méfiance, si on regarde ce que les administrations provinciales du NPD ont fait ces dernières années (notamment au Manitoba et en Alberta), il est difficile de penser que le NPD pourra effectivement virer à gauche. Peut-être qu’il y a un côté positif dans cette soudaine « conversion ». Ceux qui réfléchissent dans ce parti ont constaté qu’une partie importante de la population québécoise était plus à gauche qu’eux, et ne pourrait se satisfaire de vagues gentillesses.
Au final, il appert que cette élection pourrait aboutir à une victoire « par défaut », ce qui irait sans doute en faveur du PLC. Les électeurs et les électrices vont préférer bloquer la menace réelle représentée par les Conservateurs. Il se pourrait alors que le Bloc et le NPD avec quelques élus puissent mettre quelques grains de sable dans la machine de l’État fédéral, mais il faudra autre chose pour raviver le projet d’émancipation.
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