La grande surprise
Les journalistes britanniques ont surnommé ce scrutin de la semaine passée « la revanche des jeunes ». En effet, les jeunes se sont déplacés en masse pour voter Corbyn.
Avant l’élection, divers sondages présageaient une montée du soutien aux travaillistes, mais peu avaient prévu les 40 % des voix obtenues par le parti de Jeremy Corbyn, ce qui place les Travaillistes à seulement 2 points derrière les conservateurs, les Tories. Ils ont gagné 10 % de plus qu’aux élections précédentes (le meilleur résultat depuis 2001). 29 nouveaux députés travaillistes ont été élus (261 sièges au total). A l’époque où Tony Blair dominait les Travaillistes, ils s’étaient assuré une majorité avec 35 % des voix contre 32 % pour les Tories.
La débâcle de la droite
Le Parti pour l’indépendance du Royaume-Uni (UKIP), parti d’extrême droite ethno-nationaliste, s’est effondré (2% des voix contre 12 % en 2015). La stratégie inflexible du « hard » Brexit, portée par May, y est pour quelque chose. Également, plusieurs électeurs de l’UKIP, issus de la classe ouvrière, sont simplement revenus à leur parti d’origine, le Labour. Entre-temps, Theresa May et les Conservateurs ont perdu 12 sièges, ce qui fait qu’il leur manque 8 sièges pour atteindre les 326 requis pour obtenir la majorité. Si May parvient à conserver son pouvoir à la tête d’un gouvernement minoritaire, c’est au sursaut conservateur de l’Écosse qu’elle devra sa fragile position. Après avoir été éliminés de la carte électorale écossaise, les Conservateurs ont remporté 10 sièges. Les journalistes britanniques attribuent cette victoire au chef du Parti conservateur écossais, le populaire Ruth Davidson. Sans l’Écosse, le monde parlerait aujourd’hui du Premier ministre Jeremy Corbyn.
Un système politique perverti
Dans l’ensemble, les résultats des élections ne sont pas représentatifs du vote populaire, mais bien la conséquence du système de scrutin uninominal. En 2010, les Libéraux-démocrates avaient formé une coalition avec les Conservateurs, mais, cette fois, ils semblent plus enclins à soutenir la minorité travailliste. Toutefois, il faut garder à l’esprit que les 2,4 millions de votes en leur faveur ne leur rapportent que 12 sièges. Le nouveau meilleur ami de May, le PUD, a tout juste récolté 292 000 voix, à peine plus d’un dixième de celles accordées aux Libéraux-démocrates. Mais les votes libéraux-démocrates sont disséminés entre les 650 circonscriptions, alors que ceux du PUD sont répartis entre les 18 sièges de l’Irlande du Nord. Le parti nord-irlandais, de centre droit, s’est ainsi vu attribuer 10 sièges, juste assez pour fournir à May le soutien dont elle a besoin, du moins pour le moment.
Débats au sein des Travaillistes
Cette élection a dû faire naître des sentiments mitigés parmi les instances dirigeantes du Parti travailliste qui espéraient une claque électorale pour se débarrasser de Jeremy Corbyn. Ce dernier ne pourra pas s’installer au 10 Downing Street (siège du gouvernement) cette fois-ci, mais les éléments conservateurs du Parti seront peu nombreux à demander sa démission. Pour autant, la fronde anti-Corbyn continue. L’argument de la droite est que sans Corbyn, les Travaillistes auraient pu gagner l’élection, ce qui n’a pas été possible à cause de son manque d’expérience du gouvernement et à sa réputation de protestataire d’extrême gauche. D’autres expriment un avis contraire, comme Anoosh Chakelian (de l’influent hebdo New Statesman), qui affirme que le succès du Parti travailliste ne s’est pas produit malgré Corbyn, mais justement grâce à son programme ouvertement de gauche – incluant la gratuité des frais de scolarité à l’université et la nationalisation du réseau ferroviaire. Selon Chakelian, « les grands rassemblements à l’ancienne organisés par l’équipe de Corbyn et l’inventivité dont il a fait preuve, trouvant des moyens originaux de faire passer son message ont séduit les électeurs, ce que l’approche distante de May n’a pas su faire ». Ce sont ces facteurs qui auraient incité une participation en hausse de la part des jeunes (estimé à 72%) : « les mesures proposées par Corbyn ont trouvé un écho auprès des électeurs. Sa ferme opposition à l’austérité a résonné chez ceux qui en ont assez de voir les salaires stagner, les allocations diminuer, le coût de la vie augmenter et les services publics se dégrader. »
Bientôt de nouvelles élections ?
Ceux qui ont espérés voir Corbyn entamer la mise en œuvre de ses idées, sont déçus, cela va de soi. Néanmoins, la position de faiblesse dans laquelle se trouve Theresa May devrait les rassurer. Ses alliés nord-irlandais sont certes pro-Brexit, mais l’Irlande du Nord, comme l’Écosse et la région de Londres, ont nettement voté contre la sortie de l’Union européenne lors du référendum de 2016. En outre, bon nombre des collègues conservateurs de May demeurent de fervents partisans de l’Union Européenne. La plupart des journalistes s’accordent à dire que May n’aura plus l’appui nécessaire à la mise en place de son projet de Brexit « dur » et devra mettre beaucoup d’eau dans son vin pour ce qui touche à sa sévère politique d’austérité. Bien qu’elle soit dans une position de faiblesse, May pourrait diriger pendant quelque temps un gouvernement minoritaire, cependant, elle devra faire face à une grande opposition au sein même de son parti. En contrepartie, les membres du Parti travailliste qui ont cassé du sucre sur le dos de Corbyn, pourraient maintenant revoir leur position et l’appuyer dans une prochaine élection qui pourrait survenir plus tôt que tard.
Un impact au Canada
Au Canada, le virage à droite du NPD sous Thomas Mulcair a conduit ce parti à une grande défaite lors des dernières élections de 2016. Le surgissement d’une perspective de gauche au sein du Parti travailliste, longtemps le « modèle » pour le NPD, pourrait peut-être avoir un impact.
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