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PS : un cas rare d’effondrement partisan

12 juin 2017 | tiré du site de mediapart.fr

La défaite du PS, d’une ampleur massive, signe son effondrement en tant que grand parti de gouvernement. Les rares précédents comparables dans l’histoire des démocraties occidentales ne lui laissent guère espérer la reconquête de ce statut perdu.

Il faut prendre la pleine mesure de la débâcle subie par le PS lors de ces législatives. Elle n’est pas seulement plus massive que les lourdes défaites enregistrées par le passé. Elle présente aussi une différence de nature. Nous assistons en effet à l’effondrement d’un grand parti de gouvernement. Ce phénomène, peu fréquent dans l’histoire des démocraties occidentales, n’a jamais donné lieu à un retour à la situation antérieure. Au contraire, il a généralement contribué à modifier durablement le paysage politique des États concernés. Si l’on se fie à ces précédents, l’avenir le plus probable du PS semble être de vivoter en tant que force d’appoint au cœur d’un système partisan transformé, à moins de se dissoudre dans une ou plusieurs formations politiques plus larges.

Charles S. Mack a consacré un ouvrage entier à cet angle mort de la littérature en science politique : l’écroulement des « major parties », c’est-à-dire ceux qui se révèlent capables d’accéder régulièrement au pouvoir et d’y diriger le gouvernement, seuls ou en coalition. Dans son livre, le chercheur aborde le cas des Whigs américains du milieu du XIXe siècle, incapables de s’entendre sur les enjeux conflictuels de l’esclavage et de l’immigration, et finalement supplantés par le Parti républicain. Il traite également des libéraux britanniques, trop lents à s’adapter à l’extension du suffrage aux couches ouvrières, divisés sur la question irlandaise, et que les travaillistes dépassèrent au début des années 1920. Il revient enfin sur l’écroulement des progressistes-conservateurs au Canada en 1993, dans un contexte de récession et à la suite de conflits entre le Québec et les provinces de l’Ouest, que ce parti aujourd’hui oublié n’avait pas su médiatiser.

Si Mack évoque aussi la chute de la démocratie chrétienne italienne au début des années 1990, c’est pour mieux souligner son caractère singulier en raison du délitement de l’ensemble du système partisan. Hors de l’espace anglophone, les radicaux français auraient pu lui fournir un autre cas intéressant : confrontés au déclin des classes moyennes indépendantes et du clivage religieux, pris dans l’étau de la bipolarisation après 1958-62, ceux-ci ont connu un déclin lent mais sûr, finissant scindés en deux et satellisés par les nouveaux partis de gouvernement de la Ve République. Postérieure à l’écriture de son livre, on peut également citer la substitution de Syriza au PASOK grec comme force dominante de la gauche, à la faveur de la crise de la zone euro. Mais si l’on en reste au champ des démocraties consolidées depuis au moins 1945, il est difficile de trouver d’autres occurrences.

Que se passe-t-il donc de si spécial pour que le phénomène d’effondrement se produise ? Au-delà des différences irréductibles entre les quelques cas existants, il est possible de repérer la reproduction d’un même schéma. À chaque fois, des dirigeants défaillants se sont retrouvés en décalage par rapport à leur base électorale, à propos d’enjeux nationaux cruciaux ou en raison de changements sociologiques affectant cette base. Autre constante, des débouchés partisans alternatifs étaient disponibles, à proximité idéologique et pas trop usés par l’exercice du pouvoir. Une fois ce cocktail explosif constitué, non seulement les électeurs ont fui le parti concerné, mais le noyau de ceux-ci a fait défaut.

Pour Mack, cet élément est essentiel pour expliquer la différence entre une défaite politique ordinaire et un effondrement. Afin de rester un grand parti de gouvernement, il faut disposer d’un cœur d’électeurs fidèles en toute occasion, et que ce cœur soit d’une taille suffisante pour rester « concurrentiel » même en cas de défaite. C’est par la préservation et le renouvellement de ce noyau électoral que les grands partis reproduisent d’ordinaire leur domination sur la scène politique. Le PS français a ainsi surmonté la défaite de 1993 : avec encore 17,5% des suffrages, il était resté la principale force d’alternance face à la droite. Tour à tour, les travaillistes et les conservateurs britanniques ont de la sorte survécu à de longues périodes d’opposition (18 ans pour les premiers, 13 pour les seconds). Et les exemples de ce type pourraient être multipliés.

En revanche, dans les rares cas où le noyau a été atteint au profit d’une force nouvelle ou auparavant mineure, les partis concernés ont définitivement perdu leur statut. Aucun « retour à la normale » ne s’est jamais observé. Et c’est précisément ce qui guette le PS. Tous les critères identifiés par Mack se retrouvent en effet dans sa situation actuelle.

Après la présidentielle, les législatives confirment d’abord que le parti a été abandonné par le cœur de son électorat. Compté seul, il ne recueille que 7,5 % des suffrages, c’est-à-dire moins que le score le plus bas de son histoire (10 %) en… 1906, lorsque la SFIO n’était âgée que d’un an. Surtout, le PS perd par la même occasion sa prééminence à gauche, puisqu’il est dépassé par La France insoumise, ainsi que son statut de première force d’opposition à l’Assemblée, détenu depuis 1962 à moins d’être soi-même au pouvoir. Il y a d’ailleurs fort à parier que si un groupe socialiste parvenait à se créer, ce ne serait qu’en faisant la part belle à des députés « Macron compatibles », satellisés par le pouvoir plus qu’en opposition à lui.

Parmi les quelques candidats qui sauveront leur peau, beaucoup devront en effet cette survie à l’absence bienveillante de LREM face à eux. Les autres, toujours en lice mais qui se retrouvent souvent sous la barre des 20 % voire des 15 %, ne seront qu’une goutte d’eau dans un océan d’obsolescence avérée, documentée par Mediapart dès dimanche soir. Même parmi les candidats les plus implantés, dont certains avaient gagné au premier tour en 2012, le ressac a été massif. Jérôme Lambert, qui avait emporté la 3e circonscription de Charente avec 54,2 %, a par exemple vu son score divisé par deux et pourrait perdre son siège. Dans les métropoles, les claques ont été encore plus impressionnantes, comme l’illustrent les 7 % accordés à Michel Destot, pourtant tenant d’une ligne sociale-libérale et député-maire de Grenoble pendant de longues années. Et dans les terres les plus ancrées à droite, le PS en est parfois réduit à des scores humiliants, jusque sous la barre des 2 % comme en Haute-Savoie.

Le lâchage du noyau socialiste le plus fidèle

La temporalité de cette décomposition du noyau électoral est instructive. Ce dernier a en effet tenu jusqu’aux régionales de 2015. Certes, les piteux résultats des élections intermédiaires sous Hollande témoignaient d’une lourde sanction infligée au parti au pouvoir, tout en révélant la dénationalisation progressive de son implantation territoriale. Cependant, dans le cadre du « tripartisme » très commenté à l’époque, rien ne laissait présager l’annihilation actuelle. Il était tout à fait rationnel pour les dirigeants du PS, resté dominant à gauche, d’anticiper une défaite nationale et une éventuelle alternance cinq ans après. « Après la pluie, le beau temps », comme le prévoyait avec lucidité Le Devin dans un album d’Astérix. La séquence 1992-94, durant laquelle des régionales, des législatives et des européennes désastreuses s’étaient succédé, n’avait-elle pas précédé le retour de la « gauche plurielle », avant la conquête par le parti d’une majorité de collectivités territoriales dans les années 2000 ?

On voit bien que nous ne sommes plus dans cette configuration. Entre-temps, deux réformes ont marqué l’année 2016. L’une, inaboutie, fut l’élargissement de la déchéance de nationalité et son introduction dans la Constitution. De la part de l’exécutif Hollande-Valls, c’était faire là un accroc dans le libéralisme culturel qui unifie non seulement l’électorat socialiste, mais toute la gauche. Macron, on le sait, avait pris ses distances et ne s’est pas privé de le rappeler. L’autre réforme, portée par la loi El Khomri avec l’inversion de la hiérarchie des normes en ce qui concerne la durée du travail, constitua une autre rupture avec les compromis sociaux et doctrinaux que le PS avait jusque-là préservés. Après un mouvement social auquel le gouvernement était resté sourd, c’est la gauche alternative incarnée par Jean-Luc Mélenchon qui a été le réceptacle de la colère engendrée.

« Un élément peut être ajouté au modèle de Mack », suggère Pierre Martin, électoraliste à Sciences Po Grenoble, « à savoir celui de la disparition d’un adversaire identifié ». Depuis le début du quinquennat, le pouvoir socialiste n’a cessé de légitimer, par les mots utilisés et les raisonnements déployés devant les Français, une grille de lecture néolibérale des difficultés de l’économie française. Cela aurait pu rester sans conséquence, si Emmanuel Macron n’avait pas surgi au cœur de la présidentielle avec son business party, bâti à la hâte mais avec professionnalisme. Ayant eux-mêmes œuvré à son ascension, et accordé du crédit à ses idées économiques, quelle doctrine pouvaient bien lui opposer les défenseurs du quinquennat ?

À droite avec Macron, comme à gauche avec Mélenchon, les électeurs outrés par la dernière phase du quinquennat ont ainsi eu à disposition deux entrepreneurs politiques efficaces, mobilisateurs et beaucoup plus cohérents que des dirigeants socialistes désormais inaudibles. À cet égard, le score du PS atteste bien que la campagne de Hamon n’était pas un « accident » imputable à sa seule équipe. Le récit selon lequel il existait un électorat socialiste endormi, susceptible d’empêcher Macron d’obtenir une majorité, était mystificateur. Dès que l’offre électorale lui en a donné l’occasion, le noyau de cet électorat a fait défaut, dans les grandes largeurs. Et s’il faut y lire la conséquence de trois décennies d’épuisement des réseaux et milieux socialistes au profit d’un électoralisme à courte vue, ainsi que l’a souligné l’historienne Marion Fontaine durant notre live du premier tour, les indices concordent pour faire des 18 derniers mois du quinquennat un moment décisif.

De cet effondrement, le PS ressortira avec une perte de financement public colossale, une absence d’unité que seule la perspective du pouvoir pouvait préserver à défaut d’une doctrine partagée, et un déficit de crédibilité pour prétendre de nouveau à la direction du pays. Dans les cas étudiés par Charles S. Mack, les partis détruits ont souvent éclaté en plusieurs mouvements, en même temps qu’ils se sont fondus dans d’autres forces plus dynamiques. Ils se sont parfois maintenus, comme les libéraux britanniques devenus libéraux-démocrates, après avoir été rejoints par quelques leaders travaillistes au début des années 1980. Mais aucun n’a retrouvé la position de grande force d’alternance qui avait été la sienne.

Comme le remarque le politiste, les modes de scrutins à finalité majoritaire (uninominal à un tour comme au Royaume-Uni ou aux États-Unis, uninominal à deux tours comme en France) sont particulièrement pénalisants : qui n’est plus capable de se qualifier à la ou aux premières places est voué à la marginalité ou au statut de supplétif. Un mode de scrutin proportionnel offre davantage de possibilités de rebond, encore que le cas grec incite à la prudence, le cas néerlandais restant à surveiller. Mauvaise nouvelle pour ce qui restera du PS : le pouvoir n’a pas l’air pressé de modifier la loi électorale.

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