Édition du 17 décembre 2024

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Asie/Proche-Orient

Dix remarques pour les progressistes qui discutent de la Syrie

Alors que la Syrie est de retour sur la scène médiatique en raison des horribles attaques à l’arme chimique de la semaine dernière [21 août] qui tuèrent des centaines de personnes ainsi qu’en raison des menaces des Etats-Unis d’opérer des frappes militaires, voici quelques remarques pour les militant·e·s et organisations progressistes et radicales aux Etats-Unis alors qu’elles envisagent une réponse adéquate.

Ne dites pas ou ne laissez pas entendre, en aucune manière, que les deux côtés ont tort et qu’il n’est pas clair qui devrait être soutenu si nous sommes impliqués militairement. C’est une insulte à tous les Syriens qui sont sortis et continuent à sortir dans les rues et qui protestent autant contre le régime que contre les forces qui cherchent à utiliser cette période de guerre pour affirmer leur propre pouvoir sur d’autres. C’est une honte de voir combien de groupes progressistes aux Etats-Unis sautent dans le wagon « les deux côtés sont mauvais », affirmant que nous ne devrions pas être impliqués. Un million d’enfants sont des réfugiés et c’est de la faute du régime. C’est le régime qui bombarde les villes avec des avions de combat ; c’est le régime qui a dirigé le pays par la force brutale pendant des décennies. Toute déclaration qui ne reconnaît pas cela est, une fois de plus, une insulte envers ceux et celles qui ont tant sacrifié.

Ne confondez pas l’Irak avec la Syrie. C’est aussi grotesque que ceux qui regardent le Kosovo comme un exemple d’intervention militaire pour en soutenir une en Syrie. C’est assez pathétique lorsque tant de progressistes et d’activistes de gauche sont obsédés par les affirmations prétendument fausses d’utilisation d’armes chimiques. Plus de 100,000 Syriennes et Syriens ont été tués, la majorité par des armes conventionnelles. Il y a donc mille et une excuses pour que les Etats-Unis interviennent. Des armes chimiques truquées ne sont donc pas nécessaires. Il n’y a aussi aucun élément qui me convainc selon lequel Al-Qaida a accès et utilise de telles armes. Al-Qaida a combattu les Etats-Unis en Irak pendant une décennie et n’a jamais fait usage de telles armes. Mais, subitement, Al-Qaida les utiliserait en Syrie ? Et si les rebelles possédaient de telles armes, le régime se serait effondré, il y a déjà longtemps.

Ne soyez pas obsédés par Al-Qaida, les extrémistes islamistes, les djihadistes, etc. Depuis le 11 septembre 2001, les progressistes ont justement esquivé l’utilisation de toutes ces étiquettes lorsqu’il était question de la guerre des Etats-Unis contre le « terrorisme », alors que nous les utilisons librement lorsqu’il s’agit de la Syrie et, en fait, nous en sommes convaincus. L’écrasante majorité des Syriens, autant ceux qui ont pris les armes que ceux qui continuent de résister par des moyens non violents, n’ont rien à voir avec les groupes extrémistes et se sont soulevés contre toutes les forces qui détruisent leur pays, qu’il s’agisse du régime ou des prétendus groupes « d’opposition » [allusion, entre autres, aux manifestations contre Al-Nosra dans le nord de la Syrie]. Il est aussi important de comprendre que l’Armée syrienne libre (ASL) n’est pas une armée disposant d’un centre de commandement unique dont les ordres viennent d’en haut. Il s’agit d’un groupe dont le système d’affiliation des « bataillons » est lâche et dont quiconque peut affirmer en faire partie.

Soulignez tous les échecs des Etats-Unis envers la Syrie et comment larguer des bombes sur le pays n’est pas ce qui est nécessaire. Je ne suis pas personnellement convaincu que les Etats-Unis seront impliqués militairement. Ils ont promis des armes aux rebelles qui doivent encore être fournies. En aucune manière les Etats-Unis ne seront directement [sur le terrain] impliqués parce que, ainsi que cela a été souligné par le général Martin Dempsey [1] et dans une tribune du New York Times [2], il est bien plus utile pour les « intérêts » des Etats-Unis que les Syriens se massacrent les uns les autres. Je pense que prendre position sur le fait que les Etats-Unis ne doivent pas être impliqués par le biais d’une intervention militaire est bien. N’écrivez pas « Hands off Syria » [Bas les pattes de la Syrie] en supposant qu’il s’agit d’un genre de conspiration américaine. N’affirmez pas que cela a à voir avec le fait que les Etats-Unis ne disposent pas du droit de prendre parti dans une guerre civile. Ne faites pas comme s’il s’agissait d’argent pour ici [les Etats-Unis] dans la mesure où nous [Syriens] avons besoin de plus d’aide humanitaire. Faites en sorte que ce qui est mis en relief dans vos propos porte sur qui apportera de l’aide pour mettre un terme aux souffrances des Syriennes et Syriens.

Soulignez l’hypocrisie des Etats-Unis alors qu’ils jugent la Russie pour envoyer des armes au régime. La semaine dernière uniquement, un reportage est paru selon lequel les Etats-Unis expédiaient des bombes à fragmentation d’une valeur de 640 millions de dollars à l’Arabie saoudite [3]. Les armes [américaines] continuent de se répandre en Egypte, au Bahreïn et en Israël malgré de massives violations des droits humains. Appelez à ce que soit mis un terme à la vente à tous les régimes de la région.

Ne laissez pas d’authentiques préoccupations au sujet de l’impérialisme des Etats-Unis, d’Israël, de l’Arabie saoudite, etc. vous faire croire, lorsque vous observez des images et des vidéos d’enfants morts, qu’il s’agit de conspiration. Bachar [el-Assad] est un dictateur autoritaire et ses lettres de noblesse en matière de résistance sont un peu sommaires. Souvenez-vous simplement qu’il collabora avec les Etats-Unis sur des initiatives telles que les transferts [« renditions », le programme de prisons secrètes et de tortures sous-traité à des régimes autoritaires amis] de la CIA [4]. Ce n’est pas parce que la CIA entraîne quelques combattants en Jordanie ou que quelque dirigeant rebelle anonyme est cité dans un journal israélien que le soulèvement syrien contre un régime brutal n’est pas légitime.

Insistez sur la bravoure continue du peuple syrien qui descend dans les rues et qui proteste contre le régime, les extrémistes et tous ceux qui cherchent à détruire leurs luttes pour la liberté et la dignité [5]. Comme c’est le cas partout, la couverture des violences prend le dessus sur les résistances non-violentes continues.

Exhortez avec force les gens à donner de l’argent pour l’aide humanitaire [Médecins sans frontières, par exemple]. Entre les morts, les emprisonnements, les déplacements intérieurs de populations et les réfugiés, je pense que 30 à 40% de la population syrienne est d’une façon ou d’une autre déracinée [le HCR estime que d’ici à la fin de l’année près de 10 millions de Syriennes et Syriens – soit presque la moitié de la population du pays – seront réfugié·e·s ou déplacé·e·s intérieurs].

Je n’ai pas de solutions réelles à vous proposer dont vous pourriez vous emparer pour encourager les gens à les soutenir. Peut-être que pousser à un véritable cessez-le-feu pourrait être une option, ce qui supposerait une pression sur la Russie pour exiger de Bachar qu’il se rétracte. Je sais que le fait que je ne possède pas de réponse sur ce qu’il faudrait faire est une lacune, mais quelquefois le meilleur moyen d’action est de seulement être en solidarité avec des personnes en lutte en le reconnaissant, tout simplement.

1o° Les Syriennes et les Syriens méritent le même respect pour leur lutte que toutes les autres luttes de la région : en Tunisie, en Egypte, en Libye, au Bahreïn, au Yémen et, toujours, en Palestine.

Notes

[1] http://www.nytimes.com/2013/07/23/world/middleeast/pentagon-outlining-options-to-congress-suggests-syria-campaign-would-be-costly.html?pagewanted=all&_r=1&, voir aussi : http://alencontre.org/moyenorient/syrie/syrie-des-milliards-par-mois-pour-en-finir-avec-bachar.html

[2] http://www.nytimes.com/2013/08/25/opinion/sunday/in-syria-america-loses-if-either-side-wins.html?smid=fb-share&_r=1&

[3] http://killerapps.foreignpolicy.com/posts/2013/08/22/us_shipping_thousands_of_cluster_bombs_to_saudi_arabia_despite_international_ban

[4] http://www.theguardian.com/world/2013/feb/05/cia-rendition-countries-covert-support

[5] http://www.jadaliyya.com/pages/index/12556/the-growing-challenge-to-the-syrian-regime-and-the

* Texte publié le 27 août 2013 sur le site mondoweiss.net ; traduction A l’Encontre.

Ramah Kufaimi

Auteur sur la Syrie publié dans ESSF

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