Édition du 19 novembre 2024

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Québec

À Québec : première assemblée de "Faut qu’on se parle"

De l'art du buzz médiatique... à la démocratie facebook ?

J’ai participé à la première grande assemblée de « Faut qu’on se parle » qui se tenait au Musée de la civilisation de Québec, le 13 octobre dernier, et je dois dire que j’ai été médusé. Médusé tout d’abord par l’intérêt suscité par cette initiative : quelques 400 personnes se sont retrouvées ce soir là dans le grand hall du musée pour parler et discuter de politique québécoise pendant près de 3 heures, avec une bonhommie et un enthousiasme certain, et alors que beaucoup d’autres avaient été refusées, faute de place.

Il faut dire que l’événement avait été préparé avec un art consommé, notamment en termes de sortie dans les médias, parvenant ainsi à créer autour de l’événement un "buzz médiatique" impressionnant. À tel point d’ailleurs que les organisateurs se trouvent aujourd’hui incapables de répondre à la demande, ayant déjà reçu plus de 240 propositions d’assemblées de cuisines un peu partout au Québec.

Mais j’ai été médusé aussi par la façon dont les débats ont été menés, et surtout par la manière dont on a su –pour ne pas rendre l’exercice trop lourd— utiliser les nouvelles technologies de la communication. C’était par table de dix que les gens étaient appelés à se retrouver et à former ce soir là environ 40 mini ateliers de discussion. Et puisqu’il s’agissait d’abord de faire parler les gens, on a réservé à ces 40 ateliers près d’une heure de discussion, mais en disposant d’une tablette électronique dans laquelle un des participants colligeait les principales idées émises par le groupe ; idées qui aussitôt étaient envoyées à un ordinateur central depuis lequel les animateurs de la soirée pouvaient immédiatement élaborer une synthèse.

À la mode facebook ?

Ce soir là, 3 thèmes avaient été privilégiés en fonction des désirs préalables des participants : le climat, la démocratie et l’éducation. Et sur ces 3 grands thèmes, il fut comptabilisé 669 propositions venant de la salle. Cependant ce fut, pour chacun des grands thèmes, autour de 5 ou 6 grandes propositions que fut menée –pendant la deuxième partie de cet exercice— la synthèse en grand groupe. Et là encore de manière très pédagogique et attrayante : d’immenses tableaux inter-actifs permettaient non seulement de visualiser ces quelques grandes idées synthétisées, mais aussi de réagir vis-à-vis d’elles.

Ainsi on a pu prendre le pouls de la salle en instantané sur des questions aussi diverses et concrètes que la nécessité du « bâillon à l’assemblée nationale » ou encore du « financement par l’État de l’école privée ». Et cela, grâce aux tablettes électroniques transformées en machine à enregistrer votre accord individuel sous la forme du fameux « j’aime, j’aime pas » à la mode facebook. On pouvait ainsi voir immédiatement la tendance de l’assemblée (favorable ou défavorable) se matérialiser sur les écrans interactifs sous forme de bandeaux verts ou rouges s’élargissant ou non selon les points de vue exprimés.

Des interrogations

Mais si l’événement avait été bien organisé et avait tout pour plaire, il n’en a pas moins, au fur et à mesure de son déroulement suscité chaque fois plus d’interrogations, particulièrement en termes de contenu. Dès le début, c’est Gabriel Nadeau Dubois qui donne le ton, rappelant que « le Québec a besoin d’une grosse discussion collective sur notre avenir (….) et que si « bien sûr, il y a beaucoup de mobilisations citoyennes (...) », néanmoins « les gens sont inquiets de la direction qu’on prend (…), car « sur le plan politique les choses sont bloquées depuis presque 10 ans », et « il nous manque encore un projet réellement rassembleur capable de mobiliser en grand nombre les citoyens du Québec. D’où l’appel à tous et toutes : « nous aider à trouver des solutions les plus concrètes possibles pour relancer le Québec ».

En fait toutes les limites potentielles de ce projet se trouvent peut-être déjà là, inscrits dans ces quelques mots. Car d’évidence –au-delà même du buzz médiatique qu’il a su susciter— si ce projet a eu le succès qu’il connait, c’est parce que ses deux têtes d’affiche (Gabriel Nadeau Dubois et Jean-Martin Aussant) incarnent clairement en termes symboliques, pour de larges secteurs de la population aux aspirations souverainistes, une réponse politique possible à la crise que connaît le PQ ainsi qu’aux insuffisances ou fragilités de partis comme Option nationale ou Québec solidaire. Sauf que le projet de "Faut qu’on se parle" ne se donne pas à voir comme cela. Il se présente comme un exercice où l’on ne veut surtout pas faire de la « politique partisane » et où l’on prétend rechercher avant tout des propositions et « solutions concrètes ».

D’indéniables limites

C’est ce qui explique sans doute l’impasse totale qui a été faite par les organisateurs, sur le travail d’élaboration politique mené par Québec solidaire depuis 10 ans à propos de thèmes en tous points semblables à ceux traités ce soir-là. Comme si on partait de rien et que c’était une page blanche qu’il fallait écrire. C’est ce qui explique aussi la manière quelque peu cavalière, et en tout état de cause bien éloignée des exigeants critères de la démocratie participative, avec laquelle on tend à traiter de telle ou telle question, à la ramener en plénière et à voter dessus.

Ainsi tant sur la question du financement public de l’école privée que sur celle de la suppression du bâillon à l’assemblée nationale, il n’y a eu aucun véritable exposé des arguments possibles en leur faveur ou défaveur et par la suite aucune délibération collective véritable à leur propos. Donnant l’impression de retomber dans les facilités et les superficialités de vagues sondages maisons. Et cela sans oublier le fait que les arguments avancés ce soir là par Jean-Martin Aussant sur l’indépendance (qui n’est ni de gauche, ni de droite, mais en avant, etc.), étaient exactement les mêmes que par le passé, sans un iota de différence.

Et Québec solidaire, là dedans ?

On le voit, il y a dans cette initiative autant d’ivraie que de bons grains. Et sans doute cela devrait être la tâche des militants et militantes de Québec solidaire : non pas seulement regarder de loin et d’un œil bienveillant cette nouvelle initiative citoyenne, en donnant en douce un coup de main en termes organisationnels ou même d’appui politique ; mais bien plutôt s’y investir activement sur la base de tous les acquis qui sont les leurs. En soutenant ainsi ce qu’il y a déjà de positif (la naissance d’un nouvel espace de parole très vivant) et en cherchant à en bonifier les côtés problématiques (le manque de démocratie authentique, l’existence oubliée d’une réflexion collective déjà existante).
Encore faudrait-il que QS ose prendre les devants et loin de toute approche mi figue mi raisin par trop consensuelle, ose enfin de manière collective, dire haut et fort ce qu’elle a à dire à ce propos !

Pierre Mouterde

Sociologue, philosophe et essayiste, Pierre Mouterde est spécialiste des mouvements sociaux en Amérique latine et des enjeux relatifs à la démocratie et aux droits humains. Il est l’auteur de nombreux livres dont, aux Éditions Écosociété, Quand l’utopie ne désarme pas (2002), Repenser l’action politique de gauche (2005) et Pour une philosophie de l’action et de l’émancipation (2009).

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