À voir des dizaines de milliers de jeunes prendre la rue depuis le début de la grève étudiante, ce dernier commentaire a de quoi surprendre. Ceux qui « accusent » les jeunes d’apolitisme semblent restreindre l’implication politique au seul exercice d’un vote qui ne s’exprimerait qu’une fois par quatre ou cinq ans pour élire la députation à l’Assemblée nationale. Ce disant, ils minimisent ce qu’il se passe dans nos rues et l’ampleur qu’a pris un mouvement qui déborde largement les sources de ce conflit.
L’implication politique des jeunes qui participent au mouvement étudiant n’est pas que sans précédent au Québec. Il est aussi original par le chemin qu’il a emprunté pour en arriver, finalement, à englober dans sa sphère de revendications la remise en question de l’ordre établi dans ses fondements mêmes. L’injustice, qu’elle soit politique, culturelle ou économique, est vigoureusement dénoncée. Et de la plus éloquente des manières ! Dans la rue, assidûment et énergiquement (sans casse, quand même). Mais aussi par les écrits, les discours et en se faisant les plus grands artisans d’une véritable démocratie, participative celle-là. Autant leurs porte-parole que les autres qui interviennent pour défendre leur cause, « la cause » finalement, le font plus brillamment et en plus grand nombre que toutes les autres générations qui les ont précédées.
Cynisme : pourquoi ?
Il faut reconnaître que pour plusieurs, et pas seulement chez les jeunes, un discrédit est jeté sur les élus à tous les niveaux de la vie politique et en particulier chez ceux qui siègent à l’Assemblée nationale. Certains voient dans ce cynisme de la vie politique traditionnelle une crise profonde. Comment en est-on arrivé là ?
J’ai 52 ans. J’ai vécu avec beaucoup de fébrilité la montée du Parti québécois dans les années 1970 et sa portée au pouvoir en 1976. J’ai participé à une grève pour bloquer la volonté de ce tout premier gouvernement du PQ de fermer le cégep de Sorel, considéré par la revue L’Actualité comme étant « le taudis des cégeps ». Nous avons lutté, fait obstacle au projet et même obtenu la construction d’un nouveau bâtiment ! En 1980, j’ai voté pour la première fois de ma vie dans ce référendum que nous avons (de mon point de vue, bien sûr !) amèrement perdu.
Il y avait une effervescence au plan politique et social durant ces années qui s’est poursuivie au début des années 1980. Nous étions conscientisés. Nous étions impliqués.
Ces années ont vu ce même Parti québécois commencer à appliquer les thèses de la droite dont les principaux porte-parole se nommaient Thatcher et Reagan. Lors des négociations avec les employés de l’État, ces derniers ont été dénigrés, traités de « gras durs », de « privilégiés ». Main dans la main, le patronat et le gouvernement les ont rabaissés aux yeux de la population pour justifier de sombres coupes dans leurs conditions de travail et de salaires. Ce faisant, on dénigrait évidemment les services publics, joyaux de la Révolution tranquille, obtenus le plus souvent par des luttes populaires et syndicales.
Puis, le PLQ, poursuivant ces mêmes politiques néolibérales, a parlé de « déréglementation », de « privatisation », de « révision des fonctions gouvernementales » (rappelons-nous Fortier, Scowen et Gobeil) . En ce sens, il entreprit une première réforme du réseau de la santé. Il s’agissait essentiellement de réduire les budgets, et les services bien sûr. Car c’est cela aussi le néolibéralisme et les thèses de l’Université de Chicago. Fin 1980, une nouvelle ronde de négociation avec les employés de l’État s’engageait et ces derniers ont, encore une fois, subi les foudres d’un gouvernement intransigeant qui continuait de les discréditer. Eux et les services qu’ils donnaient. La loi 160, la loi 78 de l’époque, leur retira un droit de grève déjà malmené par des « services essentiels » qui l’avaient largement ratatiné. La confiance des syndiqués à l’égard du processus de négociation avec l’État-employeur en a pris pour son rhume.
Les années 1990 et 2000 se sont ainsi poursuivies avec un régime minceur des politiques sociales et des services publics. D’autres lois spéciales frappèrent les syndiqués de tous les milieux, y compris dans la construction, qui retirèrent même le droit de négocier.
Avec les libéraux, des pratiques scandaleuses, nommées collusion, corruption, « extras », ont évidemment accru ce cynisme. Son caractère révoltant a aussi été déterminant dans la mobilisation étudiante.
Un État rapetissé, des fonctions dévalorisées
Durant toutes ces années, des patrons, des marchands, des députés, des ministres, ont blâmé la « taille de l’État », les dépenses publiques (celles prévues pour les services, pas celles pour construire des routes et des viaducs qui coûtent, a-t-on appris plus tard, 30% plus cher ici qu’ailleurs...), l’ensemble des services publics et des programmes sociaux.
Le rôle de l’État a ainsi été décrié, critiqué, rabaissé, diminué. La qualité des services publics s’est évidemment détériorée, contribuant ainsi à cette spirale de dénigrement de l’État et à cette perte de confiance à l’endroit de ceux qui l’ont rapetissé.
Malgré l’emballement des années 1960 et 1970, 30 ans de politiques néolibérales ont eu leurs effets sur la perception qu’a une partie toujours grandissante de la population : cynisme des institutions, dont l’Assemblée nationale, perte de confiance des députés et à l’égard du rôle de l’État, dévalorisation du caractère public des services assumés par lui. Pourquoi se surprendre de la baisse du taux de participation, en particulier des jeunes, lors des élections ?
Une mobilisation qui dérange bien du monde
Il y a une superbe brise de fraicheur qui souffle sur le Québec en ce moment. Et elle vient de la mobilisation, de la ferveur et de la détermination de ces jeunes qui ne cessent de nous surprendre. Qu’on ne se trompe pas : elle est contagieuse !
Mais elle en dérange plusieurs. Car ils sont nombreux à vouloir limiter la portée de leur action et de leurs aspirations à ce mot d’ordre de voter « stratégiquement » pour mettre les libéraux dehors. Ce mouvement qui est né d’une opposition à la hausse des frais de scolarités épouse maintenant une cause plus large et ce n’est pas vrai qu’il se satisfera d’une défaite des libéraux. Le PQ, durant ses années au pouvoir, en appliquant un train de mesures néolibérales, dont le gel du salaire minimum et de dramatiques coupes dans les services publics (dont des fermetures d’hôpitaux), est aussi dans le collimateur de celles et de ceux qui souhaitent un virage. Se sentant visé, il plaide pour un vote « stratégique ». C’est de bonne guerre. Il souhaite davantage être élu que de sortir les libéraux. Sinon, il laisserait au moins le chemin libre à Québec solidaire dans Mercier, qui n’aurait aucune chance de tomber libéral. À cet égard, l’ennemi du Parti québécois semble davantage être QS que le PLQ lui-même…
Notre histoire récente a vu une population s’appauvrir du fait, entre autres d’un endettement causé par des politiques restrictives, d’une perte du pouvoir d’achat et de la montée du travail précaire. Elle a aussi été témoin d’un État québécois continuellement déplumé et dévalorisé par deux partis, le PQ et le PLQ. Ce cynisme face à l’État et au pouvoir politique qui est constaté vient pour beaucoup de leurs actions. De ce que d’aucuns qualifient de « réalité » de l’exercice du pouvoir qui n’est, en fait, qu’une soumission aux diktats du capitalisme et de sa phase actuelle : le néolibéralisme.
Devant cette réalité, la véritable « stratégie » à adopter, s’il fallait en privilégier une au cours de cette prochaine élection, est d’en finir avec cette vision de politiques centrées sur les besoins des financiers, des marchands, des banquiers, des prospecteurs, et avec eux, du PQ et du PLQ (et leurs résidus comme la CAQ), pour élire des députés en phase avec nos convictions d’un Québec égalitaire et respectueux des femmes et des hommes, mais également de l’environnement.
Pour ma part, je voterai pour Québec solidaire.