Édition du 17 décembre 2024

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Politique canadienne

Accord économique entre le Canada et l'Europe - Le libre-échange canadien et la campagne électorale

Angela Merkel et Stephen Harper viennent d’annoncer avec insistance la nécessité de conclure l’Accord économique commercial global (AECG) avec l’Union européenne. Tout cela peut sembler bien loin des préoccupations québécoises. Pourtant, cet accord concerne directement de nombreux champs de juridiction du Québec. Et pas les moindres : la santé, l’eau, l’agriculture, l’éducation, la culture, les marchés publics et l’investissement.

En fait, sa portée est si grande qu’après son adoption, nous ne vivrons plus dans le même Québec.

L’accord est absent des plateformes électorales des différents partis politiques, sauf de celle du Parti libéral du Québec. Ses conséquences seront pourtant telles qu’elles dépasseront largement le mandat du prochain gouvernement élu. Selon l’avocat Steven Shrybman, dans un avis donné au président du Syndicat canadien de la fonction publique, l’approche adoptée dans cet accord « livre les prérogatives des futurs gouvernements provinciaux et territoriaux à la merci du gouvernement actuel qui peut, aujourd’hui, imposer ses vues à tous les gouvernements qui seront élus par la suite pour diriger cette province ou ce territoire ».

Le futur parti au pouvoir aura donc d’énormes responsabilités, puisqu’il devra décider de ce qui affectera sa population pendant de longues années, malgré les éventuels choix électoraux des citoyens. Les libéraux ont décidé de maintenir le secret le plus opaque autour des négociations. Pressés de s’expliquer à ce sujet par des députés de l’opposition, ils ont fermement maintenu leur position : les Québécois ne sauront rien de ce que leur gouvernement est prêt à offrir aux Européens dans les négociations, même si celles-ci affecteront les secteurs les plus vitaux de notre économie.

Ce que l’on sait des négociations

Le travail de plusieurs organisations de la société civile, à partir de fuites et de rares rencontres avec des négociateurs, a permis de dresser un portrait inquiétant des négociations en cours. Le Canada et les provinces semblent prêts à garantir aux multinationales européennes un accès très large à notre marché. Les Européens, quant à eux, demeurent nettement plus prudents : ils ont établi dans les mêmes secteurs de solides « réserves », c’est-à-dire qu’ils refusent de les ouvrir inconsidérément à la concurrence des entreprises canadiennes. Cet accord ne se négocie donc pas dans la réciprocité.

En vertu de la clause de l’ALENA intitulée la nation la plus favorisée, les provinces devront aussi ouvrir les mêmes secteurs aux entreprises étatsuniennes et mexicaines. Les monopoles d’État et les services publics qui n’auront pas été adéquatement protégés s’éroderont peu à peu pour laisser une place toujours plus grande à l’entreprise privée.

L’accord prévoit l’ouverture des marchés publics, provinciaux et municipaux à la concurrence internationale. Devant l’impossibilité de discriminer en notre faveur, et à cause de la règle du plus bas soumissionnaire, il deviendra très difficile pour nos gouvernements de développer des politiques d’achat local, de développement régional, ou des plans favorables à l’emploi de qualité et à la protection de l’environnement.

De plus, l’ouverture encore plus grande de ces marchés à de puissantes entreprises ne mettra pas fin aux problèmes de collusion et de corruption, bien au contraire. En position d’oligopole, celles-ci pourront aisément se répartir les contrats publics, tel que révélé par de nombreux cas en Europe.

L’AECG inclura des règles sur l’investissement qui permettront à des investisseurs de porter plainte contre un État lié par l’accord si des réglementations limitent l’accès au marché escompté, même si ces réglementations ont été conçues dans l’intérêt public. Cette reconduction probable du fameux chapitre 11 de l’ALENA porte profondément atteinte à l’autonomie des gouvernements. Ce que reconnaît d’ailleurs le gouvernement canadien sur son site Web : « il se pourrait que les gouvernements s’abstiennent tout simplement de proposer des règlements par crainte de poursuites ».

Un débat public s’impose

Des enjeux aussi fondamentaux, paradoxalement, ne sont pas souvent abordés dans une campagne électorale, alors que les partis cherchent à marquer des points, font des annonces partisanes, lancent des promesses et privilégient l’approche clientéliste. Un véritable souci pour la démocratie nécessite aussi de s’exprimer sur des sujets moins rentables électoralement, mais qui concernent des choix qui marqueront notre avenir. Ce qui va bien au-delà de quelques annonces ponctuelles.

L’AECG nous questionne ni plus ni moins sur le type de société dans lequel nous voulons vivre. Souhaitons-nous préserver l’intégrité de nos services publics ou les ouvrir au privé et à la concurrence étrangère ? Tenons-nous à ce que nos gouvernements puissent adopter librement des lois pour limiter le pouvoir des entreprises, favoriser le développement local et protéger l’environnement ? Ou le libre marché doit-il entraîner une déréglementation toujours plus grande ? Faut-il tout marchandiser ou déterminer ce qui appartient à tous et relève du bien commun ? Faut-il continuer à négocier l’entente en secret ?

De pareilles questions peuvent et doivent être débattues dans la présente campagne électorale. D’autant plus que selon les négociateurs, l’accord devrait être conclu au cours de la prochaine année. Il est prévu que l’accord, incluant les annexes, fera beaucoup plus de mille pages rédigées dans un langage juridique sibyllin. Nos politiciens ne devraient-ils pas expliquer dès maintenant leurs intentions plutôt que d’adopter plus tard une entente dont ils n’entreverront pas toutes les conséquences parce qu’ils n’ont pas eu à se prononcer à son sujet ?

Parce qu’il touche tant de secteurs vitaux qui affectent le fonctionnement même de notre société, il serait donc essentiel de faire de l’AECG un important enjeu électoral, comme l’accord de libre-échange avec les États-Unis l’a été dans le passé. Les défenseurs de l’accord prétendent qu’il sera bon pour notre économie. Aucun pourtant n’a réussi à démontrer concrètement ce qu’il nous apportera, sinon de nous promettre comme un Eldorado l’accès à un grand marché de 500 millions d’habitants déjà largement ouvert.

Les crises qui se succèdent nous montrent à quel point une ouverture tous azimuts des marchés peut être nocive. Plutôt que de nous précipiter à l’aveugle dans des accords de libre-échange dont on n’a jamais fait de bilan convaincant, ne serait-il pas bon de réfléchir, comme nous l’ont rappelé les étudiants, à nos choix collectifs et à l’essence même de notre organisation sociale ?

Claude Vaillancourt est président d’ATTAC-Québec

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