Alors que l’épidémie d’angoisse se propage, que les cris d’alarme et les ordonnances d’anti-dépresseurs se mutiplient, et que l’on s’impatiente sérieusement de ce confinement qui n’en finit plus, il me semble pourtant que l’on se précipite vers une sortie de crise avant l’heure. Aurons-nous vraiment compris ce qui était à comprendre ?
N’oublions pas que le temps finit par adoucir les souvenirs. Et qu’il peut être aussi porteur de remords…
Un confinement rassurant et plein de promesses
La suspension de nos activités, presque instantanée, a été mise en branle il n’y a de ça qu’à peine six semaines. Le 12 mars, les rassemblements se voyaient interdits. Le lendemain, plus d’école ! Le surlendemain, l’état d’urgence sanitaire était déclaré, et les aînés confinés. Le 15, c’est la vie publique qui en prenait pour son rhume : bars, gyms, cinémas, et biblios vidés, et restos quasiment autant. Dans la foulée, les frontières furent fermées. Une économie paralysée, une société ralentie, nos libertés cadenassées à l’intérieur de nos quatre murs.
L’épidémie débilitante nous aura tous pris de court. Pour plusieurs, notre gouvernement aura épaté avec sa gestion de crise efficace et rapide. 85% de la population a approuvé ce début de gestion de crise selon un sondage du 18 mars publié dans Le Devoir. Les conférences de presse quotidiennes, sur le ton rassurant de notre Premier Ministre entouré de ses deux experts sanitaires, nous ont relayé une information paraissant crédible et fiable, des messages clairs et des avertissements jugés nécessaires et opportuns. M. Legault aura réussi à instaurer un climat de confiance et même à créer une certaine cohésion sociale grâce à la gratitude et aux encouragements destinés aux travailleurs déclarés essentiels à la sortie de crise. Comme un bon père de famille, ou un berger ramenant ses moutons au bercail. Notre société québécoise aime la sécurité, les règles et la structure.
La bulle protectrice du confinement aura d’abord été un soulagement. Des vacances inespérées, un répit. L’occasion de ralentir la cadence d’un quotidien anesthésiant, continuellement bousculé par les exigences du travail, de l’école, et de tout le reste.
La crise est apparue comme une opportunité. Peut-être même une réflexion sur notre mode de vie effréné. Sur l’écologie, sur la façon dont on consomme et les impacts sur la santé et l’économie justement. Plusieurs se sont découverts des talents de boulangers ou de gentlemen farmers, même des élans bouddhistes d’un moment présent saisissant. Les écoliers, sonnés par un souhait auquel ils ne croyaient plus, ont été ravis de retrouver leurs parents enfin disponibles. La famille est réapparue, les liens affectifs resserrés, l’intimité renouvelée.
Une créativité libérée et féconde. L’opportunité de dessiner les nouveaux contours d’un réel que l’on souhaiterait différent, de découvrir un nouveau champ de possibles.
« Je ne comprends pas que les gens ne fassent pas retraite une fois l’an. C’est si nécessaire ces trêves à la faveur desquelles le travail se retourne comme un gros chat, se modifie profondément ». (Nicolas Bouvier)
Il y avait là une opportunité à saisir au vol. Celle de redéfinir notre société et de retrouver le talent de vivre.
Incohérences du discours gouvernemental : l’art du confinement s’effrite avec l’angoisse qui monte
Les premières inquiétudes sont apparues avec le manque de travail et des finances qui ne suivaient plus. Cela a révélé à quel point beaucoup de ménages québécois vivent à crédit et attendent leur paye pour pouvoir faire l’épicerie. Jusqu’à ce que viennent heureusement en renfort de coûteux programmes d’aide financière (questionnés aujourd’hui comme étant trop généreux).
Puis on s’est mis à nous balancer des chiffres de plus en plus alarmants tous les jours. Combien de temps cela va durer ? L’incertitude et l’incapacité de prévoir ce qui s’en vient ont commencé à nous paralyser. Pas de stratégie claire mise en place. Les réactions du gouvernement se faisaient à brûle pourpoint, au jour le jour.
Or, l’inconnu est angoissant. On n’a plus eu l’impression que le gouvernement lui-même savait où il s’en allait. On nous a parlé d’une courbe à aplanir, de résurgences possibles.
Lavage de mains, distanciation sociale, la radio martèle les codes de survie en faisant participer ses artistes. « Reste chez vous » rappe Koriass. Les commerces de grandes surfaces encore ouverts nous bombardent de questions auxquelles il serait bien inopportun de répondre par l’affirmative, et prennent grand soin de recadrer nos espaces. Le stress monte d’un cran.
Jusqu’aux scientifiques eux-mêmes, qui débattent entre eux de la compréhension qu’ils possèdent jusqu’à maintenant du virus, de son mode de transmission, et de l’immunité collective. Alors on s’en remet à qui ? On fait confiance à qui ? Et il n’y a pas de psychologue parmi le trio Legault-Arruda-McCann ! Il faut s’en remettre à la technocratie des experts sanitaires, qui ne maîtrisent pas complètement le sujet…
Et puis des incohérences ont commencé à surgir dans le discours gouvernemental, dévoilant le manque de plan flagrant. Sous la pression du milieu des affaires, mais aussi parce qu’il est avant tout un entrepreneur néo-libéral, notre Premier Ministre s’est mis à jouer au stop and go et à instaurer l’idée du déconfinement. Difficile de ne pas rester insensible à cette pression certes, pour celui qui a le souci du PIB des entreprises dans les veines.
Avant même que la stabilisation du rythme de propagation du virus ait été confirmée, il a parlé de la réouverture des écoles avant le 4 mai. Linché par des parents et professeurs inquiets, il a dû corriger le tir. C’est la Santé Publique qui déciderait du meilleur temps pour rouvrir les écoles. L’immunité collective qui s’enclencherait naturellement fut invoquée. Motivation à nouveau rectifiée, arguant cette fois des raisons sociales, notamment le bien-être des élèves qui seraient heureux de se retrouver, à 2 mètres de distance ! On veut bien croire en la fée des dents, elle a le bras long. C’est finalement à partir du 11 mai que les parents pourront caser leur progéniture et retourner au travail. À mentionner en douce. Une possibilité d’ailleurs facultative, pour un système à deux vitesses qui risque de voir ses défaillances dès la rentrée de septembre. Et envisageable uniquement pour les écoles primaires. Juste pour le mois qui reste.
Autre patate chaude : la crise des CHSLD et des résidences pour personnes âgées qui éclate en plein weekend pascal. Les cas de contagion y sont généralisés. On est ému, déstabilisé par nos vieux qui croupissent dans de véritables mouroirs. Le personnel va et vient, épuisé, souvent contaminé. Manque de soins criant, pénurie de personnel. Ceux-là justement, déclarés essentiels, qui sont si mal rémunérés. Une situation alarmante, qui souligne le décalage entre experts administratifs et acteurs sur le terrain, comme conséquence notamment de la centralisation opérée sous Gaétan Barrette. L’appel au secours de Legault pour que 2000 médecins spécialistes viennent en renfort n’est même pas entendu. C’est l’armée canadienne, sans formation médicale pour la plupart, qui ira ironiquement prendre soin de nos mémés. Crise des masques et soucis de manque d’équipement dans les hôpitaux n’étaient qu’une partie des dysfonctionnements de notre système de santé qui ont été mis à nu.
La crise sanitaire a révélé petit à petit des défaillances dans le système. Autant la gestion de crise de M. Legault a été saluée au départ, autant ce dernier aura été pressé d’en arriver à l’après-crise. Mais cette transition pleine d’incohérences est devenue insécurisante.
La hâte au déconfinement avant même de saisir l’opportunité de comprendre
Pour éviter que la crise ne révèle encore plus de dysfonctionnements, pour contenir l’impatience et éviter un débordement de l’anxiété qui se généralise et de l’angoisse qui monte, pour éviter un choc économique encore plus gros, une crise financière et une récession, Legault a jugé qu’il était temps de relancer l’économie coûte que coûte. Le déconfinement progressif des voisins européens aura aussi permis de dire que c’était notre tour.
C’est que la population aussi semble avoir hâte au déconfinement. Dans notre société de consommation et de distraction qui veut tout avoir tout de suite et switcher sur commande quand ça ne fait pas notre affaire, la pause est vite devenue ennuyeuse. Impuissance, désoeuvrement, vulnérabilité.
On n’avait plus le choix de se regarder le nombril, et de réajuster le tir, mais ça, c’est dur.
Alors, on a compensé : overdose d’internet, avec ses réseaux sociaux faussement sociaux, et de télé avec ses séries addictive, troquée contre l’overdose de travail habituelle, d’entraînement sportif et de sorties, question de s’évader. Plus possible de s’étourdir en dehors de chez soi. Le couch potato s’est refait couronner roi. On s’enligne pour plus de dépression, et de solitude.
Désenchantement sournois, anxiété, parfois violence. L’horaire désarticulé, le mou réconfortant du matin au soir, les munchies culpabilisants. Le bruit des enfants qui dérangent. Ces femmes qui ont vu leurs tâches s’alourdir, palliant à l’absence d’école tout en restant employées à distance, en voyant leurs responsabilités à la maison décupler. L’espace dans notre logis qui devient trop petit, quand alors on se pile sur les pieds et on tourne en rond.
L’envie de reprendre ses habitudes comme un opium asphyxiant. Occuper une fonction rémunérée, se sentir utile dans le maillon de la chaîne et faire fonctionner le système. Automates apeurés par la possibilité faramineuse de devoir réinventer la roue.
Car les crises sont porteuses de transformations. Comme la Dépression des années 30 et autres cataclysmes sociétaux qui ont transmuté les problèmes en progrès sociaux et autres avancées, l’émancipation des femmes, de nouvelles organisations du travail, le Grand Confinement pourrait lui aussi changer notre monde pour y mettre plus de vie, plus d’humanité dans notre travail, plus d’égalité, plus de présence dans nos familles, de soleil et de terre.
L’histoire nous présente sur un plat d’argent l’opportunité de faire des changements assourdissants et nécessaires.
Il y a une puissance intrinsèquement transformatrice au confinement. Je l’écrivais plus tôt avec ces co-vides, ces nouveaux espaces qui se libèrent.
« En s’adaptant au confinement, une compréhension de la situation prendra tranquillement la place du stress et de l’anxiété, et nous mènera à une plus grande résilience », assure Cyrulnik. Car la résilience est un processus, un chemin à parcourir qui demande du temps et des efforts. Un temps pour transcender.
Laisser l’ennui s’installer, stay with it, un concept bouddhiste qui engendre des transformations. Laisser l’organisation du télé-travail avec les enfants prendre forme, laisser l’organisation familiale se faire, l’éloge de la lenteur, le dimanche pas d’épiceries retrouvé en famille, le retour au sport et à la terre.
Ne ratons pas l’occasion de nous épater nous-mêmes.
Notre gouvernant manque peut-être de sublime en revenant à ce qu’il connaît : un retour à la ‘normale’ avec la croissance des entreprises, le même modèle économique. Fidèle au poste, il risque de passer à côté de l’histoire.
Bien sûr, il faut relancer l’économie, mais aussi réparer les fêlures des pots qui craquaient déjà, et qui se sont inévitablement cassé.
À nouveau pour son plan de relance, il s’entoure de spécialistes : ministre des Finances, de l’Économie et du Conseil du Trésor. Ne manque-t-il personne d’autre pour être en charge de la transition économique - et sociale ?
Remettre l’économie capitaliste sur les rails sans prendre en compte la crise climatique pourtant à l’origine de ce chaos, c’est vite oublier. Les pertes d’emploi, la fragilité des revenus, le surendettement, le retour à la course au travail, aux profits et aux émissions de carbone.
Espérons qu’une stratégie à court, moyen et long terme, qui tienne compte des problèmes dévoilés au grand jour, et qu’on ne peut plus négliger, sera mise de l’avant.
Malheureusement, il me semble qu’un déconfinement hâtif se profile la queue basse devant la peur effarante de tous les possibles.
Prendre le risque de construire un nouveau modèle et d’exister autrement, ce que les politiques ont tant de mal à saisir, sans doute une naïveté de ma part, peut être vu aussi comme un signe de sagesse pour les années à venir, et même de respect pour l’humanité.
Alors que nous avions l’opportunité de redéfinir notre société pour y mettre plus de vie, alors même que le confinement dont je voulais cultiver l’art me semblait enchanteur, il semble que nous n’aurons pas eu le temps d’apprendre ni même la résilience. Et encore moins de comprendre ce que nous avions à comprendre.
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