Il y a surendettement des Etats et ce surendettement serait dû à l’impéritie des gouvernements, à leur laisser-aller en matière de dépenses. Il n’en est rien : la crise de la dette souveraine n’est qu’une prolongation de la grande crise qui a failli emporter le monde il y a trois ans. Avec l’éclatement de la bulle immobilière (en particulier américaine), la dette des ménages est devenue celle des organismes financiers, et celle-ci à son tour est devenue celle des Etats.
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L’heure de vérité a sonné de part et d’autre de l’Atlantique, parce que la crise continue, en prenant d’autres déguisements et que les expédients utilisés pour reporter les échéances sont en voie d’épuisement. En Europe cette crise prend surtout la forme du surendettement public, aux Etats-Unis surtout celle d’un étouffement de la croissance. Mais la décision de Standard and Poor’s de dégrader la note américaine en dit long sur le caractère universel d’une crise mondialisée. Le dernier rempart, celui des Etats, est en train de céder.
Mordant la main qui les a nourris, les « marchés » exigent d’être sauvés sur fonds publics, puis n’hésitent pas à se ruer sur ces mêmes Etats qui les ont secourus. Sous leur pression, les politiques d’austérité mises en place approfondissent la crise et ce, d’autant plus violemment qu’elles sont maintenant généralisées. Ce faisant, supposées réduire l’endettement, ces politiques l’aggravent au contraire, par réduction des recettes fiscales. Pris dans ce cercle vicieux, le monde capitaliste a d’autant plus de mal à trouver la voie de la sortie que les munitions publiques ont été tirées et sont désormais épuisées, qu’il s’agisse de l’instrument budgétaire ou du monétaire, les taux des banques centrales étant toujours maintenus au plancher, sans grands résultats. Derrière des Etats désarmés, on voit maintenant apparaître clairement les lois implacables du système capitaliste, celles dictées par la soif inextinguible de profit, un système menacé d’effondrement et qui risque d’entraîner l’humanité tout entière dans sa chute.
Que faire ?
Ce n’est pas ici le lieu d’énoncer l’intégralité d’un programme qui passerait en revue toutes les mesures nécessaires, certaines qui découlent directement de la situation actuelle, d’autres qui en sont la conséquence logique, d’autres encore qui s’attaquent au système capitaliste dans ce qu’il a de plus fondamental. Cela serait utile, mais le feu est à la maison et il faut mettre en œuvre l’indispensable quitte à ce que, à partir de là, d’autres voies soient ouvertes sur un autre horizon. Il faut – priorité des priorités – éteindre l’incendie de la dette. Il faut – geste de survie – maîtriser la finance, l’empêcher de nuire, une bonne fois pour toutes. Il faut – préparation de l’avenir - jeter les bases d’un redémarrage, de façon à assurer l’emploi.
L’urgence absolue est de faire face au problème de la dette publique. Trois points sont essentiels : 1) quel que soit le pays, il faut décréter un moratoire sur la dette existante et la soumettre à un audit, pour porter un jugement circonstancié et déterminer quelles dettes seront remboursées et quelles ne le seront pas. Une partie substantielle de la dette, cela est clair, devra être répudiée. Le reste sera soumis à restructuration : rééchelonnement, réduction, plafonnement, etc. 2) réformer dans les plus brefs délais les statuts de la BCE, pour permettre le financement monétaire du déficit public (achat par la BCE des titres de la dette publique lors de leur émission). La BCE procède déjà à des achats de tels titres, mais il s’agit surtout du « marché de l’occasion », où les titres achetés par les banques sont revendus. Ce qui permet aux banques, tout à la fois, d’exiger une prime de risque lors de l’achat du titre et d’être assurées ensuite de pouvoir le revendre. Le financement monétaire du déficit enlèverait son pouvoir de chantage à la finance. 3) En matière de déficit public, il faut redresser la situation, surtout s’il faut renoncer aux fonds fournis par les marchés. Une réforme fiscale d’ampleur s’impose, pour revenir sur les avantages consentis aux patrons et taxer fortement les hauts revenus, les profits des sociétés et les patrimoines des riches.
La crise l’a montré de façon éclatante…. et désastreuse : il faut ligoter la finance . Ce qui, outre l’interdiction de la titrisation des créances et des fonds spéculatifs, implique la levée du secret bancaire, la chasse aux paradis fiscaux et la constitution d’un grand pôle bancaire public, par nationalisation d’un nombre significatif de banques en position dominante. L’appareil bancaire doit être soumis à un contrôle sévère, la séparation entre banque de dépôts et banques d’affaires restaurée. Il faut taxer les transactions financières, instaurer le contrôle du mouvement des capitaux. Il faut interdire les ventes à découvert, qui permettent la spéculation sur titres. Il faut aussi placer les Bourses en position subordonnée, ce que nous pouvons obtenir par une taxation renforcée des plus-values, l’introduction d’un délai entre l’achat et la revente des actions ou carrément la non cessibilité des titres émis. Il faut enfin mettre les banques centrales et toutes les institutions financières sous le strict contrôle des pouvoirs publics.
Si l’on ne veut pas que les mêmes causes produisent les mêmes effets, il faut rompre avec le modèle de la mondialisation libérale. Ce qui suppose bien des choses qu’on ne peut développer ici, qu’il s’agisse du droit de propriété de l’entreprise, d’une autre mondialisation (et d’une autre Europe), du périmètre des biens communs ou encore de la crise écologique. Mais l’indispensable, le socle à partir duquel bâtir, c’est un nouveau rapport salarial. En effet, il faut un nouveau partage de la valeur ajoutée, radicalement différent de l’actuel, pour assurer les bases d’un autre développement. Il faut aussi stabiliser le marché du travail, en rétablissant la prépondérance des CDI, en confinant les diverses formes du travail précaire, en encadrant strictement les licenciements. Il faut garantir les acquis sociaux, en finir avec les politiques d’austérité, reconstituer des services publics dignes de ce nom.
Voilà le plus urgent. L’accomplir serait déjà énorme, mais s’en tenir là serait illogique. Ne voit-on pas que derrière tel ou tel « excès » de la finance, il y a l’esprit d’un système, le capitalisme ? Ne voit-on pas que, derrière la mondialisation libérale, il y a encore et à nouveau les exigences d’un système, le capitalisme ? La crise actuelle a déjà suscité d’immenses souffrances dans le monde. Ses nouveaux développements sont, de ce point de vue, terriblement menaçants. Il est temps de tirer un trait, il est temps de changer d’horizon.
Achevé de rédiger le 7/08/2011.
Isaac Johsua