Pourquoi ce « non » retentissant ? Et surtout, quelles leçons tirer de cet échec ? En toile de fond à ce débat, le Plan Nord du gouvernement de Jean Charest et les multiples enjeux soulevés par ce vaste projet de développement.
Le projet d’autonomie du Nunavik
Le Nunavik, c’est le Grand Nord du Québec. Peuplé à 90 % par les Inuits, ce vaste espace riche en ressources naturelles demeure un objet de convoitise pour les grandes compagnies minières et autres entrepreneurs économiques. En faciliter l’accès aux fins de développement est précisément l’idée maîtresse du Plan Nord du gouvernement Charest.
C’est dans ce contexte que les Inuits revendiquent aujourd’hui un plus grand contrôle sur la gouvernance de la région. Il s’agit non seulement de bénéficier d’un tel développement, mais aussi d’en minimiser l’impact sur les communautés, sur les plans environnemental et humain.
L’entente soumise récemment à la population proposait à cette fin la fusion des principaux organismes administratifs régionaux créés en 1978 à la suite de la Convention de la Baie-James et du Nord québécois (CBJNQ). L’Administration régionale Kativik, la Régie régionale de la santé et des services sociaux du Nunavik et la Commission scolaire Kativik devaient donc être réunies sous l’autorité d’une assemblée régionale élue directement par la population de la région.
Ce processus de fusion devait être, au dire même de la société Makivik qui a négocié l’entente avec Ottawa et Québec au nom des Inuits, une première étape vers la création d’un véritable gouvernement autonome pour la région.
La démocratie inuite en action
À la surprise générale, aucune des 14 communautés inuites de la région ne s’est prononcée en faveur de l’entente, qui pourtant est le fruit d’un long processus de négociation et de consultation. Pourquoi donc ?
À l’approche du référendum, les diverses voix opposées à l’entente trouvent leur point d’ancrage au sein d’un groupe Facebook. Fort de près de 1000 membres, soit près de 10 % de la population de la région, ce forum de discussion virtuel servira d’espace afin de permettre aux jeunes et moins jeunes de poser des questions sur l’entente, d’exprimer leur opinion sur celle-ci, mais aussi de débattre parfois d’enjeux plus larges quant à l’avenir du Nunavik. En plus de constituer un remarquable exercice de démocratie virtuelle, ce groupe de discussion constitue une mine d’or afin de comprendre l’opposition à l’entente.
Plusieurs y expriment leurs frustrations devant le manque d’informations concernant l’avenir de la région. Si la fusion des organismes régionaux est une première étape, quelle sera la suite ? Quels pouvoirs cette nouvelle assemblée cherchera-t-elle à obtenir de Québec ? Voudra-t-on « rouvrir » la CBJNQ afin de modifier les droits qui y sont reconnus ?
Ensuite, certains soulignent le peu d’attention portée, dans le projet d’entente, à la protection et à la promotion de la culture, de la langue et de l’identité du peuple inuit. Alors que prend forme le Plan Nord, avec son potentiel de bouleversement sur les plans économique et environnemental mais aussi démographique, il s’agit pourtant d’enjeux centraux pour lesquels le projet, tel que soumis à la population, offre peu de réponses.
Un troisième point ressort également des débats virtuels. La fusion des organismes administratifs existants ne réglera pas les nombreux problèmes auxquels font face les Nunavimiut, que ce soit en matière de décrochage scolaire, en matière de violence familiale ou en matière de santé. La crise du logement au Nunavik, où près d’une personne sur deux vit dans des conditions de surpeuplement, exige une réponse concrète. En quoi ce projet de fusion changera-t-il quoi que ce soit à cette situation devenue, pour plusieurs, intenable ?
Pour plusieurs, le projet de fusion des organismes administratifs n’allait tout simplement pas assez loin.
Les leçons d’un échec
Cette entente d’autonomie n’est pas la seule au pays à être rejetée par la population autochtone concernée après de longues années de négociations. Ces ententes sont souvent le résultat d’un processus de négociation « hyperjudiciarisé » qui n’est pas nécessairement favorable à l’innovation. Trop souvent, le désir de trouver un langage qui satisfait l’ensemble des parties fait aussi perdre de vue l’objectif derrière le processus lui-même. Au bout du compte, les communautés ne s’y retrouvent plus.
Plus important encore, si les gouvernements sont souvent prêts à déléguer la gestion des politiques et des programmes aux autorités autochtones, ils hésitent encore aujourd’hui à leur consentir un véritable pouvoir décisionnel, en particulier sur la gestion du territoire et des ressources. C’est pourtant là le nerf de la guerre.
Québec et Ottawa doivent prendre acte de la volonté démocratique du peuple du Nunavik. Le processus de négociation de ces ententes d’autonomie, marqué par la crainte de créer un précédent ou de déroger à la sacro-sainte souveraineté parlementaire, n’est pas compatible avec la volonté des peuples autochtones de redéfinir leurs relations avec l’État et avec la population canadienne et québécoise.
Ce texte est tiré d’un article qui a été publié dans le numéro du mois d’août de la revue Options politiques de l’Institut de recherche en politiques publiques. L’auteur est professeur à École d’études politiques, Université d’Ottawa.