Édition du 18 juin 2024

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Canada

Crise du Bloc, conséquence d’une politique nationaliste sans issue

Le BQ vit des moments difficiles. Mais son existence n’a-t-elle pas été depuis sa création l’objet de controverses au sein de son propre courant d’abord mais aussi parmi la population ? C’est un parti qui objectivement ne peut pas et ne vise pas à prendre le pouvoir. Ce qui le place dans une situation où il ne vise pas non plus à travailler avec les forces sociales du Reste du Canada. Sa place au niveau fédéral ne peut donc qu’être imbriquée dans des contradictions qui surgissent selon l’intensité des événements politiques.

La crise que vit présentement le BQ n’est pas nouvelle, elle a connu son apogée en 2011 lorsque sa députation est passée de 54 à 11, au moment où le PQ stagnait quant à sa perspective souverainiste, ce qui avait provoqué le départ de quatre de ses députéEs. Par voie de conséquence le BLOC qui se veut l’extension de la stratégie souverainiste du PQ au niveau fédéral ne pouvait qu’en subir l’impact.

L’offensive actuelle des ténors du BQ contre Martine Ouellet ne fait qu’évacuer le fondement politique de la situation actuelle en ciblant une responsable. Cela révèle au contraire une opposition entre deux lignes politiques, tout autant illusoires et contreproductives l’une que l’autre, soit une opposition entre partisans de la ligne propagandiste pour l’indépendance et ceux et celles qui veulent continuer à jouer le jeu à l’intérieur du cadre fédéral autour de la défense des intérêts du Québec. Cela n’est pas sans apporter certaines contradictions.

Martine Tremblay souligne dans son livre La rébellion tranquille que le rôle du Bloc à l’origine servait à préparer le terrain pour le prochain référendum. Mais cette perspective n’est plus dans les cartes depuis longtemps. Martine Ouellet en sait quelque-chose, elle a fait campagne à deux reprises sur des bases indépendantistes pour gagner la chefferie du PQ et elle est arrivée loin derrière à deux reprises. Au contraire Jean-François Lisée s’est fait élire, entre autres, en promettant de reporter à un (hypothétique) deuxième mandat consécutif la réalisation de l’indépendance.

Le Bloc ne pouvait déjà aller plus loin que de constituer un groupe de pression au sein du parlement fédéral. Depuis 2011 et encore plus depuis la défaite historique du PQ de 2014 et sa descente continue, il ne peut maintenant à toutes fins pratiques faire autre chose qu’être en crise de perspectives.

Derrière cet affrontement il y a aussi des leçons importantes à tirer concernant la démocratie au sein d’un parti. Martine Ouellet a été élue par les membres de son parti en congrès et est redevable avant tout devant eux et elles. Certains prétendent qu’elle doit se soumettre à la décision majoritaire du caucus. La nature politique de la situation constitue le seul guide en cette circonstance. Puisqu’il s’agit d’un débat d’orientation, cette question ne peut être réglée par la députation, elle appartient aux membres.

Il est par ailleurs déplorable de constater l’attitude des médias qui font abstraction du fondement politique de cette crise pour l’attribuer uniquement au leadership de la cheffe du Bloc. L’entrevue de Patrice Roy à l’émission de nouvelles de RC a surpassé toute mesure en adoptant une attitude fraternelle et complice avec Gilles Duceppe, qui n’est pas un commentateur indépendant mais une personne intéressée dans cette histoire, tandis qu’il bombardait de questions à l’allure d’ultimatums Martine Ouellet dans un clip vidéo qu’ils commentaient ensemble par la suite sans la présence de l’intéressée. Une belle démonstration de comportement machiste, ne manquait que les tapes dans le dos et la bière sur le comptoir.

Ceci dit, en ce qui a trait au fond de la question, cette crise révèle encore une fois l’impasse que représente le Bloc comme élément stratégique d’accès à la souveraineté au sein de la politique fédérale. Le seul aboutissement logique qu’il a pu trouver est celui préconisé par Duceppe, jouer le jeu du travail parlementaire en tentant de faire adopter des réformes et « défendre les intérêts du Québec ». Cela conduit à deux effets contreproductifs.

D’une part cela peut permettre de conclure que le fédéralisme peut s’accommoder relativement bien d’une opposition souverainiste qui provient uniquement du Québec. Duceppe n’a-t-il pas déclaré à plusieurs reprises qu’il avait permis des avancées pour le Québec et empêché des catastrophes.

D’autre part la politique du Bloc renvoie dos à dos le reste du Canada et le Québec comme s’il s’agissait d’entités unies et strictement nationales sans rapport avec les mouvements sociaux qui luttent de part et d’autre pour une société de justice et sans rapport avec une classe dirigeante qui défend ses intérêts.

Le Bloc a d’ailleurs été empêtré dans ces contradictions lorsqu’il a pris position sur la question de l’exploitation pétrolière. Duceppe s’était opposé en principe au passage d’Énergie Est en sol québécois. Cette opposition timide restait cependant sous réserve de l’enrichissement que pourrait en tirer le Québec, position qui représentait en effet la position du PQ sous le gouvernement Marois. Tout en conservant une position ambiguë au Québec, il dénonçait avec fermeté les projets pétroliers dans le reste du Canada.

Lors des élections de 2015, le Bloc sous la direction de Gilles Duceppe avait fait une surenchère sur cette question et produit une publicité, disons-le odieuse, dans laquelle on voyait une goutte de pétrole se transformer en Niqab. Associant ainsi la position du NPD sur l’assermentation à celle sur le pétrole. Cela avait contribué à légitimer et renforcer le discours d’exclusion des communautés ethnoculturelles déjà amorcé par le PQ en 2013-2014.

Dans un débat où il défendait la position de serment d’allégeance à visage découvert, il avait également avancé une position ahurissante pour le chef d’un parti qui s’identifie à la souveraineté ; il s’est fait l’ardent défenseur de l’obligation d’effectuer correctement le serment d’allégeance à la reine pour obtenir sa citoyenneté canadienne. Sans compter le fait que cette position était complètement erronée sur le fond, il ajoutait encore une couche aux méfaits du nationalisme identitaire.

Il aura fallu un événement aussi dramatique que l’attentat à la mosquée de Québec en janvier 2017, pour que le Bloc québécois retire finalement de son site les publicités utilisées en septembre 2015. Peut-on s’étonner que ces communautés voient maintenant la souveraineté comme un projet rebutant ? Sans parler du message que cela a envoyé au reste du Canada et même dans le monde quant au type de société que nous voulons construire au Québec. À ma connaissance personne au sein du Bloc ni évidemment du PQ n’a signifié de divergence envers cette position en 2015.

On ne peut certainement, surtout dans ce contexte, simplifier la question de l’indépendance à une adhésion de l’ensemble de la population du Québec à ce qu’on pourrait appeler « un projet national ». L’indépendance pour réussir ne peut qu’être un projet qui s’oppose à la classe dirigeante du Québec qui contrôle l’économie aux dépens de la population. Un projet rassembleur qui affirme que le Québec appartient de façon égale à tous ceux et celles qui y vivent.

Notre défi en ce qui concerne le reste du Canada consiste à développer des liens avec le mouvement ouvrier, les groupes de femmes, les milieux sociaux et politiques afin d’expliquer la lutte que nous menons au Québec pour nous libérer de ceux et celles qui s’accaparent des profits et de nos ressources. Il faut leur dire que quelque part nous menons le même combat mais de façon différente et qu’ils n’ont aucun intérêt à appuyer leur propre classe dirigeante contre notre lutte. Il faut aussi saisir toutes les occasions pour construire des mobilisations communes.Notre libération c’est aussi la leur. Nous sommes des alliéEs qui agissons dans des dynamiques différentes mais qui se rejoindront en bout de piste.

L’indépendance du Québec ne pourra se réaliser sans l’impulsion et la mobilisation du mouvement ouvrier, des groupes en défense de l’environnement, des groupes féministes, LGBT, des communautés ethnoculturelles. La population ne se mobilisera pas pour un projet aussi important que celui de créer un État indépendant si cela ne permet pas de résoudre les problèmes de pauvreté, d’inégalités sociales et certainement du contrôle de notre environnement. En s’unissant dans cette lutte et en construisant la solidarité, les différentes communautés auront ainsi l’occasion de développer plus avant une nouvelle vision du vivre ensemble.

C’est cette absence de perspective qui conduit le Bloc dans une impasse. Mais il est aussi en crise parce que son existence est basée sur le PQ, un parti qui a épuisé toute possibilité d’accès à la souveraineté sous sa gouverne. Le PQ a en effet entachée la perspective souverainiste depuis plus de trente ans par ses assauts contre les syndicats, les assistéEs-sociaux, les communautés ethniques et par une politique environnementale basée sur l’enrichissement des entreprises au Québec. Le Bloc est en crise parce qu’il a une politique contreproductive concernant les alliances de solidarité que nous devons construire avec les forces progressistes du Reste du Canada.

Si la situation actuelle démontre l’impasse dans lequel se trouvent maintenant au niveau politique le Bloc et le PQ, elle indique également l’importance de la construction d’une alternative politique solidaire et progressiste au Québec en alliance avec les communautés autochtones et les mouvements sociaux dans le Reste du Canada.

Portfolio

André Frappier

Militant impliqué dans la solidarité avec le peuple Chilien contre le coup d’état de 1973, son parcours syndical au STTP et à la FTQ durant 35 ans a été marqué par la nécessaire solidarité internationale. Il est impliqué dans la gauche québécoise et canadienne et milite au sein de Québec solidaire depuis sa création. Co-auteur du Printemps des carrés rouges pubié en 2013, il fait partie du comité de rédaction de Presse-toi à gauche et signe une chronique dans la revue Canadian Dimension.

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