Le 1 avril 2015, Philippe Couillard a pris la parole à Londres en tant que coprésident du "Climate Group", une coalition disparate de villes et provinces dont les émissions de gaz à effet de serre (GES) par habitant se révèlent être 60% plus élevées que la moyenne mondiale. Le premier ministre a profité de sa tribune pour inviter les gouvernements à se fixer « des objectifs ambitieux » en matière de lutte au réchauffement climatique car « c’est ce qui est juste, et parce que nous savons que cela est possible » [1].
Cette déclaration est des plus surprenantes venant d’un homme qui, au Québec, s’est toujours montré complaisant envers le pétrole et le gaz de schiste, le pétrole « offshore » et le pétrole des sables bitumineux : énergies toutes plus émissives les unes que les autres. Par exemple, s’il devait être concrétisé, le projet de pipeline Énergie Est de TransCanada générera sur 40 ans autour de 5,2 milliards de tonnes d’équivalent CO2 [2]. Cela représente 30% de plus que les émissions du parc automobile mondial. Pourtant, cela n’empêche pas le premier ministre Couillard de se montrer favorable à ce projet et même de refuser que le bureau des audiences publiques sur l’environnement (BAPE) en étudie les impacts liés aux GES [3] !
M. Couillard présente aussi comme une avancée ambitieuse la participation du Québec à un marché d’échange de crédits de carbone avec la Californie. Cette initiative, sans être nuisible, ne représente toutefois qu’une avancée bien modeste. Selon plusieurs experts, le prix d’échange de la tonne de carbone en Europe, mais aussi au Québec, est beaucoup trop bas pour avoir l’effet de levier désiré pour le virage énergétique [4]. En outre, ce n’est pas en permettant aux industries d’acheter des droits de polluer que nous éliminons les GES. Les experts les plus sérieux s’entendent pour dire que c’est en cessant de subventionner l’industrie des énergies fossiles, en taxant fortement le carbone émis et en utilisant intégralement les recettes de cette taxe pour la mise en place des infrastructures nécessaires pour sortir de notre dépendance aux hydrocarbures que nous pourrons, peut-être, éviter le mur du climat [5].
En abandonnant pour une bonne part au marché le rôle de réguler le carbone dans notre économie, nos dirigeants choisissent d’ignorer un fait pourtant incontournable en matière de lutte au réchauffement climatique : l’urgence d’agir. Selon Fatih Birol, économiste en chef de l’Agence internationale de l’énergie : « La fenêtre permettant de respecter l’objectif des 2°C est sur le point de se fermer. En 2017, elle sera fermée pour de bon » [6] .
Car même si nous arrêtions demain de produire des GES, le réchauffement climatique - et surtout ses effets - ne s’arrêteraient pas d’un coup. Comme un bateau doit stopper sa course et faire marche arrière avant d’aborder un quai pour éviter de s’y fracasser, nous devons aujourd’hui mettre les moteurs à fond pour se sortir des énergies fossiles. Les gouvernements sont intervenus massivement lors de la crise financière de 2008 pour venir au secours des banques ; ils n’ont pas attendu que le marché vienne à la rescousse de l’économie. De la même façon, ils doivent aujourd’hui adopter des mesures drastiques pour stopper les émissions de GES. Les politiques d’austérité du gouvernement Couillard sont à cet égard totalement inutiles. Malgré les déclarations péremptoires de nos ministres, il faut nous rendre à l’évidence qu’au Québec, comme ailleurs dans le monde, les citoyens sont aujourd’hui seuls à mener une lutte sérieuse pour sauver le climat. Cette lutte, nous n’avons pas d’autre choix que de la gagner. Il y va de la survie de notre civilisation et sans doute de la majorité des espèces vivantes.
Louise Morand
Comité vigilance hydrocarbures de l’Assomption
Le 7 avril 2015