400 mètres sous l’aquifère
À la section du projet de règlement où il est question d’encadrer les installations destinées à rechercher ou à exploiter du pétrole ou du gaz naturel, ces enseignants ont été surpris de constater que le procédé de fracturation pourrait être autorisé selon certaines conditions. « Nous avons étudié les conditions décrites dans le projet pour réaliser des opérations de fracturation et rien ne nous indique que cela pourrait se faire de façon sécuritaire » d’affirmer d’entrée de jeu M. Jean-Marie Desroches, enseignant en physique. En effet, souligne-t-il, permettre de forer à 400 mètres sous une nappe phréatique est extrêmement hasardeux. Beaucoup de questions et d’incertitudes sont encore liées à cette technique de fracturation de la roche pour libérer du gaz et du pétrole. « Si on considère que l’industrie ne peut absolument pas prévoir l’étendue des portions verticales des fractures induites et qu’il est bien documenté que les dites portions verticales des fractures peuvent s’étendre à l’occasion sur plus de 550 mètres, l’application de cette norme de « 400 mètres sous la base d’un aquifère » nous mène directement dans la nappe phréatique. Et comment déterminer où se trouve exactement la base d’un aquifère ? Et quelle industrie contrôle réellement le trajet du forage horizontal ? » de renchérir M. Nicolas Parent, enseignant en biologie. Ce professeur cite une étude américaine indépendante qui a relevé des extensions verticales de fractures de 588 mètres dans le shale de Barnett et de 536 mètres dans le shale de Marcellus (Davies et al. 2012). « Il est aussi actuellement impossible de décrire la composition, la structure et le comportement géomécanique des formations géologiques qui seront fracturées », ajoute-t-il.
Analyses hydrogéologiques
Le projet de règlement fait grand cas d’analyses hydrogéologiques que l’industrie serait tenue de réaliser avant de procéder à des forages. M. Guy Desgranges, enseignant en physique est d’avis « ... que ces études ne garantissent pas la sécurité du procédé de fracturation car elles ne traitent que de mesures prises en surface et à 200 mètres de profondeur au maximum. Aucun protocole scientifique n’existe actuellement qui pourrait permettre d’obtenir des informations sur ce qui se passe réellement à plus grande profondeur. » « Au mieux, ces études permettront de connaître la direction que prendra la pollution si jamais les fluides de fracturation et les fluides hypersalés du shale remontent vers les aquifères ». M. Desgranges a ajouté que « ...Les entreprises qui n’auront pas su prédire correctement la fracturation auront-elles à répondre de leurs actes ? L’histoire nous apprend qu’il est fort peu probable qu’elles soient réprimandées, sans compter que les dommages à l’aquifère seront permanents, irréparables et irréversibles ». Il faut souligner ici que le Groupe de recherche interuniversitaire sur les eaux souterraines a tenu les propos suivants au BAPE en février 2011 : « Les échanges dans le socle rocheux entre les eaux souterraines superficielles et les eaux plus profondes, soit dans la zone d’exploitation des gaz de shale, sont des éléments pour lesquels très peu de données sont disponibles ». Qui plus est, comme des failles existent dans les formations rocheuses et qu’elles sont très peu cartographiées, ce groupe a noté que « les fluides [de fracturation] pourraient alors remonter dans les aquifères des niveaux supérieurs ou jusqu’à la surface des terrains » et que « cet écoulement vers la surface de fluides profonds pourrait être favorisé par la présence de failles recoupant les unités rocheuses. Il est possible que les effets de cette remontée de nouveaux fluides ne se fassent sentir qu’à moyen ou long terme dans les aquifères près de la surface. ». Le BAPE a d’ailleurs émis cet avis « ...qu’il n’y a aucune étude évaluant le risque que pourrait présenter, à moyen et à long terme, les eaux de fracturation contaminées dans le shale d’Utica. ». « Les mêmes commentaires s’appliquent pour le pétrole du shale de Macasty de l’Ile d’Anticosti et, de façon générale, là où il y a du pétrole, il y a aussi du gaz » a déclaré M. Desgranges.
À 300 mètre d’un puits d’eau potable
Les membres du Département des Sciences de la Nature ont pris connaissance d’une récente étude américaine qui met en évidence qu’en Pennsylvanie, des puits d’eau potable situés à moins de 1 km de puits de gaz de schiste contiennent 17 fois plus de méthane que des puits situés à plus de 1 km (Osborn et al. 2011). L’eau des puits situés à moins de 1 km des forages contenaient aussi d’autres hydrocarbures toxiques (éthane, butane et propane). Mme Geneviève Martin, enseignante en chimie, a exprimé ainsi ses craintes : « Ce qui m’inquiète encore plus, c’est que l’ensemble des résultats indique que la source la plus probable des fortes concentrations de méthane trouvées dans ces puits d’eau potable est du gaz thermogénique qui origine de matières organiques transformées à très grande profondeur au cours de très anciennes périodes géologiques. Ce n’est donc pas du méthane produit assez récemment en surface dans des poches de décomposition de matière animale ou végétale. ». De l’avis de ces enseignants, la distance séparatrice de 300 mètres prévue dans le projet de règlement provincial n’est donc pas suffisante pour protéger adéquatement les puits d’eau potable qui alimentent la majorité des citoyens des campagnes québécoises.
Innocuité du procédé
M. Raymond Lutz, enseignant en physique se fait le porte-parole de ses collègues en affirmant qu’il faudrait attendre les résultats des nombreuses études entreprises par l’Agence de protection de l’Environnement des États-Unis (EPA), et aussi celles en cours au BAPE, avant d’autoriser toute exploration et exploitation de gaz ou de pétrole non conventionnels sur tout le territoire du Québec. « Tout nous porte à croire qu’il n’y a aucune façon vraiment sécuritaire de procéder à de la fracturation », conclut-t-il.
Ont signé ce communiqué,
Philippe Courtemanche-Asselin, M. Sc., enseignant en biologie
Guy Desgranges, M. Sc., enseignant en physique
Benoit Deslandes, M. Sc., enseignant en biologie
Jean-Marie Desroches, M. Sc., enseignant en physique
Mathieu Desrosiers, B. Sc., enseignant en physique
Girouard, Paul-André, B. Sc., enseignant retraité en chimie
Raymond Lutz, M. Sc., enseignant en physique
Céline Marier, B. Sc., enseignante retraitée en biologie
Geneviève Martin, B. Sc., enseignante en chimie
Richard Mathieu, B. Sc., enseignant retraité en biologie
Caroline Nappert, M. Sc., enseignante en chimie
Nicolas Parent, Ph D, enseignant en biologie
Henri Tourigny, M. Sc., enseignant retraité en physique
Département des Sciences de la Nature du Cégep de Drummondville.