13 février 2023 | tiré du site pivot.quebec
https://pivot.quebec/2023/02/13/conseil-national-de-qs-debats-sur-le-bilan-des-rates-electoraux/
La plateforme électorale portée par Québec solidaire (QS) lors des élections de l’automne dernier était « la plus concrète et la plus concise de notre histoire, mais on aurait pu vouloir être encore plus concret, encore plus concis », affirme Julie Dionne, responsable nationale des élections au sein du comité de coordination de QS.
À l’occasion du Conseil national du parti, tenu cette fin de semaine au Collège Ahuntsic à Montréal, elle présentait aux membres le bilan électoral, préparé par le comité à partir des réflexions soumises par les différents groupes qui composent QS. Rappelons que le parti a stagné aux dernières élections, passant de 10 à 11 député·es, mais récoltant une plus faible part des votes qu’aux élections de 2018, descendant de 16,1 % à 15,4 % des voix.
Selon le bilan, la complexité et le niveau de détail de certaines propositions défendues par les candidat·es auraient suscité l’incompréhension d’une partie de la population, ce qui aurait joué un rôle dans le score décevant obtenu. Cela aurait aussi permis aux partis adverses de profiter de la confusion pour lancer des attaques infondées, mais dommageables, a dit le co-porte-parole Gabriel Nadeau-Dubois en mêlée de presse.
Québec solidaire a mis de l’avant des idées « qui ont fait réagir parce qu’elles étaient beaucoup à la gauche ».
Julie Dionne, Responsable nationale des élections de QS
Les fameuses « taxes orange » pour les millionnaires et les acheteur·euses de véhicules polluants, par exemple, figurent parmi ces propositions jugées délicates. Elles ont valu de nombreuses critiques à QS, les partis adverses et des figures médiatiques de centre et de droite les accusant de vouloir piger exagérément dans le portefeuille de gens ordinaires.
De telles propositions ont été mal représentées, mais elles étaient peut-être aussi trop provocantes pour susciter l’adhésion de la population, croit le parti. QS a mis de l’avant « de mesures très de gauche, qui ont fait réagir parce qu’elles étaient beaucoup à la gauche », a remarqué Julie Dionne.
Elle ne remet toutefois pas en doute la pertinence de propositions plus fortes, se réjouissant plutôt que les idées progressistes aient été « plus présentes dans l’espace public que jamais auparavant » grâce à la visibilité de QS. « On a été au cœur du débat politique durant une bonne partie de la campagne », a-t-elle relevé avec une pointe d’humour.
Une modération coûteuse ?
Pour certains membres, par contre, cette lecture ne colle pas tout à fait. Les débats sur le bilan électoral ont eu lieu à huis clos, mais des délégué·es y auraient remis en cause des aspects du bilan qui leur était présenté. « Ça divise à l’interne », rapporte Roger Rashi, un délégué du Réseau militant intersyndical de QS. « Ça a été extrêmement critique là-dessus. »
À ses yeux, les insuccès populaires de QS ne sont « pas dus à une question technique de communication, mais à un problème d’analyse politique » plus sérieux. Il regrette une campagne nationale qu’il juge à la fois trop modérée et passant à côté des idées susceptibles d’interpeller la population.
Comme d’autres, il croit qu’en essayant de recentrer leur message, les représentant·es du parti se sont retrouvé·es à devoir défendre une posture politiquement floue, pouvant provoquer la méfiance d’une partie des électeur·trices, mais plus difficilement leur enthousiasme.
« Gabriel Nadeau-Dubois ne voulait pas parler du “peuple”, ne voulait pas nommer les “ultrariches”, s’attaquer aux pétrolières et aux banques », illustre-t-il. Pourtant, ce serait là une critique sociale à la fois pertinente et « un discours plus simpliste, plus facile à comprendre » et créant plus d’adhésion, estime-t-il.
Cette lecture, selon laquelle les ratés de QS sont dus à sa timidité plutôt qu’à un excès de radicalité, contraste avec le discours qu’on entend généralement de la part des commentateurs influents, reconnaît Roger Rashi, mais il croit au potentiel mobilisateur d’un message clair et fort.
« Ça ne sert à rien d’essayer de jouer sur le terrain des politiciens en place, on ne gagnera jamais. »
Roger Rashi, membre de QS
Pour Louis*, un autre membre à qui nous avons parlé, qui a préféré garder l’anonymat, une part de l’erreur a été de mettre de l’avant des mesures écologiques et sociales qui, comme les « taxes orange », ciblaient « la classe moyenne supérieure plutôt que le 1 %, les gros joueurs économiques qui polluent et qui accumulent le gros de la richesse ». Avec de telles mesures, « les gens peuvent se sentir attaqués ».
Cela témoignerait aussi, selon lui, d’une timidité de la part du parti quand vient le temps de s’attaquer aux problèmes fondamentaux de notre modèle socio-économique, de peur de choquer.
Une position partagée par Roger Rashi, qui critique aussi le fait que les représentant·es aient laissé de côté, dans les discours publics, certaines propositions plus ambitieuses pourtant inscrites dans la plateforme électorale, comme l’idée nationaliser l’ensemble des énergies renouvelables (éolien, solaire, etc.) pour mieux planifier leur développement.
Une prudence plus coûteuse que bénéfique, selon lui. « Ça ne sert à rien d’essayer de jouer sur le terrain des politiciens en place, on ne gagnera jamais sur ce terrain-là », lance-t-il. Même son de cloche chez Louis, qui se demande quels gains il y a à faire en ressemblant davantage aux autres partis.
À l’inverse, rappelle Roger Rashi, lors de la campagne de 2018, « on avait une campagne clairement populiste, de gauche, claire, assumée » et cela avait mené à des gains record pour le parti, malgré une machine de campagne beaucoup plus petite.
Il peut être difficile pour un parti de faire accepter un discours qui tranche avec la norme, reconnaît Louis, mais il faut bien commencer quelque part, insiste-t-il. « C’est la fameuse question de l’œuf ou la poule. »
Il serait plus aisé pour QS de faire passer son message en cultivant un lien plus fort avec le mouvement social, analyse-t-il. Selon lui, en s’inspirant davantage des propositions défendues depuis longtemps sur le terrain par les groupes communautaires ou les syndicats, Québec solidaire pourrait mieux répondre aux préoccupations de la population, tout en pouvant compter sur l’appui de ces mouvements pour faire circuler les idées.
Parmi les propositions adoptées par les membres cette fin de semaine, certaines vont en ce sens. Les délégué·es ont notamment voté pour « que Québec solidaire défende clairement les intérêts des travailleuses et travailleurs, soutienne le front commun intersyndical et se porte à la défense des services publics ».
« Rester authentiques »
La direction du parti n’adhère pas à la lecture d’un « recentrage » dommageable. « Je ne suis pas d’accord avec ça, notre campagne a vraiment prouvé l’inverse » en faisant entendre plus que jamais des positions progressistes aux Québécois·es, a ainsi jugé Julie Dionne en abordant la question lors de son bilan.
Pour Gabriel Nadeau-Dubois, il est normal que le parti formule des propositions « réalistes » pouvant convaincre l’électorat et étant adaptées au fonctionnement du système politique. « Québec solidaire, pour grandir, doit présenter une plateforme électorale qui est réalisable dans un mandat de quatre ans, décliner un projet de société ambitieux dans une proposition politique qu’on sera capables de réaliser comme éventuel gouvernement. »
« Il y a un nombre limité de décisions que peut prendre un gouvernement en quatre ans. Ça veut dire choisir, prioriser. »
Gabriel Nadeau-Dubois, co-porte-parole de QS
Manon Massé rappelle quant à elle que les idées défendues par les représentant·es de QS durant la campagne ont été choisies collectivement en consultant les membres du parti. « C’est important de se rappeler que c’est un processus que les membres ont choisi, de démocratiquement définir une plateforme réalisable en un mandat. »
« Il faut faire ça sans trahir nos idéaux profonds, en restant authentiques avec qui nous sommes comme parti », conclut Gabriel Nadeau-Dubois.
* Nom fictif
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