Édition du 12 novembre 2024

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Environnement

Conjoncture en environnement

Le modèle économique de la CAQ ou le refus de s’engager vers une véritable bifurcation écologique

Le premier ministre François Legault se disait ému en annonçant le plus grand investissement privé dans l’histoire du Québec, celui de la compagnie suédoise Northvolt. Il faut dire que les gouvernements fédéral et québécois lui avaient construit un pont d’or, subventionnant cette entreprise à la hauteur de 7,3 milliards de dollars. Ce n’est qu’un début, nous prévenait Pierre Fitzgibbon. D’autres milliards sont également prévus pour soutenir la filière batteries. [1] Le gouvernement fédéral et celui de l’Ontario ont d’ailleurs déjà offert une subvention de 16,3 milliards de dollars pour favoriser l’installation de la première usine nord-américaine de batteries pour véhicules électriques de Volkswagen en Ontario. [2] .

Le développement de la filière batteries et la hauteur des subventions pour en favoriser la croissance sont l’expression du développement d’un nouveau modèle économique pour le Canada et le Québec reposant sur le renforcement des liens de dépendance avec l’économie américaine. Cette politique économique ne répond en rien à l’urgence de la crise climatique et va directement à l’encontre d’une lutte conséquente contre cette dernière.

Ce modèle se donne comme objectif de satisfaire les besoins en énergie et en composantes de batteries des grandes entreprises américaines, particulièrement les entreprises de l’automobile, pour qu’elles soient en mesure d’affronter la concurrence des entreprises chinoises tant en ce qui a trait à la production de minerais stratégiques qu’à celle des batteries ou des voitures électriques. L’objectif des grands de l’auto, comme GM, Ford, Stellantis et Volkswagen, entre autres, est de convertir le parc des automobiles thermiques en voitures électriques, d’en vendre le maximum, à fort prix, y compris avec l’aide des gouvernements pour ce faire.

Davantage d’extraction minière, davantage de production d’énergie électrique éolienne ou solaire, davantage d’investissements industriels gourmands en ressources minières et énergétiques dans une filière vouée à la transformation du parc automobile, le tout sous le contrôle de multinationales étrangères. Voilà, en somme, le modèle économique que cherche à nous imposer le gouvernement Legault. Ce modèle n’a rien à voir avec les objectifs de réduction des gaz à effet de serre (GES) ni avec ceux de la réduction des dépenses en ressources et en énergie nécessaires pour faire face à la crise climatique.

A. Davantage d’extraction minière avec ses conséquences environnementales désastreuses

Le Québec dispose de minéraux stratégiques (cobalt, coltan, cuivre, graphite, lithium, zinc, nickel) et de terres rares (néodyme, europium, gadolinium, terbium, dysprosium). Depuis quelques mois, facilitée par la Loi des mines qui donne tous les droits aux minières et aux spéculateurs, on a assisté à la prolifération de demandes de claims miniers sur le territoire du Québec . On compte désormais (en 2022) plus de 20 000 titres miniers dans sept régions du sud du Québec, dont 7 674 titres miniers dans trois régions du sud-est du Québec en date de novembre 2022 : Estrie (1 739), Bas-Saint-Laurent (1 242) et Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine (4 693). [3] .

Les projets d’exploitation minière grugent les terres agricoles et cela ne fait que commencer à cause de la recherche des minerais stratégiques particulièrement le graphite dans le sud du Québec. La Commission pour la protection des terres agricoles du Québec a accordé 100 % des demandes d’exploration des minières en milieu agricole, 97 % des projets d’infrastructures liés au transport et à la production d’électricité et 99 % des demandes d’implantation des parcs éoliens sur les territoires agricoles. [4]

La multiplication des claims par les minières en territoires citoyens montre que les droits des minières ont préséance sur les plans d’aménagement des territoires des villes et des Municipalités régionales de Comté (MRC). Le développement des mines et des entreprises par les multinationales risque de se faire aux dépens du contrôle citoyen sur ces territoires. Laisser libre cours aux principes dévastateurs du free mining fait aussi courir le risque immense de voir se multiplier les cas de contamination des réserves d’eau potable de ces territoires.

Cette montée d’un extractivisme sans balise vise à répondre aux besoins des entreprises multinationales que le gouvernement Legault cherche à attirer par des subventions qui se comptent maintenant en milliards de dollars.

B. L’augmentation de la production électrique pour répondre aux besoins des entreprises multinationales

Le gouvernement Legault ne vise nullement à réduire les demandes en énergie en priorisant l’efficacité et la sobriété énergétique. Dans une démarche de prophétie autoréalisatrice, il crée la perspective d’une pénurie d’énergie électrique pour répondre à des projets de croissance à tout prix à l’initiative des multinationales. Pour concrétiser cette perspective, l’énoncé de la CAQ est : « Hydro-Québec calcule qu’il faudra 150 à 200 TWh additionnels pour répondre à la demande d’électricité du Québec à l’horizon 2050 » soit deux fois plus d’électricité qu’actuellement. Pour y parvenir, la société d’État entend notamment « tripler la production éolienne » et « ajouter de la capacité de production hydroélectrique », tout en augmentant « la puissance de centrales existantes ainsi qu’en en créant de nouvelles » [5] . Cette approche de croissance à tout prix ne se préoccupe en rien de la diminution des émissions de GES et de la protection des ressources ; les associations patronales exultent.

Mentionnons ici qu’à plus long terme, cette augmentation se fera par la mise en chantier de vastes barrages hydro-électriques comme l’a annoncé à plusieurs reprises le premier ministre Legault. La renégociation avec Terre-Neuve-et-Labrador du contrat de Churchill Falls s’inscrit dans cette même logique des besoins en hydro-électricité. [6]. L’heure est donc dans ce modèle économique au renforcement des capacités de production d’électricité pour satisfaire les besoins des industries de la filière batteries, pour augmenter l’exportation directe de cette énergie pour les multinationales de l’automobile aux États-Unis et pour faire du Québec selon l’expression du premier ministre, la “batterie de l’Amérique du Nord”.

C. Fitzgibbon planifie la privatisation de la production d’énergie et la fin du monopole d’Hydro-Québec

La perspective d’une privatisation totale ou partielle d’Hydro-Québec est dans les plans du ministre de l’Économie et de l’énergie et du PDG d’Hydro-Québec. Cette privatisation ne prendra sans doute pas la forme de la vente d’une partie d’Hydro-Québec aux entreprises privées, mais le secteur privé est appelé à occuper une place de plus en plus importante dans la production de l’électricité. Déjà la production des énergies renouvelables (éoliennes et solaires) qui est appelée à se développer rapidement se fait par des entreprises privées, souvent multinationales. On pouvait lire dans le Manifeste pour un avenir énergétique juste et viable publié en novembre dernier, cet avertissement : « Nous nous opposons fermement à toute tentative de privatisation d’Hydro-Québec ou de ses actifs. Hydro-Québec est un patrimoine stratégique et doit rester sous contrôle public. Nous rejetons toute forme d’érosion de cette institution, cruciale pour le bien-être collectif, au profit du privé ».

Les syndicats d’Hydro-Québec affiliés au SCFP ont d’ailleurs lancé une campagne publique pour mettre en garde contre toute volonté de privatisation de la société d’État. Le développement de la filière-batteries, soutenu par les gouvernements fédéral et provincial exigera beaucoup d’électricité et le ministre Fitzgibbon, a ouvert la perspective d’autoproduction d’électricité par les entreprises privées dont les surplus pourraient être revendus à Hydro-Québec. La porte est grande ouverte aux projets privés de production et de transports d’électricité, comme celui de TEX, en Mauricie. [7]

Le ministre Fitzgibbon présentera d’ailleurs, dans les prochaines semaines, un projet de loi pour légaliser la vente d’électricité entre compagnies privées. Cela signifie que la production des énergies renouvelables se fera selon la logique de recherche de profits, sans plan d’ensemble. Cela affaiblit le rôle d’Hydro-Québec dans cette production tout en diminuant sa capacité à long terme à fournir des redevances qui permettent au gouvernement du Québec de soutenir ses missions sociales, entre autres, l’accès à une électricité abordable pour tous.

D. Le mépris gouvernemental de la consultation et du pouvoir citoyen

Que ce soit pour la Fonderie Horne à Rouyn-Noranda, pour l’aluminerie d’Arvida, pour le Port de Québec ou enfin pour l’usine de Northvolt, le gouvernement Legault est plus que conciliant sur les dépassements des normes environnementales par les entreprises. C’est plus de 89 entreprises très polluantes que le gouvernement autorise à déroger à la loi. [8] Il se heurte ainsi, comme l’a montré un sondage Léger d’août 2022, à la population du Québec dont le consentement est exigé à hauteur de 78 % pour toute nouvelle exploitation minière. 75% de la population voudrait interdire tout projet minier dans les zones touristiques et 89% souhaiterait interdire tout rejet des déchets miniers dans les lacs, rivières et milieux écologiques sensibles. La Coalition Pour que le Québec ait meilleure mine a demandé au gouvernement d’interdire cette pratique, mais le gouvernement est jusqu’ici resté sourd à ses demandes. Le gouvernement de la CAQ va jusqu’à autoriser des méga-projets en dépit des études du BAPE qui en identifient des lacunes. Il va même jusqu’à se passer des études du BAPE.

Le gouvernement du Québec se moque du nécessaire consentement des populations locales qui seront impactées tant par l’exploitation minière que par de grands projets industriels. Il prétend tenir compte des droits des peuples autochtones, mais ce ne sera que leur mobilisation et notre solidarité qui permettront la reconnaissance de leurs droits.

Le gouvernement de la CAQ dit bénéficier de l’oreille des pouvoirs et de la finance et avoir une vision d’hommes d’affaires. C’est pourquoi il refuse de réformer la loi sur les mines, d’écouter les doléances des Nations autochtones et des municipalités et de donner la priorité concernant l’aménagement du territoire au pouvoir citoyen. La mobilisation unitaire contre le projet de loi que doit présenter le ministre Pierre Fitzgibbon sera essentielle pour défendre la majorité populaire contre les intentions prédatrices du capital d’ici et d’ailleurs.

E. La filière batteries, un soutien au tout à l’automobile (thermique ou électrique)

Le premier ministre Legault et son ministre Fitzgibbon font fi de la nécessité de tenir compte des limites de la planète et de veiller à l’économie des ressources et de l’énergie. Ils refusent d’opérer une transformation radicale des formes que prend la mobilité. En 2021, le gouvernement Legault dépensait encore deux fois plus d’argent pour le réseau routier qu’en transport collectif. En 2022, l’argent du PQI pour le transport collectif diminuait encore : « Loin d’atteindre la moitié, les investissements en transport collectif représentent donc 30,4 % des dépenses dans les transports, contre 31 % dans le PQI 2021 et 34 % dans le PQI 2020. » [9]

C’est là la manifestation du refus du gouvernement de sortir du paradigme de l’auto solo comme principal instrument de la mobilité. Ce choix favorise l’étalement urbain et l’effritement des terres agricoles sacrifiées à la construction d’infrastructures routières et de nouveaux quartiers.

Le premier levier au Québec pour limiter la pollution et amoindrir le changement climatique est la limitation des déplacements et l’utilisation en priorité des transports en commun, du vélo et du partage des véhicules. Le passage à l’utilisation des transports en commun implique de rendre le transport public possible, efficace et gratuit. A contrario, la production d’un nouveau parc de voitures électriques par les multinationales de l’automobile vise à produire plus, pour vendre plus et empocher le maximum de profits sans modifier les habitudes de transport. On est loin de la nécessaire réduction du parc automobile comme l’a évoqué le ministre Fitzgibbon. On est en fait engoncé dans une dynamique tout à fait contraire.

F. Un modèle économique qui ne tient aucun compte de l’urgence climatique et de la démocratie citoyenne.

Refuser de remettre en question le free mining et le pillage de nos ressources ; soutenir les multinationales qui veulent faire main-basse sur la production des énergies renouvelables, mettre fin au monopole d’Hydro-Québec sur la production de l’énergie, fermer les yeux et permettre à des entreprises polluantes de ne pas tenir compte des normes environnementales, refuser de donner la priorité au développement des transports publics, refuser de s’engager dans une politique de sobriété tant en ce qui concerne nos ressources et notre énergie, balayer du revers de la main les propositions des citoyens et citoyennes des différentes régions et des institutions qui les représentent, voilà le modèle de développement que veut nous imposer le gouvernement de la CAQ.

Le modèle économique du premier ministre Legault et de son ministre Fitzgibbon ne vise pas à répondre aux besoins de la majorité populaire du Québec. Il cherche à faire du Québec une terre d’investissement profitable pour les multinationales dont la classe dominante d’ici espère recueillir certaines retombées, en reléguant au dernier de ses soucis la nécessité de répondre à la crise climatique qui ne cesse de se manifester de façon toujours plus dramatique.

Québec solidaire s’engage à réduire les émissions de GES « d’au moins 55 % par rapport au niveau de 1990 d’ici 2030, en se rapprochant le plus possible de la cible de 65 % ». Mais il lui reste à élaborer un plan global de bifurcation écologique pour parvenir à cet objectif. Il rejette l’extractivisme et veut en finir avec le « free mining » imposé par la Loi des mines. Mais il ne s’est contenté jusqu’ici à proposer un moratoire sur la ruée vers les claims miniers. Il propose la nationalisation des énergies renouvelables. Mais il serait nécessaire de mener une campagne sur la reprise en mains de nos ressources naturelles, minières et forestières. Il refuse la privatisation de la production de l’énergie. Il donne la priorité aux transports publics et à l’économie d’énergie. Il lui reste à insister sur le fait que l’autosolo même électrique n’est pas une solution à la crise climatique et à montrer l’impasse d’un modèle économique construit autour de la filière batteries. En précisant ses orientations, il sera en mesure de proposer une alternative concrète à la politique anti-écologique du gouvernement Legault.

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