Édition du 19 novembre 2024

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Québec solidaire

Congrès de QS : La véritable « audace », c’est la lutte pour le socialisme !

On sait désormais quelle vision « audacieuse » et « réaliste » Québec solidaire nous propose pour les prochaines élections provinciales. Le parti visera les classes moyennes avec un discours anti-CAQ axé sur l’environnementalisme et le financement des PME. Le congrès de décembre s’est bien gardé d’attaquer la propriété des grandes compagnies et des géants de l’immobilier.

27 novembre 2021 | tiré d’Alternative socialiste

Le 15e congrès de Québec solidaire (QS) s’est tenu en ligne du 19 au 21 novembre 2021. Le taux de participation semble avoir atteint un creux historique avec 300 personnes constamment en ligne sur une possibilité de 893. Il a principalement porté sur l’adoption de la plateforme électorale en vue des élections provinciales de l’automne 2022. Selon le porte-parole du parti Gabriel Nadeau-Dubois, les délibérations ont mené à l’adoption de la « meilleure plateforme électorale » de l’histoire du parti. Les débats ont plutôt été le théâtre d’un barrage d’interventions de la part des instances dirigeantes contre l’aile gauche du parti.

La direction, l’aile parlementaire et les différentes commissions ont nourri un feu groupé et constant contre tous les amendements réellement audacieux proposés par les associations locales. Beaucoup de bruit a été fait autour des cibles de réduction de gaz à effets de serre. Mais derrière cette promesse abstraite se cachait le point de bascule du congrès : se donner ou non les moyens d’éviter les crises du capitalisme en prenant collectivement en main le contrôle des principaux leviers de l’économie québécoise.

Une opposition ferme aux nationalisations démocratiques

Un déluge de tours de parole a déferlé pour discréditer les amendements visant à nationaliser démocratiquement les compagnies polluantes, celles du secteur des hydrocarbures, des mines, de la forêt, celles qui délocalisent, celles qui possèdent plus de 3 000 unités de logement ou celles qui laissent leurs immeubles et terrains abandonnés, vides ou négligés. Ces amendements issus des forces socialistes du parti – présentes en particulier dans les associations de Saint-Henri-Sainte-Anne, Prévost, Viau et Hochelaga-Maisonneuve – ont été rejetés. Mais elles ont quand même bénéficié de l’appui récurrent du quart des délégué⋅es.

Toutefois, l’amendement visant à « nationaliser sous contrôle régional l’ensemble des industries produisant des énergies renouvelables (éolien, solaire, etc.) » est passé à 59%.

Les arguments mis de l’avant contre les nationalisations avaient tous en commun la volonté de laisser une place aux entreprises issues de « l’économie sociale », donc privées, du milieu communautaire ou du coopérativisme. Il n’a alors pas été surprenant de constater l’adoption facile de tous les amendements visant à largement financer les PME.

Opposée à l’expropriation des immeubles abandonnés, une déléguée de Sherbrooke a synthétisé l’enjeu du débat de manière cristalline : « On ne peut pas s’attaquer au droit fondamental à la propriété ! ».

On comprend alors mieux pour qui, c’est-à-dire pour quelle couche de la population, cette plateforme est réellement la « meilleure ». Les commentateurs médiatiques ont bien remarqué cetournant procapitaliste à QS. Cette « maturité politique » des membres permettrait au parti de ne pas trop déranger le statu quo et de représenter une alternative « crédible » à la CAQ.

Crédible pour qui, au juste ?

Ces positions sont l’aboutissement d’une tendance lourde dans le parti depuis les dernières années. Animé par la direction, ses commissions et l’aile parlementaire, le refus d’aller dans une voie plus socialiste pose désormais QS comme parti de gestion du capitalisme, tout comme les vieux partis qu’il dénonce. C’est d’ailleurs ce chemin qu’ont suivi tous les partis travaillistes, socialistes et sociaux-démocrates au cours du 20e siècle. Ils ont été suivis par la trahison des formations larges de gauche comme SYRIZA en Grèce et PODEMOS en Espagne.

La nouvelle plateforme électorale donnera toute la latitude au parti pour se plier aux lois du marché capitaliste. À l’appel de la députée Ruba Ghazal, QS s’est d’ailleurs gardé une porte ouverte pour subventionner les grandes compagnies, malgré un amendement pour abolir cette aide financière. Selon elle, cette mesure est nécessaire pour attirer ces compagnies au Québec et leur faire adopter des comportements plus verts.

La plupart des résolutions adoptées la fin de semaine du 19 au 21 novembre n’ont strictement rien à voir avec la promesse du programme de « dépasser le capitalisme ». Le pari de QS consiste à « élargir » son électorat en courtisant les jeunes professionnel⋅les urbain·es, les petits entrepreneurs et les petits propriétaires. C’est un pari risqué compte tenu de l’instabilité politique de ces classes moyennes aisées qui, pour l’essentiel, votent déjà pour le parti libéral, voire la CAQ. Quels gens d’affaires ou propriétaires seront prêts à conclure que QS est le parti de la profitabilité ?

Se donner les moyens

Il est sans espoir d’attendre que des compagnies privées voulant maintenir leur profitabilité acceptent les éléments les plus radicaux du programme de QS. Partout dans le monde, les activistes pour le climat – notamment Greta Thunberg – réalisent que les mesures volontaires, limitées et non coercitives demandées au privé ne mènent nulle part. C’est seulement en sortant une industrie de ses obligations de profitabilité que l’on pourra effectuer les changements nécessaires pour combattre les changements climatiques.

S’attaquer à la propriété des compagnies polluantes, c’est-à-dire procéder à leur nationalisation sous contrôle démocratique des travailleurs et travailleuses, est donc fondamental pour y arriver. Ce processus de nationalisation nécessitera d’ailleurs la construction d’un contre-pouvoir massif, hors du parlement, pour obliger son application.

La nationalisation des principaux secteurs économiques québécois constitue toujours la principale stratégie du programme de QS pour dépasser le capitalisme. Dans la même logique, les nationalisations démocratiques représentent le meilleur moyen de se réapproprier notre territoire, nos ressources et notre commerce des mains des multinationales.

Aucun « geste de rupture » symbolique, aucune reconnaissance abstraite des droits des peuples autochtones ou aucun livre nationaliste publié par les député⋅es de QS ne menaceront la stabilité des États canadien et québécois. Leurs rapports de domination demeureront intacts sans une lutte acharnée contre le contrôle des classes capitalistes sur les institutions politiques et économiques. C’est précisément ce contrôle qui engendre l’oppression nationale des différents peuples du Canada.

Faire du Québec un pays nécessitera de s’attaquer au pétro-État canadien et à sa classe capitaliste financière en lui expropriant le système bancaire et le contrôle des hydrocarbures. Ce n’est qu’en contrôlant ces secteurs que nous pourrons reconvertir leurs activités et créer massivement des emplois verts.

QS à la traîne des mouvements sociaux

Le rapport dévastateur du commissaire à l’environnement du Canada https://ici.radio-canada.ca/rci/fr/... identifie le pays comme ayant l’une des pires performances de lutte contre les changements climatiques de tout le G7, depuis 2015. Plutôt que d’avoir baissé, les émissions de GES ont augmenté de 20% depuis 1990. C’est ce qui se passe lorsque la stratégie verte du gouvernement consiste à subventionner les compagnies énergétiques et leur imposer des taxes carbone, même s’il s’agit de mesures d’écofiscalité parmi les plus « rigoureuses » au monde.

En réponse, les mouvements contre les changements climatiques se radicalisent partout dans le monde. Déjà en 2019, les jeunes identifiaient le problème avec le slogan System change not climate change ! Lors de la COP26 à Glasgow cette année, les bannières Climate struggle is class struggle ! et Our climate crisis = Their profits étaient bien présentes.

QS fait piètre figure en invoquant la « flexibilité » du privé, la création de coopératives et la politique du pollueur-payeur. En quoi les compagnies privées répondraient-elles mieux à nos besoins que la planification démocratique d’un gouvernement solidaire ? L’approche d’écofiscalité et d’aménagement d’un capitalisme vert est précisément la stratégie de contournement utilisée par les gouvernements actuels.

À côté de la plaque sur la question du logement

La même logique s’applique aux luttes pour le droit au logement. Depuis le début de la pandémie, les locataires de Berlin, Seattle ou encore Göteborg ont remporté des victoires flamboyantes en s’attaquant aux grandes compagnies. Au Québec, l’ensemble des organisations de locataires fait campagne pour le gel des loyers. De plus, la prise de possession publique des immeubles abandonnés a été mise de l’avant par plusieurs candidatures lors des élections municipales montréalaises, notamment dans le programme de Mouvement Montréal.

Or, le député solidaire Andrés Fontecilla, critique officiel en matière de logement, ainsi que l’ancien porte-parole du FRAPRU, François Saillant, ont mis tout leur poids pour faire obstacle aux propositions de gel des loyers, d’expropriation des logements abandonnés et d’expropriation des propriétaires de plus de 3 000 unités locatives. Ils ont d’ailleurs exprimé ne pas savoir s’il existe de tels propriétaires au Québec pour légitimer leur refus.

Oui, ils existent. Les hommes qui dirigent ces compagnies sont parmi les plus riches du Québec. On parle en particulier des magnats à la tête des groupes de résidences privées pour personnes âgées (Maurice, COGIR, Sélection, etc.) QS a finalement pris position pour nationaliser les CHSLD privés à la fin septembre 2020. Pour assurer plus largement le droit au logement des personnes aînées, le parti devra faire ses devoirs puisque 90% de l’hébergement offert est à but lucratif et se trouve majoritairement au sein de ces grands groupes.

Des mairesses à surveiller

QS ne s’est pas donné les moyens de ses ambitions lors de son 15e congrès. Pire encore, les militantes et militants n’auront qu’une poignée de revendications concrètes à faire valoir aux travailleurs et travailleuses ordinaires lors des prochaines élections. Un fossé s’est créé entre le parti et les mouvements sociaux et syndicaux en lutte. L’élaboration de stratégies de lutte sociale cohérente et massive sera plus difficile.

Les revendications de QS en termes de justice sociale, de climat et de logement s’apparentent beaucoup à celles des campagnes libérales et néo-démocrates de cet automne. Rien pour enthousiasmer grand-monde. QS risque de rester dans les formules générales contre la crise climatique et celle du logement, tout en s’adressant aux classes moyennes aisées, urbaines et propriétaires.

Or, ce discours constitue la spécialité de ses relationnistes. Cette stratégie a d’ailleurs payé durant les élections municipales de cet automne. De nombreuses personnes militant à QS ont participé et financé les campagnes victorieuses de Valérie Plante à Montréal, de Catherine Fournier à Longueuil et de Évelyne Beaudin à Sherbrooke. Certaines anciennes candidatures de QS ont d’ailleurs été élues sous ces bannières municipales.

On peut se réjouir de voir de jeunes femmes accéder à des postes de pouvoir, mais elles ne pourront rien contre la crise climatique ou celle du logement sans s’attaquer aux intérêts des grandes compagnies. Le mandat de ces mairesses est à surveiller, car il donnera un aperçu des défis et des réactions qui attendraient un gouvernement solidaire élu en 2022.

Des investitures à gagner

La prochaine étape de cette alliance de réseaux dits progressistes sera l’élection partielle dans Marie-Victorin au provincial, où se situe Longueuil. Viendront aussi les investitures dans toutes les associations locales de QS en vue des élections provinciales de 2022. Le choix des prochaines personnes candidates sera déterminant pour l’attrait de QS aux yeux des travailleurs et travailleuses. Est-ce que ces candidatures permettront d’utiliser le parti comme un véhicule de lutte pour l’amélioration concrète des conditions de vie ? Les investitures seront une nouvelle occasion de défendre les idées, mais surtout les méthodes, socialistes, afin de leur offrir une portée de masse.

La capacité de QS à changer la société dépend du niveau de radicalisation politique de ses membres. Cette radicalisation découle de la solidarité vécue à se battre sur différents fronts de la vie de tous les jours. Les idées radicales du programme ne représentent rien tant qu’elles ne sont pas animées en termes concrets sur le terrain et au sein de la classe des travailleurs et travailleuses. L’enjeu pour les socialistes dans QS consiste à donner corps à leurs idées, leurs slogans et leurs revendications. Ces idées ne menaceront le capitalisme qu’au moment où elles mobiliseront des masses de gens qui s’exprimeront comme une force politique.

Les campagnes de terrain de QS relèvent surtout des relations publiques et du strict développement interne. Il n’en tient qu’aux socialistes pour en faire des organisations militantes enracinées dans les communautés, tout comme des outils de formation politique sur les enjeux économiques et sociaux à la racine des crises actuelles.

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