Pierre Céré
On a un modèle québécois de concertation, progressiste, qui ne s’enferme pas à gauche, qui sait composer avec la droite et qui est influencé par le nationalisme. La société civile a nourri ce modèle québécois (Fonds de travailleurs, etc.).
L’État ne se construit pas sans les citoyens. Le PQ n’est plus présent dans le mouvement social comme il l’a été dans le passé.
Lorraine Guay
Qu’est-ce que la société civile ? Une chimère insaisissable. Un fourre-tout qui comprend tout et son contraire (la gauche et la droite). Une diversité très grande. Oui, il faut faire des alliances... mais pas avec tout le monde ni avec n’importe qui.
Les associations de la société civile ont des fonctions différentes des partis politiques. Elle veulent que le pouvoir soit partagé et elles ne recherchent pas le pouvoir, contrairement aux partis. Ce sont des contre-pouvoir, de lieux de résistance. Elle veulent créer un autre espace démocratique.
Pour le référendum de 1995, il y a eu une alliance entre les partis politiques souverainistes et la société civile québécoise : nous, le peuple d’ici. On a alors insisté sur le concept de souveraineté populaire. On a contesté la seule démocratie représentative, on est entré dans une autre phase de la mobilisation.
Jusqu’ici, le PQ a dominé la question nationale. Il faut créer un nouveau lieu de dialogue non partisan sur l’indépendance. C’est l’orientation stratégique à privilégier.
Quelques expériences marquantes. En 1995, des personnes actives dans des groupes communautaires, de femmes, etc. se sont positionnées à titre individuel en faveur de la souveraineté mais en mentionnant leur groupe d’origine. Et ces personnes demandaient que la souveraineté ait un contenu.
Il y a eu les Partenaires pour la souveraineté en 1995, les Intellectuels pour la souveraineté, les Artistes pour la souveraineté, les Pompiers pour la souveraineté, les Religieuses pour la souveraineté, etc. Les centrales syndicales ont appuyé le OUI, ainsi que la Fédération des femmes, le FRAPRU, etc. Il y a eu la Commission sur l’avenir du Québec, une expérience démocratique importante.
Il faut repenser la souveraineté à partir des marges, des exclus. Chercher ailleurs l’inspiration. Il faut organiser les forces de la société civile avec un mode de fonctionnement qui ne relève pas de l’autoritarisme. Les partis souverainistes doivent reconnaître que les organisations de la société civile ont un rôle à jouer. En 1995, les trois chefs (MM. Parizeau, Bouchard et Dumont) auraient dû laisser plus de place à la société civile et s’effacer un peu. Seul M. Parizeau, par la suite, a reconnu que les chefs auraient dû s’effacer un peu.
Nous ne serons pas des courroies de transmission des partis politiques. Il faut remobiliser les milieux populaires, les femmes, les marginaux, etc. Il faut mettre un contenu culturel dans l’indépendance. Rêver la société. Nous rapprocher des autochtones, des nouveaux arrivants. Par allusion aux propos récents du sociologue Jacques Beauchemin : « On a le droit d’être fatigués mais pas tous en même temps ».
En réponse à des questions à Mme Guay :
Doit-on déterminer le projet de société avant le référendum ? Le moment référendaire est un moment particulier d’union. C’est AVANT et APRÈS le référendum que le débat sur le projet de société doit se faire. Le processus est aussi important que le résultat. Il faut permettre que toutes les conceptions (tous les projets de société) s’expriment avant et après le référendum.
L’échéancier du référendum et de la souveraineté ne me préoccupent pas. Ce qui me préoccupe, c’est la reprise en mains du processus qui va mener à l’indépendance. Je fais confiance aux jeunes. Il y aura aussi des éléments extérieurs à notre situation qui pourraient être des déclencheurs (réactions du Canada, etc.).
Il faut interpeller directement les groupes de femmes, le mouvement communautaire autonome, etc. : quel impact le fédéral a-t-il sur votre fonctionnement, sur les conditions de vie de vos membres ? que faire alors ?
Pierre Patry
Quand un syndicat est accrédité, notre code du travail fait en sorte que le syndicat doit représenter TOUS les membres (différence importante avec les syndicats en France, par exemple où l’adhésion est individuelle). Cela créée des obligations quand on décide de s’impliquer. La CSN a deux fronts de lutte depuis Marcel Pepin (1968) : les conditions de travail (premier front) et les déterminants socio-politiques (deuxième front).
La CSN est indépendante de tous les partis politiques. Depuis 1990, elle est officiellement souverainiste. Elle s’est impliquée pour le NON en 1992 lors de l’Accord de Charlottetown. En 1999, on a retravaillé notre Déclaration de principes : ce qu’on attend de l’État, solidarité sociale, partage des richesses. Pour nous, l’État doit faire de la place à la société civile. En 1998, la CSN s’est dissociée des Partenaires pour la souveraineté à cause des politiques du gouvernement Bouchard. Aujourd’hui, cela pourrait être différent car il y a plusieurs partis politiques souverainistes.
Ce n’est pas une question préalable d’avoir un projet de société avant un référendum. On est pour la souveraineté. Mais pour mobiliser nos membres, le fait qu’il y ait un projet de société, ça aide. Il faut reconstruire le pourquoi d’un Québec indépendant. La société civile de 2015 est plus diversifiée que celle de 1995. Pour plusieurs groupes, la question nationale est moins importante qu’avant. Exemple : certains groupes écologistes. A mon avis, ils ont tort de sous-estimer la question nationale. Un projet de société n’a pas besoin d’avoir tous ses fils attachés pour être crédible. Pour construire une maison, il est essentiel d’avoir des plans mais on n’a pas besoin de connaître d’avance la couleur des murs.