26 octobre 2020 | tiré du site A l’encontre.
En effet, même s’ils savaient que le rejet de la proposition de modification de la constitution n’avait aucune chance de gagner lors du référendum, ils n’avaient jamais pensé que l’écart entre le rejet et l’approbation serait aussi abyssal, une différence de plus de 55%. Et cela s’est reproduit aussi sur le second objet, celui du mécanisme devant conduire au changement de constitution : le mécanisme d’une Assemblée constituante [formée par des citoyens avec la décision portant sur la possibilité de présentation de candidats des mouvements sociaux et indépendants hors des listes de partis] s’est affirmé avec 79,22% face au maigre 20,78% obtenu en faveur de la Convention mixte [composée de citoyens et de parlementaires].
Le visage du chancelier, Andrés Allamand Zavala [ministre des Affaires étrangères depuis juillet 2020, sénateur de 2014 à 2020, et ministre de la Défense nationale en 2011-12], a tout dit hier soir : il était « dévasté », selon plusieurs des participants à la réunion à laquelle était convoqué l’ensemble du cabinet dans la cour de Las Camelias jouxtant La Moneda pour assister au dépouillement du référendum. De plus, plusieurs ministres ont dû s’adresser à leur confrère des Affaires étrangères pour lui demander de changer de visage, qui n’était pas en accord avec celle que le gouvernement voulait projeter devant l’incontestable et écrasante majorité des 78,25% des votants qui ont choisi d’approuver la mise en œuvre d’une nouvelle constitution.
Il est clair que le ministre des Affaires étrangères n’a pas été le seul à être « choqué » hier soir à La Moneda, tant bien que mal le président, Sebastián Piñera n’a jamais réussi à ébranler le profil de « cabinet du rejet » dont son équipe ministérielle était estampillée après le dernier changement de casting fin juillet 2020, car il a incorporé en première ligne de son gouvernement des personnalités qui développaient le discours en faveur du rejet : Allamand, Victor Perez au ministère de l’Intérieur et Jaime Bellolio comme porte-parole du gouvernement. Une ombre permanente que ne pouvait effacer même le fait qu’au moins 10 ministres étaient pour l’approbation.
Avant le décompte, dans l’après-midi, le président Piñera a rencontré son comité politique. De cette réunion, qui n’a pas été brève, est née la décision de modifier les plans initiaux et l’idée d’une intervention grandiloquente du président, tourné vers la Place de la Constitution, pour s’adresser au pays, une fois connus les résultats officiels du référendum. Il a été ordonné de changer le scénario et la décision a été prise d’opter pour la sobre tribune officielle dans le Patio de Los Naranjos, où Piñera a parlé escorté par les membres de tout son cabinet, dont beaucoup ont montré sur leur visage les traces de la défaite lors de ce vote.
Le gouvernement a déclaré qu’en fin de compte, la décision d’éviter plus de tensions à l’intérieur de la coalition électorale Chili Vamos [créée en 2015 par des forces de droite et de centre droit, cette coalition était divisée dans la campagne portant sur le mot d’ordre portant au référendum] a prévalu. Le président n’est pas apparu comme faisant partie d’une « victoire » qui n’était pas partagée par un secteur significatif de sa coalition.
« Aujourd’hui, nous avons une fois de plus démontré la nature pacifique et démocratique participative des Chiliens. C’est un triomphe pour tous les Chiliens qui aiment la démocratie et la paix, et cela devrait nous remplir d’espoir (…). La citoyenneté et la démocratie ont triomphé, l’unité a prévalu sur la division et la paix sur la violence », a déclaré le président dans un discours assez répétitif par rapport à ses précédentes interventions.
Sebastián Piñera a ajouté que « ce plébiscite est le début d’un chemin que nous devrons tous parcourir pour nous mettre d’accord sur une nouvelle constitution pour le Chili. Jusqu’à présent, la constitution nous a divisés, à partir d’aujourd’hui, nous devons tous collaborer pour que la nouvelle Construction soit le grand cadre de l’unité, de la stabilité et de l’avenir. »
Il y a cependant un moment qui n’est pas passé inaperçu. C’est lorsque le président Piñera a souligné le rôle qu’il avait joué pour sceller l’accord politique du 15 novembre, qui a donné lieu au référendum d’hier : il a rappelé que dans la nuit du 12 novembre, « après une journée d’extrême violence, en tant que président de la République, j’ai proposé à tous mes compatriotes un triple accord : un accord pour la paix, un accord pour la justice et un accord pour une nouvelle constitution. Dans la nuit du vendredi 15 novembre, une grande majorité de parlementaires et de partis politiques, à un moment critique pour notre République, ont conclu un Accord pour la paix et la nouvelle Constitution. Ce qui a permis de poursuivre les voies du dialogue et de l’accord. Ainsi est née une voie démocratique, pacifique et fondée sur l’accord pour guider notre pays vers le référendum constitutionnel que nous célébrons aujourd’hui et qui marque le début d’un processus constituant. »
Ces déclarations sont controversées, car un secteur du gouvernement estime que ce rôle joué par Piñera lors de novembre de l’année dernière n’a jamais été reconnu. Cela heurte de front la perception de la population et des opinions diverses des analystes, dans la mesure où le président n’était alors, en novembre, qu’un simple spectateur et où ce n’est que plus tard qu’il a tenté en vain d’installer sa version d’être un protagoniste placé dans l’ombre.
Il ne fait aucun doute que La Moneda a tenté hier soir de contourner un moment complexe, de tenter de tourner la page le plus rapidement possible, de naviguer dans le sens du courant – qui est aujourd’hui celui de l’approbation et de l’Assemblée constituante [élue par les citoyens] –, d’autant plus que les résultats ont montré qu’un secteur non moins important de l’électorat de droite lui-même soutenait la voie constitutionnelle et contribuait de la sorte à déposer la pierre tombale sur la Constitution dessinée par Jaime Guzmán [en 1980] sous la dictature.
Aujourd’hui 26 octobre à midi, le premier conseil de cabinet post-référendum est convoqué, au cours duquel ils devront s’installer dans ce nouveau scénario. Dans ce contexte – et bien qu’avec plus ou moins de nuances –, des sources issues du Palais ont assuré que le discours, qui jusqu’au samedi 24 octobre a parfaitement fonctionné, devra changer de ton et aussi en partie de couleur. Il s’agit d’une référence à la stratégie de récupération de l’électorat qui se délitait depuis le soulèvement du mois d’octobre 2019 jusqu’à ce jour. Le discours était alors axé sur ce qu’ils considéraient être les drapeaux immuables de la droite. Or, la nuit dernière, avec le résultat « le blindage gouvernemental s’est effondré ». Il faudra l’envisager à partir d’un autre prisme, ont ajouté ces sources.
Avancer
Après le conseil de cabinet et après 20 heures, une réunion est prévue entre les représentants de Chile Vamos et du gouvernement, dans le but de donner un signe d’unité, dont les membres comprennent qu’elle est leur force ces jours-ci face à une opposition qui, n’a pas réussi, y compris à l’occasion de son meilleur soir, à se réunir de manière unifiée. Ces composantes ont célébré le résultat chacune de son côté, comme elles l’ont fait lors de la campagne des huit dernières semaines.
Dans La Moneda, ils savent que des « jours compliqués » s’annoncent pour le parti au pouvoir, surtout pour se débarrasser du goût amer d’une défaite aussi écrasante, car aucun chiffre officiel ne permet de concevoir des brèches ou d’opérer des doubles lectures. Même le taux de participation – 7 546 000 personnes ont voté – est le plus élevé depuis plus d’une décennie et demie.
La stratégie consiste donc maintenant à jouer la carte de l’unité de Chile Vamos et à parier que l’opposition, comme cela a été sa tonalité politique, manquera ce moment et continuera à être empêtrée dans ses propres divisions et ne profitera pas du triomphe de l’acceptation. Ainsi, l’idée – ont-ils expliqué lors de la réunion à La Moneda – sera de passer à l’offensive. Et cela consiste à discuter des nouveaux termes de la constitution et d’en faire un cheval de bataille, car en ce moment les différences de la droite ne sont pas irréconciliables.
Ce n’est pas pour rien que Sebastián Piñera a déclaré hier soir qu’une constitution « ne part jamais de zéro, car elle représente la rencontre des générations, une constitution doit toujours inclure l’héritage des générations qui nous ont précédés, la liberté et la volonté des générations actuelles et l’espoir des générations à venir »
Ainsi, La Moneda entend passer à l’offensive, en devenant la référence dans le débat constitutionnel, en apportant des idées, mais aussi en élaborant les prochaines définitions, comme le feront les constituants. Il n’existerait pas de possibilité de simplement accompagner le processus. Ils ont souligné que le gouvernement doit être présent, quoi qu’il arrive.
Craignant de perdre de sa pertinence, le gouvernement s’est fixé comme objectif de mener à bien la réforme des retraites, afin de démontrer qu’il gouverne toujours et qu’il n’est pas vrai qu’il ne reste à Piñera qu’à survivre en tant que spectateur jusqu’au 11 mars 2022. (Article publié sur le site El Mostrador, le 26 octobre 2020 ; traduction rédaction A l’Encontre)
[1] Jaime Guzmán (1946-1991), professeur de droit constitutionnel, militant au sein du parti d’extrême droite Patria y Libertad, sera un des rédacteurs de la Constitution de 1980. Il est exécuté le 1er avril 1991 par le mouvement guérillero Front patriotique Manuel Rodriguez. (Réd.)
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