Tiré de À l’encontre.
Ceci est la présentation qui peut être lue sur le site web du programme gouvernemental de Sebastian Piñera, le président nouvellement élu du Chili. Et il était déjà à La Moneda (palais présidentiel) entre 2010 et 2014. Un genre de déclaration marquée par les termes pauvreté et développement, une sorte de déclaration puissante et ambitieuse, comme tout dans sa vie, que ce soit au plan politique et, surtout, dans le domaine des affaires. Ces affaires qui l’ont conduit à amasser l’une des principales fortunes du Chili et qui ont souvent été à la limite de la légalité ou la dépasser, sans mentionner les termes relevant de l’honnêteté, de l’éthique et de la morale.
Piñera est un gars habitué à gagner. Il reconnaît lui-même qu’avec son frère José (le ministre de Pinochet qui a réformé la loi sur le travail et créé les AFP : les fonds de pension privés), ils se battraient à coups de poing pour voir qui va gagner. Ce caractère obsessionnel et impulsif le conduit souvent à agir avant de penser. Les « Piñericosas », qui sont des fautes d’utilisation dans le vocabulaire ou des actions mal exécutées, font déjà partie de l’histoire politique du Chili.
Il dit qu’il a voté NON lors du référendum de 1988 qui marqué la « sortie » de Pinochet. Il assure également admirer l’ancien président Patricio Aylwin (1990-1994), chrétien-démocrate, qui et mort en 2016 et dont il a utilisé l’image dans la campagne. Il s’est également déclaré un fervent partisan de l’équipe de football de l’Université Catholique, puis en 2009, lors de la campagne qui l’a conduit à La Moneda (en 2010), il est devenu partisan de Colo-Colo (quartier de Macul à Santiago), l’équipe de football la plus populaire du Chili. Et pas seulement cela, il l’a achetée précisément au moment où il a acquis une chaîne de télévision, une compagnie aérienne et une foule de biens, y compris un nombre de biens fantaisistes, dans cet empressement à tout avoir. Mais tout n’est pas mauvais, son obstination, très médiatisée, a également servi à insister pour assurer le sauvetage des 33 mineurs piégés dans une mine à Atacama [août 2010] et qui ont finalement été récupérés vivants [opération qui fit silence sur les vraies origines de l’accident dans cette mine et dans d’autres].
On a beaucoup écrit sur le profil de cet entrepreneur milliardaire, mais certainement l’épisode le plus complexe est appelé Banco de Talca, histoire qui commença le 28 août 1982, lorsque le juge Luis Correa Bulo a ordonné son arrestation pour avoir trompé la banque. Selon l’accusation, Piñera aurait été l’auteur d’infractions à la loi générale sur les banques. Cela en même temps qu’il était complice d’accusations de fraudes portant préjudice à des actionnaires minoritaires.
Selon les enquêtes, l’entité bancaire avait effectué des prêts de plus de 200 millions de dollars à des sociétés – liées entre elles –, soit cinq fois son capital. Or, la loi ne permettait qu’une limite maximale de prêt à hauteur de 25% de leurs fonds propres. En outre, ces sociétés « liées entre elles » n’avaient pas une existence légale. En ce sens, comme l’a révélé l’enquête, la banque avait accordé des prêts à des sociétés fantômes, sans aucune garantie.
Par conséquent, Piñera a dû fuir pendant 24 jours pour donner à ses avocats le temps de préparer sa défense. Comme indiqué par l’ancienne ministre de la Justice d’Augusto Pinochet, Mónica Madariaga (1977-1983), elle aurait intercédé pour que Piñera soit libéré dans cette affaire.
D’autres cas sont connus : évasion fiscale en utilisant des sociétés zombies ; délit d’initié pour l’achat d’actions de LAN (compagnie aérienne). S’ajoute l’affrontement avec la maire actuelle de la Providence (une des communes formant la conurbation de Santiago), Evelyn Matthei, dans l’affaire nommée Kyoto, qui a fini par faire obstacle à sa candidature présidentielle au milieu des années 1990. Cela s’est passé en 1992 lorsque Sebastián Piñera et Evelyn Matthei voulaient obtenir le droit d’être candidats de la droite dure pour affronter Eduardo Frei (1994-2000, démocrate-chrétien, fils d’Eduardo Frei-Montalva, président de 1964 à 1970). C’est alors qu’un enregistrement téléphonique clandestin entre Piñera et son ami Pedro Pablo Díaz a été diffusé. Piñera demandait à son interlocuteur d’influencer les journalistes qui allaient présider le débat présidentiel dans le but de diminuer la crédibilité de sa concurrente. L’enregistrement fut diffusé en direct sur les écrans de la chaîne Megavision…
Ce ne sont là que quelques-uns des exemples qui ont accompagné la carrière de Piñera au cours des 30 dernières années, où il a mélangé la politique et les affaires, sans que cela lui pose des problèmes.
Au milieu de l’année dernière, un nouveau chapitre s’est ajouté à cette liste noire. Un site a rapporté que l’homme d’affaires avait été inculpé en Argentine dans le cadre de l’enquête sur les pots-de-vin versés par la compagnie aérienne LAN. Selon l’enquête, cet acte illégal s’était produit en 2006, l’année où le futur président était un membre de la firme. Cette enquête a été ouverte en 2010 lorsque des messages du député argentin kirchnériste Jaime Manuel Vázquez du Frente para la Victoria (front pro-Kirchner créé en 2003) démontrèrent que la compagnie aérienne LAN avait payé une « commission » de 1’150’000 dollars pour faire passer une fausse déclaration. Par la suite, la firme a admis cette action illégale, ce qui lui a coûté 20 millions de dollars.
En outre, en 2015, l’alors ancien président Piñera a été impliqué dans l’enquête sur le paiement de factures faites par Chilevisión, en 2009, pour des services inexistants aux sociétés : Aguas Andinas, Pampa Calichera, SQM et Asesorías Ilihue. Le dernier casse-tête pour Piñera a été l’investissement que Bancard, l’une de ses firmes, a réalisé dans une société de pêche péruvienne, au moment même où se jugeait à La Haye le différend sur les zones de pêche entre le Chili et le Pérou.
Avec cette révélation une fois de plus a été posée la question des relations permanentes entre Piñera l’homme d’affaires et Piñera le politique. Cette critique – qui existait à l’époque – n’a pas fait obstacle à une sorte de confiance aveugle dans le cadre de la campagne présidentielle qui a fait de lui le président actuel du Chili.
Malgré tout cela, il y a beaucoup de Chiliens qui voient dans cet entrepreneur l’exemple du succès. Dans un pays où il y a une peur extrême de perdre son emploi et où le pinochetisme a instauré les fondements d’un « consumérisme » malsain, un gagnant est celui qui a la voiture de l’année ou la télévision la plus grande (à crédit) ; dans un pays où paraître (ou du moins le croire) être une partie de l’élite puissante, vous donne un statut et où la couleur de la peau, le quartier où l’on est né et encore le domicile déterminent le sort de beaucoup, dans ce pays, Piñera – « il a de l’argent, donc il ne va pas voler s’il occupe la Moneda » – a émergé comme le messie capable de créer des milliers d’emplois, en améliorant l’économie – « parce qu’il connaît des chiffres » – et sera le sauveur du Chili face à une gauche « qui va le transformer en Venezuela ». [Piñera qualifiant Alejandro Guillier, journaliste social-libéral, d’être un Maduro a marqué la fin de sa campagne. La direction du Front ample – en la personne de Beatriz Sánchez – n’a pas donné un mot d’ordre de vote, mais sa dirigeante a indiqué qu’elle votait contre Piñera.]
Mais, qui sont les adhérents de la droite ou, dans ce cas, de Piñera. Selon un rapport de La Tercera (la chaîne de TV) sur la base du croisement des calculs publiés par le Service électoral (Servel), il ressort que Piñera a enregistré ses meilleurs résultats dans la région métropolitaine dans les districts du secteur est : Vitacura (76%), Lo Barnechea (77%) et Las Condes (71%), soit les secteurs les plus riches du pays. Si, au niveau national, le centre-droit obtenait quatre fois plus de voix que le Frente Amplio (la troisième force politique chilienne) dans ces trois communes, le vote était jusqu’à dix fois plus élevé. Un autre phénomène se produit dans la région de La Araucanía, où le Chili Vamos (qui agglutine la droite) obtient 76’000 voix, tandis que la FA atteint 12’000.
El Mercurio ajoute, après avoir ventilé les résultats de l’enquête du Centre d’études publiques (CEP), après le premier tour, que Piñera concentre son vote sur les personnes de plus de 18 ans et jusqu’à 44 ans. Dans ce segment, il obtient une adhésion de 48,3%, alors que le secteur où il attire le moins d’appuis est celui des personnes âgées de 55 ans et plus, en dépit du fait que l’ancien président a souligné dans son discours et ses propositions l’importance des adultes le plus âgés. En fait, son épouse, Cecilia Morel, dirige le programme appelé « vieillissement positif et retraites ».
D’un autre côté, l’électeur de l’ancien président est plus urbain que rural. Dans ce segment, il obtient 45% des voix, soit huit points de plus que dans le secteur rural.
Comme on le constatait avec son résultat lors des primaires présidentielles de juillet 2017, Piñera compte plus de soutien dans les diverses régions que dans la région métropolitaine. Quant à la position politique exprimée par son électorat, comme on peut s’y attendre, la majorité se déclare à droite. Dans ce segment, Piñera a 81% des voix.
Bien que son message se soit concentré sur la classe moyenne, selon la « stratification économique », Piñera regroupe plus de soutien dans le segment ABC1. [Le segment ABC1 représente 10% de la société. Au Chili, la division socio-administrative officielle (!) est la suivante : AB (classe élevée), C1a (classe moyenne élevée), C1B (classe moyenne émergente) ; C2 (classe moyenne basse), D (précaire), E (pauvre). Le secteur C3 (entre classe moyenne basse et pauvre) est le plus nombreux. Les secteurs C3 et D représentent la moitié de la population.]
Dans ABC1, Piñera regroupe 60% des votes, alors que dans C1b et C1c il obtient 45% et 47% respectivement. En revanche, la plus grande faiblesse se trouve dans le segment le plus bas : 28%.
Piñera se trouve en bons termes avec Dieu et le diable et il a également assuré qu’il n’y a « aucun péché » dans le fait d’avoir participé au « gouvernement militaire ».
Interrogé par des « complices passifs », terme qu’il a lui-même popularisé pendant son gouvernement, Piñera a répondu : « Dans notre pays, nombreux sont ceux qui pensent que les militaires sont les seuls responsables des violations graves et répétées des droits de l’homme, et ce n’est pas vrai… Il y a d’autres personnes et institutions qui ont aussi la responsabilité. »
Piñera, qui a été appelé le Macri ou le Trump chilien, gouvernera le Chili pendant quatre ans à partir de mars 2018. Il reste à voir s’il continuera à avancer dans les réformes sociales et économiques exigées par le Chili, par exemple une éducation de qualité gratuite. Ou, comme lors de son premier gouvernement, des mobilisations et des manifestations seront son pain quotidien.
Article publié dans le quotidien argentin Pagina 12, le 18 décembre 2017 ; traduction A l’Encontre
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