Édition du 17 décembre 2024

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Amérique centrale et du sud et Caraïbes

Brésil. Petrobras, la corruption et un PT qui revivifie une droite dure

La gigantesque opération de corruption qui entoure l’entreprise Petrobras et ébranle la situation politique au Brésil nécessite tout d’abord une compréhension des mécanismes qui sont à la base des relations corrupteurs-corrompus. L’entreprise publique Petrobras est depuis longtemps l’objet de projets de privatisation, en partie déjà accomplis. L’entretien avec Felipe Coutinho que nous publions permet de saisir une grande partie de ces mécanismes. Les médias internationaux ont donné un écho important aux manifestations de masse du 15 mars 2015. En une phrase, comme l’écrit Valério Arcary : « Douze années après l’élection de Lula à la présidence, l’épuisement du lulisme a ouvert le chemin pour la réorganisation d’une droite ayant une base sociale large au sein de ladite classe moyenne. »

Les manifestations du 15 mars ont été tout sauf spontanées, contrairement à ce que certains médias affirment. Certes, la corruption qui touche l’ensemble des partis politiques mais que les médias brésiliens ont attribuée pour l’essentiel au gouvernement de Dilma Rousseff et à sa coalition – baignant évidemment dans des millions détournés frauduleusement – a été une base des manifestations. Toutefois, le caractère réactionnaire de ces manifestations doit être souligné. Valério Arcary insiste à juste titre sur le fait qu’une des mobilisations les plus proches de celle du 15 mars était les « Marchas da Família com Deus pela Liberdade ». Elles annonçaient le coup d’Etat de 1964. Donc, il serait faux de faire une analogie avec les mobilisations pour l’élection du président par les citoyens (1964) ou celles pour la démission de Collor (1992). Le 15 mars, la contestation de la politique du PT avait un ton d’extrême droite. Et les manifestants visaient aussi les dirigeants syndicalistes ou du Mouvement des sans-terre (MST). Par contre, le ministre de l’Economie, Joaquim Levy, était épargné.

La manifestation organisée par la Centrale unitaire des travailleurs (CUT), par le MST, par l’Union nationale des étudiants (UNE) n’a réuni que quelques milliers de personnes dans tout le pays. La conclusion est claire : soit le gros de ces organisations rompent avec le gouvernement et s’engagent dans une défense des couches populaires, soit leur déclin suivra – et suit déjà – celui du PT. Cela d’autant plus que la crise économique s’accentue et que le malaise touche ce qui est nommé au Brésil, par la sociologie officielle, les classes moyennes qui sont aujourd’hui une cible de mobilisation par la droite dure. On entre dans une nouvelle phase de crise politique au Brésil, une phase ouverte par la descente de la droite dure dans la rue. (Rédaction A l’Encontre)

Correio da Cidadania : L’opération Lava jato [1] [voir les articles publiés sur A l’Encontre les 1er mars, 5 mars et 8 mars 2015] apporte chaque jour son lot de nouvelles et fracassantes révélations concernant les relations criminelles entre des entrepreneurs privés et les gestionnaires de Petrobras. La révélation de l’implication de politiciens dans l’affaire vient s’ajouter maintenant. Comment avez-vous appréhendé tous ces événements ?

Felipe Coutinho : Jusqu’à présent les principales révélations viennent d’une succession de délations récompensées. Ce sont des dénonciations faites par des accusés qui espèrent des réductions de peines en échange d’informations. Pour que ce mécanisme légal fonctionne, il faut que les dénonciations soient rigoureusement vérifiées, et mener ainsi à la condamnation exemplaire des coupables, tant les corrompus que les corrupteurs en passant par tous les intermédiaires financiers liés à la fraude. Toute tentative visant à se soustraire de la justice doit être évitée.

Bien que Petrobras [entreprise étatique] soit la victime, il est évident qu’il existe une vulnérabilité institutionnelle qui se révèle dans sa relation avec les fournisseurs de biens et services. Les entrepreneurs se sont organisés en cartel afin d’obtenir des contrats extrêmement lucratifs et ont ainsi pu « tirer profit » de Petrobras qui de son côté ne possède pas la force institutionnelle nécessaire pour résister à l’action de ses hauts dirigeants corrompus.

Afin de privilégier l’intérêt privé au sein de Petrobras, les entrepreneurs ont usé de méthodes illégales, notamment le trafic d’influence des hommes politiques corrompus. Ils ont aussi profité de la complaisance des hauts dirigeants achetés qui agissaient du haut de la pyramide du pouvoir corporatif gouvernemental. Afin d’assurer le succès de la fraude, les corrompus et corrupteurs ont aussi utilisé les services d’intermédiaires financiers, ceux qui font du change de devises, pour le transfert et le blanchissement de l’argent sale.

Les révélations s’accumulent avec une cascade de nouveaux délateurs. Il faut être prudent afin de ne pas prendre pour argent comptant n’importe quelle dénonciation et attendre qu’elle soit avérée. Le mélange entre les accusations prouvées et les fausses peut être néfaste pour l’enquête des premières et précipiter des condamnations prématurées et irréversibles pour les secondes.

Ce qui se révèle nouveau et positif est le fait d’enquêter sur des corrupteurs. Ce sont les principaux agents actifs et les premiers bénéficiaires de la fraude. L’importance du rôle de ces entrepreneurs apparaît dans la comparaison des valeurs fraudées, via les contrats surfacturés et les pots-de-vin, qui selon les témoignages peuvent varier entre 3% et 5% de la valeur totale des contrats.

Correio da Cidadania : Comment analysez-vous le cas de Petrobras à la lumière du contexte plus général du capitalisme brésilien, dès lors que cette entreprise est visiblement au cœur d’une querelle intercapitaliste prédatrice et résultant de la promiscuité entre le public et le privé, ce dernier étant dirigé par de grands et omniprésents entrepreneurs ?

Felipe Coutinho : Il y a beaucoup d’intérêts privés qui entourent Petrobras. L’accaparement privé de la rente pétrolière peut avoir lieu de diverses façons, certaines légales et d’autres illégales. Cela a toujours été ainsi, ce qui est différent aujourd’hui c’est la gestion politique menée par l’Etat national qui arbitre et tente de concilier les différents intérêts privés et les intérêts opposés qu’il faut entendre par les intérêts publics, de nature sociale.

On peut énumérer les intérêts privés suivants :

• Les entrepreneurs et fournisseurs de biens et services en recherche de contrats hyper lucratifs.

• Les banquiers et assureurs en recherche d’intérêts moratoires sur des dettes afin d’engranger le maximum de profits.

• Les industriels, consommateurs de combustible ou de substances pétrochimiques à la recherche de subventions publiques.

• Les commerçants, distributeurs de combustibles, qui ont aussi pour but l’obtention de subventions.

• Les producteurs, d’éthanol et de biodiesel à la recherche de subventions et d’avantages indirects dans la corrélation entre les prix des combustibles liquides et les questions logistiques.

• Les contrôleurs et cadres de compagnies pétrolières à capital privé, brésiliennes et internationales à la recherche d’opportunités d’accès au marché pétrolier brésilien avec des risques peu élevés et en prime l’accès aux technologies de Petrobras.

• Les entrepreneurs, fournisseurs de services de consulting à la recherche de contrats lucratifs et d’informations qui peuvent leur conférer un quelconque profit ou avantage géopolitique de la part des gouvernements et corporations pour lesquels ils travaillent secrètement.

• Enfin, les entrepreneurs en communication, à la recherche de contrats de publicité lucratifs avec Petrobras, et la satisfaction d’intérêts inavoués dans leur relation avec le capital international.

Les intérêts dans la querelle intercapitaliste sont régis par l’Etat national. Il peut éventuellement exister des scissions, mais rapidement on recherche un nouveau consensus, avec de nouvelles bases, normalement ces bases seront proportionnelles au pouvoir économique qui se reflète dans le pouvoir politique.

L’intérêt social est la recherche de la couverture des besoins de la population et des garanties des droits qui sont pour la plupart des droits constitutionnels, mais qui sont systématiquement négligés par l’Etat, car ils sont en contradiction avec les intérêts de nature privée décrits précédemment.

La conciliation d’intérêts si nombreux et contradictoires peut être faite pendant un temps et dans quelques pays, cependant, jamais elle ne peut être viable pour toujours et partout. L’emballement de la querelle s’aggrave durant les périodes de crise, pendant lesquelles la croissance économique n’est pas atteinte, où apparaissent un excédent de production, un endettement et appauvrissement des salariés. Il existe aussi la difficulté de répondre à des expectatives d’une population qui est amenée par la propagande à associer le bonheur à la consommation dans des sociétés toujours plus inégalitaires.

Petrobras et le pétrole brésilien de la couche de pré-salé [2] sont au cœur de cette querelle. Les opportunistes et les gouvernements serviles n’y trouvent pas de répit. Pendant que l’entreprise est lésée et vilipendée par des agents externes et internes, elle est aussi attaquée par les médias d’allégeance libérale pour son monopole dans l’exploitation du pétrole du pré-sal. Ils fomentent ainsi la désinformation en ce qui concerne la recherche dans le domaine du pétrole brésilien afin de favoriser les multinationales qui ont épuisé leurs réserves.

Le système financier a encore plus de pouvoir et il peut s’approprier la rente pétrolière par le mécanisme pervers de la dette publique, sous couvert de différentes approches juridiques dans l’exploitation pétrolifère. Il est urgent de réaliser un audit citoyen de la dette publique afin d’éviter la fuite du revenu pétrolier pour ce « rentisme » parasite des créanciers.

Correio da Cidadania : En ce sens, comment situez-vous les gouvernements piétistes [3] des dernières années dans ce processus ? Que dire de leur conduite de l’économie et de leurs positionnements politiques, spécialement, de leur conduite de Petrobras et de l’exploitation des bassines de pré-sal ?

Felipe Coutinho : Ils ont été les gouvernements de la conciliation. Au moment où ils encourageaient l’augmentation du salaire minimum et des programmes compensatoires tels que la bolsa familia, ils ont aussi garanti le paiement des intérêts de la dette et le maintien des contrats issus de la Privataria Tucana [4].

Il a été possible de concilier ces intérêts contradictoires tant que les marchés primaires se valorisaient sur le marché international et que l’endettement des familles stimulait le marché interne et le sentiment d’amélioration des conditions pour les salariés.

En ce qui concerne le pétrole, il y a eu des avancées significatives : l’augmentation des réserves de Petrobras ; la recomposition des branches techniques de l’entreprise ; l’appui aux investissements intervenu après la découverte du pré-sal ; la modification de la participation de Petrobras dans la gestion de l’énergie thermoélectrique ; la reprise des investissements dans de nouvelles raffineries et l’entrée dans le marché des énergies potentiellement renouvelables ; le développement de la production industrielle du biodiesel ; et pour finir, la participation dans la production d’éthanol.

La principale avancée est la modification du régime d’exploitation du pétrole du pré-sal, l’adoption du régime de partage avec la garantie de participation minimum de 30% et le monopole d’exploitation de Petrobras.

Malgré l’avancée concernant le régime de concession [5], adopté par le gouvernement du PSDB (Parti de la sociale démocratie brésilienne) et maintenu pour les champs de pos-sal [6] par les gouvernements du PT (Parti des travailleurs), le monopole d’Etat n’a pas été récupéré dans le cas de l’exploitation du pos-sal. Alors que nous constatons que ce monopole, exercé par Petrobras, a permis notre développement technologique et industriel. C’est le meilleur régime pour atteindre les intérêts de la majorité de la population brésilienne.

Correio da Cidadania : De fait comment se présente la situation financière de l’entreprise ? Dans quelle mesure cette situation est le résultat d’une pratique tarifaire prédominante dans les dernières années ?

Felipe Coutinho : La situation financière mérite une attention particulière, c’est la conséquence de la politique énergétique nationale et du plan stratégique et des stratégies commerciales encore en vigueur chez Petrobras. Au moment où le gouvernement a utilisé la société pour contrôler l’inflation, c’est-à-dire en vendant des produits dérivés meilleur marché que ceux qui sont importés, le plan d’investissement de la compagnie a présenté une accélération importante de la courbe de production de pétrole. Pour répondre à cette accélération de la production, il a été nécessaire de réunir d’énormes investissements en très peu de temps. Au même moment, le flux de trésorerie a été affecté par les politiques de prix dans le marché interne.

La réduction conjoncturelle du prix du pétrole dans le marché international, l’augmentation de la production nationale en vue de la reconquête pour l’autosuffisance, une politique de prix qui compense à la compagnie les pertes historiques et la modification d’un plan stratégique peuvent facilement permettre une amélioration de la situation financière de la compagnie.

Il est aussi nécessaire de comprendre l’importance de l’interruption des ventes aux enchères promues par l’Agence nationale de pétrole (ANP) [7]. Il est important de développer les zones d’extraction déjà mises aux enchères afin de les mettre à contribution pour nos besoins. De nouvelles ventes aux enchères répondraient insuffisamment aux intérêts des multinationales, des pays dépendants du pétrole importé et du système financier. Ce dernier n’y gagnerait que par l’accès à de nouvelles opportunités de rentes causées par l’endettement de l’industrie et par la garantie de l’excédent primaire [8] provenant de la rente pétrolière.

Correio da Cidadania : Qu’est-ce que vous pensez du changement de direction de l’entreprise, après des mois de turbulences ?

Felipe Coutinho : Malgré tout, la direction antérieure n’a jamais été évoquée jusqu’à maintenant par les dénonciations dans l’affaire do lava jato mais elle se trouvait dans une situation délicate. Le désastre relatif au bilan du 3e trimestre de 2014 a été la goutte d’eau qui a fait déborder le vase et qui a fini par rendre son maintien insoutenable.

Correio da Cidadania : Depuis les derniers évènements, les spécialistes et politiciens associés à une vision du marché et à la presse qui l’accompagne ont fait des observations critiques concernant divers aspects de l’administration de Petrobras, notamment le modèle de partage qui a remplacé le modèle des concessions de Fernando Henrique Cardoso, ou encore en ce qui concerne le monopole de Petrobras dans l’extraction de pétrole dans le pré-sal et par sa politique à visée nationale. Il y a même ceux qui critiquent l’excès de diversification de l’Etat et préconisent la vente des actifs qui sont néfastes. Que pouvez-vous répondre à ces critiques ?

Felipe Coutinho : Ce sont des opportunistes qui profitent du sentiment d’indignation soulevé par la nature des révélations du lava jato, mais aussi de la façon dont elles ont été divulguées. Leur but est de défendre les intérêts privés, qui sont présentés de façon fallacieuse comme profitant à l’intérêt général. Ils font cela à chaque occasion qui se présente. Ce sont des idéologues du capitalisme néolibéral qui malgré les évidences du désastre social causé par leurs politiques, répètent inlassablement leur dogme.

On doit clarifier et expliquer cela à la société et ne pas mélanger les torchons et les serviettes.

Nous devons assainir Petrobras, la défendre institutionnellement, récupérer les valeurs détournées, punir de manière exemplaire les corrupteurs, les corrompues et les intermédiaires financiers. Nous devons imposer des restrictions à la liberté et aux expropriations entreprises par les entrepreneurs, les politiciens, les hauts dirigeants ainsi que ceux qui ont blanchi l’argent. Tous doivent être condamnés.

Il nous reste à rappeler le rôle des banquiers dans le blanchissement d’argent au niveau international. Apparemment les corrupteurs sont condamnés mais qu’en est-il des banquiers et des cadres exécutifs, quand ont-ils répondu de leurs actes dans ce blanchiment d’argent sale généralisé ?

Au-delà de cette problématique, la mission principale est de garantir que tout le pétrole brésilien soit utilisé pour solder notre dette sociale et construire une infrastructure pour la production durable des énergies renouvelables qui sont de plus en plus nécessaires. Pour cela, il est impératif de ne pas défendre uniquement le régime de répartition des richesses mais aussi d’avancer dans la reprise du monopole d’Etat exercé par Petrobras qui sera ainsi sous le contrôle social.

Correio da Cidadania : Qu’est-ce qui nous attend à l’avenir ? Face aux convoitises entourant Petrobras et réveillées par la crise actuelle, croyez-vous que la meilleure entreprise nationale puisse rester en dehors de toute exploitation du pré-sal, considérée aujourd’hui comme la plus grande manne économique du pays ?

Felipe Coutinho : Le moment est propice aux changements, mais même ainsi, le plus probable est que tout continue comme avant. Entre les directions possibles, nous pouvons avancer ou reculer du point de vue de l’intérêt collectif.

Malgré le fait que la corrélation des forces politiques institutionnelles soit défavorable aux causes sociales, la politique de la rue peut surprendre le pouvoir actuel.

L’exemple le plus récent et marquant ont été les fameuses journées de juin de 2013 [9]. Ces journées ont été des mobilisations pour la conquête nouvelle de droits, pour la nécessaire attention à porter aux besoins sociaux. Les premières revendications concernaient l’amélioration de la mobilité urbaine mais par la suite, les mobilisations pour l’éducation et la santé etc s’y sont ajoutées.

D’abord le pouvoir économique et politique, mené par son organe de propagande, la presse corporatiste, a tenté de rejeter et condamner le mouvement. Ensuite, avec l’échec de la première réaction, puis sont venues les disputes sur des détails et ils ont transformé la nature initiale de l’indignation populaire. C’est une vieille stratégie utilisée dans beaucoup de pays du monde au long de l’histoire. La désorganisation populaire n’a pas résisté à la violence répressive et à la propagande politique massive des médias. L’élan populaire s’est refroidi, mais les braises sont toujours allumées et n’attendent qu’à être attisées à nouveau.

Je crois surtout que Petrobras reste liée à son histoire. Sa naissance est due à la prise de conscience de l’importance du pétrole et de la magnifique mobilisation populaire. La campagne « le pétrole nous appartient » [10] est inscrit dans son ADN, dans son code génétique. J’aime à croire que la population brésilienne n’abandonnera jamais sa plus belle conquête. Il nous incombe, à nous les ingénieurs pétroliers, d’ouvrir complètement les portes de Petrobras pour que la population demande la transparence, ainsi que la démocratie dans les locaux de travail et soumette l’action de la direction de l’entreprise au contrôle social.

Correio da Cidadania : Dans ce contexte, qu’avez-vous à dire, à chaud, à propos de l’accident qui a eu lieu sur la plateforme pétrolière sur les côtes de Sao Mateus qui a fait des morts et des blessés ?

Felipe Coutinho : A l’heure actuelle, j’ai peu d’informations sur ce qui s’est passé. Je ne parlerai donc que des aspects généraux de la question de la sécurité opérationnelle dans l’industrie du pétrole.

Il est avéré qu’il existe une corrélation entre la tertiairisation et l’augmentation des accidents avec des travailleurs. Je ne peux rien affirmer en ce qui concerne le cas de Sao Mateus, mais de manière générale, l’industrie du pétrole est à chaque fois plus complexe. Le pétrole conventionnel, d’accès facile et pas cher à produire, est à chaque fois plus rare. Nous avons besoin de rechercher du pétrole dans des régions toujours plus reculées, avec des installations toujours plus complexes, dans des conditions toujours plus extrêmes, en ce qui concerne tant le travail que le capital.

Petrobras est l’entreprise du monde avec la plus grande expérience dans la production de pétrole en eaux profondes. Elle a toujours été à l’avant-garde de cette forme d’exploitation, mais malgré tout, l’augmentation de la complexité de ses installations exige une grande prudence et un apprentissage continue dans toutes les étapes de développement technologique des différentes opérations. Cela vaut aussi pour toutes les conditions strictes dans lesquelles se fait la production de pétrole non-conventionnel, que ce soit le pétrole en eaux profondes, le shake [11], le gaz de schiste ou les sables bitumeux.

Les contradictions entre l’appropriation privée de la richesse générée (afin de couvrir le paiement des dividendes, des intérêts des dettes créées, des assurances, des impôts et des réinvestissements pour compenser la chute naturelle de production des champs arrivés à maturité) et la préservation de la vie naturelle s’aggravent. Plus on s’approche de conditions extrêmes dans la production pétrolière, plus grande est la contradiction entre le profit privé et la vie elle-même.

Entretien avec Felipe Coutinho conduit par Gabriel Brito et Valéria Nader

Notes

[1] Littéralement, lavage rapide. (Réd. A l’Encontre)

[2] Le pré-sal est une zone de réserves pétrolières trouvées sous une profonde couche de roche saline qui forme une des nombreuses couches rocheuses du sous-sol marin. Les réserves de pré-sal trouvées près des côtes brésiliennes sont les plus profondes où du pétrole ait été découvert dans le monde entier. Elles représentent aussi le plus grand champ de pétrole découvert dans de si grandes profondeurs. (Réd. A l’Encontre)

[3] Relatif au Partido dos trabalhadores (Parti des travailleurs) dont sont issus Lula et Rousseff. Ce terme est né par le Manifeste de la fondation du PT, le document constitutif du parti qui s’oblige à suivre un socialisme démocratique. (Réd. A l’Encontre)

[4] Ce terme fait référence à un livre d’investigation de Elio Gaspari. Privataria est une contraction du terme privé et piraterie. Tucana désigne les membres du parti PSDB (Parti de la sociale démocratie brésilienne). Cette enquête qui a duré 12 ans relate les irrégularités des nombreuses privatisations effectuées durant les mandats de l’ex-Président Fernando Henrique Cardoso membre du PSDB. (Réd. A l’Encontre)

[5] Le régime de participation se distingue du régime de concession en ce sens que le concessionnaire (une entreprise tierce) détient le pétrole mais doit payer différentes participations à l’Etat. Dans le cas de la participation, l’Etat reste le propriétaire du pétrole extrait et a donc un contrôle accru dans cette exploitation. (Réd. A l’Encontre)

[6] Le pos-sal est une zone qui se trouve au-dessus de la couche de roche saline. (Réd. A l’Encontre)

[7] L’Agence nationale de Pétrole est l’organe d’exécution de la politique nationale du secteur pétrolier, elle est dirigée par le Ministère des mines et de l’énergie. Cette agence est actuellement dirigée par Magda Chambriard qui a d’ailleurs été entendue dans le cadre de l’enquête menée sur le lava jato. (Réd. A l’Encontre)

[8] Un solde primaire ou excédent primaire est la somme excédentaire d’un Etat (ou autre unité institutionnelle) avant le paiement du service de la dette. (Réd. A l’Encontre)

[9] Il s’agit de mobilisations d’une envergure sans précédent depuis 1992 qui ont commencé par une contestation de la population concernant les tarifs des transports publics, d’autres revendications ont suivi. (Voir nos articles du 19 juin 2013 et du 25 juin 2013). (Réd. A l’Encontre)

[10] Cette campagne a commencé au début des années 1950. Le débat entourant le mode d’exploitation du pétrole, privé ou public, qui a donné lieu à une mobilisation populaire importante et s’est terminée en 1953 par la création de la Petrobras en 1953, monopole d’Etat et sous contrôle national. (Réd. A l’Encontre)

[11] Le shale est une roche sédimentaire contenant du gaz naturel, dont du méthane. (Réd. A l’Encontre)

* Traduction A l’Encontre. http://alencontre.org/

* Felipe Coutinho est le président de l’Association des ingénieurs de Petrobras.
Gabriel Brito est journaliste ; Valéria Nader, journaliste et économiste, est éditrice du Correio da Cidadania.

Felipe Coutinho

Felipe Coutinho est le président de l’Association des ingénieurs de Petrobras (Brésil).

Gabriel Brito

Gabriel Brito est membre de la rédaction de Correio da Cidadania, Bresil.

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