Édition du 25 mars 2025

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Québec

Dans un monde de plus en plus façonné par les guerres et les catastrophes

Banalisation tranquille de la crise écologique et abandon des luttes autochtones

À moins d’être sans cœur et sans dessein, l’actualité de la semaine ne peut faire autrement que de mettre l’âme sens dessus dessous.Raison de plus pour ne pas oublier ces gardiens et gardiennes autochtones du territoire bloquant en ce moment des chemins forestiers.Le Québec est en feu quand ce n’est pas le Canada. Hier et demain c’était-ce sera l’Ouest étasunien, l’Australie, la France,l’Espagne et j’en passe. Il y a quelques mois ou semaines, au Québec, c’était le verglas et les inondations. Hier et demain, ces inondations étaient-seront ailleurs mais surtout au Pakistan et maintenant dans la basse vallée du Dniepr en Ukraine marquant leur rendez-vous macabre avec la guerre. Merci au fascisant et menteur impérialisme russe adepte de la guerre totale et ne craignant pas les crimes de guerre. Que toutes ces catastrophes suscitent contradictoirement une recrudescence du déni climatique(Étienne Leblanc, Le déni climatique gagne du terrain, Radio-Canada, 8/06/23) démontrent la profondeur du désespoir populaire devant l’inaction des grands décideurs capitalistes et l’absence de crédibilité de la gauche.

Un Appel des mairesses et maires plein de fol espoir malgré le rabat-joie decertains animateurs

Se pourrait-il que l’« Appel des mairesses et maires en action »(Appel des mairesses et maires en action, Le Soleil, 8/06/23)puisse contribuer à renverser cette tendance au pessimisme souvent style « fake news » ? Les mesures proposées ne manquent pas d’impressionner même si elles ne sont que des idées en l’air : densifier et mettre à profit les terrains sous-utilisés, favoriser la construction de logements sociaux, communautaires et abordables, adopter le principe d’étalement zéro, faire du développement du transport collectif urbain et interurbain une priorité, protéger les milieux naturels et renforcer la connectivité écologique, orienter les bâtiments vers la carboneutralité. Mais on connaît l’impuissance constitutionnelle, législative et surtout budgétaires des municipalités ce qui en fait de grands parleurs et petits faiseurs malgré leurs bonnes intentions.

Ce n’était pas une raison pour l’animateur de l’émission radiophonique montréalaise « Tout un matin »(Patrick Masbourian, Tout un matin, Radio-Canada, 8/06/23, 7h26 et 7h34)de doucher à l’eau froide la proposition de densification « Parc nature » de la mairesse de Sherbrooke, une des signataires de l’Appel,sous prétexte que des tas de gens en mal de piscines et de grandes cours, et qui en ont les moyens aurait-il dû ajouter, se réfugieront en banlieue. Réponse anticapitaliste : la densification égalitaire à échelle humaine, ce que les projets « nature »ne sont pas toujours,donnera un accès collectif généralisé à des piscines et grandes cours à proximité.

Non seulement n’y aura-t-il pas perte de jouissance mais plutôt un gain sous forme de plans d’eau diversifiés et de parcs nature bien plus variés et équipés sans compter des jardins communautaires.Quant aux personnes amateures d’antiécologiques bungalows qui se foutent de la tendance vers la terre-étuve, cette fuite en avant antisociale leur vaudra tout simplement une interdiction,tout comme pour la possession de véhicules privés en faveur du transport collectif mur-à-mur avec un complément d’autopartage communautaire. Ce ne sera pas plus désagréable que la loi fiscale et ce sera un triste jour pour les banques canadiennes qui carburent principalement à l’endettement des ménages reposant sur les piliers de la propriété privée du logement et du véhicule routier.

En Ukraine, la négociation pour une paix sans justice n’est pas la paix mais un baril de poudre

Au prochain Conseil national Solidaire, son comité altermondialiste organise un atelier sur la guerre d’Ukraine. Fort bien sauf que les deux conférenciers invités(et aucune conférencière), le député responsable des questions internationales et le représentant d’Échec à la guerre, y défendront le même point de vue pacifiste. Aucun ne défendra la position qu’en Ukraine le chemin de la paix passe par un appui ferme et clair à la lutte de libération nationale du peuple et du gouvernement ukrainiens jusqu’à et y compris son droit de s’armer auprès des pays prêts à ainsi le soutenir. Ce dernier point de vue est pourtant celui de l’écrasante majorité de la gauche ukrainienne tout comme celui de l’écrasante majorité du peuple ukrainien.

L’Ukraine a été envahi par la Russie d’abord en 2014 tout en annexant la Crimée puis en 2022 alors que la Russie n’était aucunement menacée ni par l’Ukraine ni par l’OTAN. Les ÉU et l’OTAN, alliance impérialiste aventuriste par son expansion vers les pays de l’ancienne URSS terminé en 2004, se sont par la suite affaiblis par leurs défaites au Moyen-Orient. Aujourd’hui, obnubilés par l’affrontement avec la Chine dans la zone indopacifique, ils soutiennent l’Ukraine les deux pieds sur les freins que parce que la détermination ukrainienne ne leur en laisse pas le choix. Autrement, les ÉU et l’OTAN admettraient encore une fois leur impuissance comme en Irak, en Afghanistan, en Syrie et en Libye pour ne pas dire en Palestine, ce qui compromettrait leur crédibilité vis-à-vis les pays qui leur sont alliés de l’Asie du Pacifique.

L’OTAN voudrait bien négocier illico sur la base de l’actuel rapport de forces, surtout ses membres européens aux prise avec un afflux de personnes réfugiées et une guerre à leurs portes. Mais le poutinisme fascisant ne veut pas négocier car suite à son incroyable erreur de jugement de conquête facile,à laquelle les ÉU se résignaient d’avance,il doit gagner pour survivre politiquement. Quant à l’Ukraine, le statu quo signifierait la défaite et la démoralisation ouvrant la porte à l’extrême-droite ultra-nationaliste qui ferait paraître angélique l’actuel gouvernement très néolibéral.Plus vite adviendra la victoire de l’Ukraine,moindres seront les souffrances et la ruine des peuples affectés par la guerre. Plus rapide et forte sera la défaite du poutinisme, moindres seront les chances de nouvelles invasions des pays de l’ancien empire tsariste-stalinien, d’une guerre mondiale et de chantage à la guerre nucléaire. La paix sans justice n’est pas la paix mais un baril de poudre.

Le capitalisme a créé tant la nouvelle normale des feux que l’aménagement forestier incendiaire

L’historique généralisation et intensification des feux de forêt au Canada annoncent la nouvelle normalité et pire encore. Cette nouvelle normalité, on la doit au refus des grands de ce monde—des grandes banques too big to fail(La Presse canadienne,Les investissements dans le pétrole explosent, La Presse,20/03/23) aux grandes puissances va-t’en-guerre commercial et armé—à s’attaquer aux sources de la crise climatique. Non seulement persistent-elles à ne pas garder les hydrocarbures dans les entrailles de la terre mais elles multiplient les mines à ciel ouvert nécessaires à l’orgie de batteries, autos électriques, éoliennes et panneaux solaires,faute de sobriété énergétique. Les données préliminaires extrêmement fiables de l’observatoire de Mauna Loa mesurant directement le CO2 atmosphérique,et non pas les données tronquées mesurées à la source par les gouvernements,laissent voir une croissance record des émanations de CO2 pour 2023(Global Monitoring Laboratory, Monthly Average Mauna Loa CO2, visité le 8/06/23). Et ce n’est guère mieux pour les autres sources de GES dont le méthane (Marc Bonhomme, Quand les mesures atmosphériques de GES contredisent celles à la source, Presse-toi-à-gauche, 2/05/23).

Sources : New York Times, The Morning, 8/06/23 Global Monitoring Laboratory, Monthly Average Mauna Loa CO2

Les baguettes en l’air, tous les partis parlementaires y compris les Conservateurs fédéraux réclament davantage de moyens et diverses formules de « débat d’urgence »ou de« plans d’action » pour combattre les feux de forêt. Signalons la proposition Solidaire de convoquer une « commission parlementaire pour revoir l’aménagement forestier »(QS, twitter). Les Solidaires ont-ils cependant réalisé que réaménager la forêt pour minimiser les incendies signifie s’opposer aux oligopoles forestiers s’appuyant sur une ribambelle de petites et moyennes scieries qui bien souvent sont les intermédiaires entre la coupe et la fourniture des premières en copeaux et que soutiennent population et édiles municipaux dépendants économiquement de cette ressource ?

Pour réduire le risque d’incendie ou ralentir la propagation du feu en forêt, des solutions sont connues, fait remarquer Christian Messier, professeur d’écologie forestière à l’Université du Québec en Outaouais (UQO) et à l’Université du Québec à Montréal (UQAM)."On devrait diversifier la plantation d’espèces d’arbres", résume-t-il."Le meilleur moyen, c’est vraiment d’avoir plus de feuillus dans nos forêts. Ça, c’est bien connu", dit-il. "On sait que les feuillus ont beaucoup moins tendance à brûler et même agissent comme un genre de tampon pour diminuer les risques de feu.""On devrait aussi favoriser la plantation d’espèces adaptées au feu, parce que ce qu’on veut après un feu, on veut que la forêt revienne." Ces solutions sont toutefois "très peu" appliquées au Québec, déplore-t-il."On le fait très peu parce que l’industrie forestière veut certaines espèces et on favorise à ce moment-là des espèces qu’on appelle commerciales", explique Christian Messier. "Dans plusieurs régions, elle a besoin surtout de conifères, donc on favorise la régénération de conifères."[…] "Ça fait une dizaine d’années que le gouvernement nous dit qu’il prépare un plan d’adaptation, mais ça n’a jamais été mis en place. Ce qu’il faudrait, c’est vraiment une volonté politique forte", dit Christian Messier.
(Sébastien Desrosiers, Devant les feux, Québec invité à repenser la gestion de la forêt, Radio-Canada, 9/06/23)

Un développement régional anticapitaliste comme meilleur moyen anti-feu et anti-inflation

Réaménager la forêt sans l’articuler avec un plan de développement régional,en connivence avec la population locale et ses personnes élues, et dans le respect des historiques droits territoriaux autochtones et avec leur accord, ne fera que braquer les populations locales. On pense à l’écotourisme, en collaboration avec les peuples autochtones, les érablières et la cueillette des petits fruits et autres plantes utiles. On peut cependant imaginer que le gros de l’affaire sera une coupe sélective de la forêt par des fermes forestières coopératives et familiales décemment rémunérées pour l’approvisionnement en matériaux de construction,ce qui a l’avantage de geler leur décomposition en GES jusqu’à un siècle et plus. Le « bois d’ingénierie »des Chantiers Chibougamau, dont les installations sont actuellement menacées par le feu,marie dans ce sens production traditionnelle et haute technologie.En contrepartie, il est impérieux de minimiser la production de papier, en commençant par l’arrêt complet de la production de papier-journal soit l’équivalent antiécologique des plastiques à usage unique, remplaçable par des moyens électroniques.

Vaudrait mieux que nos gouvernements prennent à bras-le-corps cet enjeu au lieu de se perdre en débats pour chercher des poux à la Chine tout en reconnaissant son impérialisme sui generis, alors que le Canada se soumet corps et âme aux ÉU ; ou au lieu de se cacher sous la table pour se voter de faramineuses augmentations de salaires —même certains députés Solidaire ne sont pas prêts à y renoncer —qui font baver les personnes employées des services publics ce qui, espérons-le, les galvaniseront vers la grève. Nos gouvernements prétendent lutter contre l’inflation, la principale préoccupation populaire. Pour ce faire, ils laissent la Banque du Canada, soi-disant rendue indépendante de l’État pour la libérer des pressions politiques, en réalité pour mieux l’assujettir à la mainmise du capital financier, continuer la hausse des taux d’intérêt. Cette hausse couperait court à la spirale actuellement inexistante inflation-salaire(Ève-Lyne Couturier et Raphaël Langevin, Spirale salaires-inflation : mythe ou réalité ?, IRIS, 1/06/23). En réalité, la hausse sert à bloquer la recrudescence gréviste pour le rattrapage salariale. Au contraire, elle alimente le coût de l’habitation que pourrait abaisser un aménagement et une exploitation écologiques de nos forêts en autant qu’elles ne continuent pas à être pillées principalement au profit de l’hégémon étatsunien devant lequel nos gouvernements plient de plus en plus et pour lequel dorénavant le Québec brade son hydroélectricité bon marché.

Des barrages autochtones pour la forêt auxquels s’opposent l’Assemblée nationale unanime

Le péché mortel de la gauche politique et sociale est son abandon de la lutte des gardiens du territoire du Nitassinan innu (Miriam Atabi, Des Innus dressent un blocus pour stopper les coupes forestières sur le Nitassinan, Pivot, 2/06/23) et du Nitaskinan atikamekw(Oona Barrett et Miriam Hatabi, [Entrevue spéciale avec Yvan Boivin, militant atikamekw du Mouvement 60>https://pivot.quebec/2023/05/26/entrevue-speciale-avec-yvan-boivin-militant-atikamekw-du-mouvement-60/], Pivot, 26/05/23),et des allochtones alliés.De dire un leader autochtone :« Ça fait 300 ans que ça coupe. Il serait temps de faire une pause. » Côté attikamekw, « [u]n blocus est en place depuis plus d’un an sur la route de Manouane, dans Lanaudière, où des familles de la nation atikamekw tentent de protéger leur territoire de l’exploitation forestière et d’y instaurer un moratoire de cinq ans. » Côté innu, « [d]epuis mardi [le 30 mai], après avoir remis un avis d’expulsion à sept forestières, le Collectif Mashk Assi et des allié·es atikamekw et allochtones bloquent un chemin forestier au sud du lac Kénogami pour empêcher le passage de la machinerie. Les militants, qui dénoncent le saccage du Nitassinan par ces entreprises, s’opposent aussi à la signature d’un traité négocié entre Ottawa, Québec et trois conseils de bande. »

Ces blocages de chemins forestiers alliant action écologique et droits autochtones affrontent les gouvernements dont principalement celui québécois constitutionnellement au contrôle des richesses naturelles. Localement, ils rencontrent l’opposition de certains maires (Delphine Jung, Coupes forestières : le maire de La Tuque exige une intervention de Québec, Radio-Canada, 18/05/23) et même des officiels Conseils de bande qui invitent au démantèlement des barricades pour « donner une chance aux négociations »(Radio-Canada, Coupes forestières : les chefs atikamekw veulent donner une chance aux négociations, 18/05/23) ce dont se réjouit le gouvernement Legault (Marie-Laure Josselin, Québec salue les avancées dans le dossier de la foresterie chez les Atikamekw, Radio-Canada, 18/05/23). Face à cette courageuse et intrépide action directe, la députation Solidaire s’est plutôt solidarisée avec le gouvernement en votant le 31 mai à l’unanimité de l’Assemblée nationale « une motion pressant le gouvernement d’accélérer les négociations pour parvenir à un accord ‘’dans les plus brefs délais’’ » ce qui implique en catimini une invitation au démantèlement des barrages.

Appuyer les gardiens du territoire en ne se mêlantp as de leurs affaires nationales tout en s’en mêlant

Où est le clair parti-pris Solidaire pour la Déclaration des Nations Unies sur les droits des peuples autochtones(DNUDPA) qui stipule que « [l]es peuples autochtones ont le droit de posséder, d’utiliser, de mettre en valeur et de contrôler les terres, territoires et ressources qu’ils possèdent parce qu’ils leur appartiennent ou qu’ils les occupent ou les utilisent traditionnellement… »(article 26.2). Comme les territoires affectés sont hors réserve donc non régis par les Conseils de bande et qu’ils sont non cédés et exploités sans le consentement des familles gardiennes du territoire, s’applique l’article 19 qui dit que « [l]es États se concertent et coopèrent de bonne foi avec les peuples autochtones intéressés —par l’intermédiaire de leurs propres institutions représentatives —avant d’adopter et d’appliquer des mesures législatives ou administratives susceptibles de concerner les peuples autochtones, afin d’obtenir leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause. »

En prenant partie, par le moyen voilé d’une position pacifiste et conciliatrice,pour les Conseils de bande, l’Assemblée nationale,dont les Solidaires, s’immiscent avec ses gros sabots d’institution blanche dans les affaires d’un peuple opprimé. On se serait attendu que comme parti appuyant la DNUDPA et conscient du pillage de la forêt par le capitalisme aux dépens de la biodiversité en péril dans le maelstrom de la sixième grande extinction, Québec solidaire s’abstienne lors du vote tout en déclarant sa sympathie et sa compréhension pour les blocages par les gardiens et gardiennes de la forêt. Et surtout que le parti dénonce d’avance toute répression de ces derniers en laissant savoir que la divergence de tactique,à propos d’une affaire se déroulant en territoire historiquement autochtone, entre les gardiens et gardiennes du territoire et les Conseils de bande est une affaire interneà ces nations.

Rien n’empêche le parti, en ces temps de feux apocalyptiques,de manifester publiquement son appui tacite aux gardiens et gardiennes du territoire par exemple par une visite des blocages par des délégations du parti y incluant députation et porte-parole. Se pose la délicate question des emplois des travailleurs en grande majorité non-autochtone. Le prochain Conseil national de juin,en mal de substance, est l’occasion d’ouvrir le débat sur cette récurrente contradiction entre emploi et environnement d’autant plus qu’on y prévoit une discussion ouverte à propos des régions. Pourquoi ne pas y convier des autochtones des nations concernées dont des gardiens et gardiennes du territoire pour expliquer leur point de vue sans toutefois prendre officiellement parti ? L’occasion serait belle d’envisager la conciliation emploi-environnement par une exploitation et un usage écologiques de la forêt avec l’accord et même la supervision des gardiens et gardiennes du territoire.

Marc Bonhomme, 11 juin 2023
www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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