Édition du 17 décembre 2024

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États-Unis

Aux États-Unis, les Occupy tentent de transformer l'essai

« Grève générale, occupons le 1er mai ! Ni travail, ni école, ni commerce, ni banque, ni bourse. » Qui a dit que le mouvement Occupy était mort avec l’expulsion mi-novembre de la place Zuccotti, ce confetti de bitume au pied des gratte-ciel du quartier financier de Manhattan ? Pour ceux qui en doutent, un « entraînement de printemps » est proposé à New York tous les vendredis à 14h30 au rythme des chants et des danses de guerre des militants d’Occupy Wall Street. Objectif : faire de la fête du travail une journée “sans les 1 %”.

12 avril 2012 | tiré du site de Mediapart.fr

Initiée par Occupy Los Angeles qui voulait organiser une journée d’action « pour les droits des migrants, un travail pour tous et un moratoire sur les saisies des logements », le mot d’ordre s’est élargi au fil des semaines afin de s’adresser au plus grand nombre possible de participants – y compris ceux qui ne peuvent pas faire grève ou n’ont pas de travail.

Préparons un boycott du commerce mondial « pour montrer qu’on ne laissera pas en paix les 1 %», explique l’appel d’Occupy Mayday relayé sur Facebook. Un peu martial et emphatique, son ambition déterminée ne surgit pas de nulle part. Car contrairement à ce que l’on pourrait croire depuis l’Europe, la fin des occupations de places publiques aux Etats-Unis n’a pas mis un terme à la mobilisation contre Wall Street et la cupidité des « 1 %». Un peu plus de six mois après la prise de Zuccotti Square par plusieurs centaines de militants, les mouvements Occupy (Wall Street, mais aussi New Haven, Oakland, Chicago, Seattle…) s’activent peut-être plus que jamais à transformer leur mobilisation surprise de la fin 2011 en mouvement de long terme.

Est-ce réaliste ? Cela se jouera en partie dans la capacité de ces collectifs majoritairement composés de jeunes travailleurs, précaires et étudiants à s’allier avec les organisations syndicales. Même si 18 % des salariés américains étaient syndiqués en 2010 selon l’OCDE, elles disposent tout de même de capacité d’organisation hors d’atteinte des Occupy. Surtout, elles ont mené en 2011 dans le Wisconsin un mouvement de grève des fonctionnaires d’une ampleur inédite. L’autre question stratégique concerne le positionnement de ces mouvements protestataires, très critiques de la démocratie représentative, par rapport à la candidature de Barack Obama à sa réélection.

Si la question de l’avenir des mouvements Occupy soulève aujourd’hui autant d’intérêts – voire de convoitises –, c’est qu’ils ont d’ores et déjà bouleversé l’agenda politique américain (à ce sujet, voir ce passionnant symposium sur Occupy et ses effets politiques, tenu à New York University). Parce qu’ils ont repris aux Tea parties le flambeau des rassemblements populaires soudés contre l’élite et, surtout, placé la dénonciation des inégalités économiques et de la tyrannie du capital au cœur du débat politique, ils ont réveillé la gauche américaine. Si bien que le mot d’ordre Occupy ! se retrouve désormais recyclé par tout ce que le continent nord-américain compte de luttes : occuper la banlieue, les lieux de travail, Hollywood, la recherche, la terre, l’université, Malcolm X, l’économie régionale, le printemps, le système, le monde… La liste est quasiment infinie.

« Nous sommes comme toi »

Comment passe-t-on d’une société refusant l’élargissement à tous de l’assurance maladie à des assemblées générales peuplées d’employés des transports, de SDF et de retraités décidant consensuellement d’occuper l’espace public et de braver les violences policières ? Deux livres qui paraissent ces jours-ci éclairent la genèse de ces mobilisations inattendues : Occupy Wall Street !, focalisé sur les mouvements américains (mais pas uniquement new-yorkais, contrairement à ce que laisse entendre le titre), et Indignés, qui présente l’avantage de s’intéresser aux Indignés espagnols et grecs. Nous en publions des extraits (voir à la fin de cet article et sous l’onglet Prolonger).

Leur grand intérêt est de rassembler des textes écrits par les militants eux-mêmes. Certains sur le mode du témoignage, du journal de luttes, du récit personnel. D’autres, plus analytiques, s’attachent à théoriser les raisons de la colère et le sens de cette éclosion de radicalité. Réfléchis et rédigés depuis l’intérieur de ces mouvements, ils en révèlent les constantes interrogations (quelle place pour les minorités visibles ? Comment décider démocratiquement avec un collectif d’inconnus ?), les difficultés (vivre dehors en ville, les rapports avec les SDF, les brutalités policières) et les contradictions (faut-il dénoncer les banques ou le capitalisme ? Elaborer des contre-propositions au risque de se diviser ou en rester à une opposition fédératrice ?). Tout sauf de l’agit-prop arrogante. Les textes sont prenants, souvent émouvants et parfois très drôles. A l’image de ce récit de l’artiste et activiste espagnol Leonidas Martin qui dialogue par article interposé avec un interlocuteur sur Twitter : « Pas plus tard qu’hier, je disais à un ami je ne sais quoi sur l’espoir. “Espoir”, tu vois les mots bizarres que j’emploie maintenant ? Qui l’eût cru ! » (la suite dans l’extrait que nous publions). Le registre est souvent personnel, voire intime, incluant ainsi l’observateur extérieur dans cette foisonnante aventure collective. « Nous sommes comme toi », proclame, par exemple, le manifeste des occupants de la Puerta del Sol.

La lecture de cet ensemble de textes met à bas un certain nombre de clichés. D’abord, Indignés ou Occupy, ces mouvements ne se résument pas à des rassemblements d’étudiants énervés. Leur sociologie est plus diverse, socialement et générationnellement. On y trouve par exemple des syndicalistes de l’AFL-CIO (American federation of labor and Congress of industrial organizations), la grande centrale américaine, ou encore des employés des services de transport municipaux, proches de la classe ouvrière. Plus récemment, à New York, les activistes d’Occupy ont rejoint les rassemblements en mémoire de Trayvon Martin, cet adolescent afro-américain tué par un vigile en Floride en février, rejoignant ainsi les associations historiques du vénérable mouvement des Civil rights.

Mais y militent aussi toute une génération d’intellectuels radicaux : l’anthropologue anarchiste David Graeber, auteur d’une récente somme sur l’histoire de la dette, la juriste Marina Sitrin, qui a publié un livre sur l’horizontalisme dans les mouvements populaires argentins, la documentariste Marisa Holmes, Amin Husain, artiste américano-palestinien et ancien avocat d’affaires, et encore l’essayiste Rebecca Solnit. Si bien qu’aux actions directes s’agrègent tout un chantier intellectuel mené par les animateurs du projet Occupy theory et de leur publication Tidal, pour qui « il ne peut y avoir d’action radicale sans pensée radicale ».

« Les racistes ne sont pas avec nous »

Ensuite, on comprend au fil des lectures que ce dont parlent ces mouvements, ce n’est pas tant la crise financière et sociale que la dette et des ravages qu’elle cause sur les vies individuelles. Dettes des étudiants qui ont dû acquitter de faramineux droits d’inscription à l’université. Dettes des jeunes ménages qui ont emprunté pour acheter leur logement et ne peuvent plus le rembourser parce qu’ils ont perdu leur emploi ou sont victimes des subprimes. Dettes d’actifs devenus malades et ayant dû cesser de travailler. C’est tout un paysage social dévasté qui défile sous nos yeux, une cohorte de personnages sortis du silence à cause de la crise mais piégés par des causes bien plus structurelles : les inégalités économiques, l’absence de sécurité sociale véritablement protectrice, les discriminations.

Le sujet des Indignés, à la fois ce dont ils parlent et ceux qui en sont, prend ainsi le visage d’un Américain ou d’un Européen moyen. Rien à voir avec l’avant-garde intellectuelle, souvent économiquement nantie, qui se retrouvait dans les grands mouvements étudiants américains et européens autour de 1968. C’est là que le slogan « nous sommes les 99 %» ou même « Je suis les 99 %», prend tout son sens sociologique, au-delà de sa force incantatoire. Il offre aussi un incroyable levier politique, comme l’analyse l’activiste Angela Davis : « Les militant-e-s d’Occupy et leurs sympathisant-e-s ont fait de nous les 99 % : ils appellent la majorité à se lever contre la minorité. Les anciennes minorités forment de fait la nouvelle majorité. Cette décision de créer une communauté de résistance si large implique des responsabilités majeures. »

À l’inverse, pour les militants d’Occupy Oakland, « l’appel à l’unité des 99 % est vide. Il n’y a pas d’unité entre ceux qui cherchent à défendre le système de domination et ceux qui cherchent à le détruire en créant un monde nouveau (…) les valets du Tea party, les violeurs, les racistes, les agresseurs homophobes et les agresseurs sexuels font partie des 99 % mais ils ne sont certainement pas avec nous ».

Autrement dit, si Indignez-vous !, le livre de Stéphane Hessel, servit d’étincelle au mouvement espagnol du 15 mai, les mobilisations qui suivirent ont depuis largement dépassé le cadre politique et intellectuel du livre de l’ancien résistant. Il est temps de s’en rendre compte et de déchausser nos lunettes franco-françaises pour regarder tels qu’ils sont, bien vivants, agités et radicaux, les protestataires des 99 %.

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