Édition du 19 novembre 2024

Une tribune libre pour la gauche québécoise en marche

Canada

Au pays du Québec, le capitalisme vert se prépare de beaux jours

L’Agence internationale de l’énergie (AEI), qui défend les intérêts des producteurs de pétrole, «  a publié une "feuille de route" détaillant les politiques et les innovations que les pays devraient poursuivre. Celles-ci incluent un arrêt immédiat de tous les nouveaux projets d’exploration pétrolière et gazière [et la fin immédiate de la construction de centrales au charbon, NDLR] et un passage sans précédent aux énergies renouvelables [… u]ne transition aussi spectaculaire nécessiterait 5 billions de dollars d’investissement par an, contre un peu plus de 2 billions de dollars aujourd’hui. » (The Economist Espresso, 19/05/21) Le chroniqueur économique de Radio-Canada n’a pas manqué de profiter de l’occasion pour surenchérir en citant le directeur de l’AEI : «  "Au-delà des projets déjà engagés en 2021, il n’y a pas de nouveaux projets d’exploitation gazière et pétrolière dans notre plan de match, et il n’y a pas de nouvelles mines ou d’agrandissements de mines de charbon", écrit Fatih Birol, le directeur de l’organisme, dans cette étude publiée le 17 mai. {} » (Gérald Fillion, Il faut repenser nos transports, c’est urgent !, Radio-Canada, 28/05/21)

Édit #1 du capitalisme vert : zéro nouveau projet d’hydrocarbures

De conclure le commentateur : « …la cimenterie McInnis, que les gouvernements Marois et Couillard ont choisi de mettre en oeuvre, et les projets du tunnel Québec-Lévis et de GNL Québec, que promeut le gouvernement Legault, pourraient nous ramener à la case départ alors que le Québec a du mal à réduire ses émissions de gaz à effet de serre. » Voilà l’édit numéro un de la stratégie capitaliste vert pour le Québec. Une telle prescription pour le Québec rallie certainement l’ensemble du mouvement écologiste, ce qui signifie sans doute la majorité de la population si on se fie au sondage sur l’acceptabilité du projet GNL-Québec rejeté par la majorité de la population (Marie-Chistine Fiset, Nouveau sondage – la majorité des Québécois-es sont contre GNL Québec/gazoduq, Greenpeace, 23/03/21) avant même que soit connu son rejet par le BAPE (Alexandre Shields, Rapport du BAPE « dévastateur » pour GNL Québec, Le Devoir, 25/03/21).

Sur le plan de la production/exploration/transit des hydrocarbures nul doute que le Québec est dans une situation privilégiée vis-à-vis un pays, qui est aussi le nôtre par la forces des choses, le Canada où le renoncement à des nouvelles sources d’hydrocarbures aurait un impact économique exigeant une restructuration. En découle la réaction droitière (et pathétique) des provinces des Prairies, non seulement se précipitant tête première dans le développement de pipelines mais aussi de mines de charbon (Natasha Brubaker, Why stopping Grassy Mountain is so pivotal to moving Canada beyond coal, Council of Canadians, mai 2021). Le mouvement écologiste canadien s’en trouve divisé quant au gel de développement pétrolier et gazier. À cet égard, bloquer le transit par pipeline et par train dont celui du nouveau projet Goldboro (Robin Tress, Why we’re demanding a federal environmental assessment for Goldboro LNG, Council of Canadians, mai 2021) est une revendication minimaliste mais insuffisante. Il faudrait contribuer à l’élaboration d’une alternative pro-climat pancanadienne et en particulier y définir le rôle du Québec. Et Dieu sait qu’on n’en est pas là !

Édit #2 du capitalisme vert : bonus-malus électrique et hausse drastique du prix de l’essence

Côté consommation des hydrocarbures, les bilans canadien et québécois se ressemblent davantage mais pas tout à fait. Si l’hydroélectricité québécoise y réduit à une portion congrue la climatisation fossile des bâtiments, particulièrement résidentiels, son bilan du transport routier est tout aussi catastrophique et hors contrôle que celui canadien. De dire, selon le chroniqueur de Radio-Canada, «  le commissaire au développement durable du Québec [qui] a publié jeudi un rapport […] "La part du transport routier dans les émissions de GES totales du Québec, indique le commissaire, est passée de 21,1 % en 1990 à 35,6 % en 2018, soit sa contribution la plus importante depuis 1990 "  » Et quand on se compare on se désole selon le commissaire. Globalement,

[d]e 1990 à 2018, les émissions de gaz à effet de serre au Québec n’ont baissé que de 6 % alors qu’elles ont chuté de 14 à 42 % au Danemark, en France, au Royaume-Uni, en Suède et en Suisse. "Les pays retenus, est-il écrit dans le rapport, ont comme dénominateurs communs, pour la période 1990-2018, un taux de réduction des émissions de GES largement supérieur à celui du Québec, ainsi qu’une croissance démographique et économique comparable ou supérieure à celle de la province." Le problème le plus important du Québec par rapport aux cinq pays mentionnés, c’est la gestion de ses transports […] Les émissions de gaz à effet de serre provenant du transport routier ont augmenté de 59 % au Québec de 1990 à 2018, comparativement à 31 % au Danemark, et de 2 à 8 % en France, en Suisse et au Royaume-Uni. Les émissions du secteur ont baissé de 13 % en Suède. […]
Deux explications. Les cinq pays de comparaison ont adopté des systèmes de bonus-malus, ce que le Québec n’ose pas faire. Le bonus, c’est d’encourager l’achat de véhicules électriques. Nous le faisons. Mais, le malus, c’est une taxe à l’achat d’un véhicule polluant. Nous ne le faisons pas, contrairement à la France ou à la Suède. Par ailleurs, contrairement à ce que certains peuvent penser, nous ne payons pas cher notre essence. "En janvier 2020, écrit le commissaire au développement durable, les prix de l’essence et du diesel au Québec étaient beaucoup moins élevés que dans les cinq pays faisant l’objet de notre comparaison"

L’édit numéro deux du capitalisme vert en coule de source : d’un, un malus à l’encontre des véhicules à essence s’ajoutant au déjà généreux bonus de 13 000 $ pour un véhicule tout électrique et, de deux, une bonification substantielle de la taxe sur l’essence ou encore, ce qui fait plus écologique, une hausse dramatique et rapide du prix plancher du marché du carbone (ou de la taxe carbone le cas échéant).

Encore une fois, le mythe suédois… à coups de douteux biocarburants et de nucléaire

Avant de sauter aux conclusions, il faudrait commencer par mettre en contexte les comparaisons internationales. Par exemple, dans la mesure où la Suède s’est libérée des hydrocarbures ce fut pour leur substituer de douteux biocarburants et de la biomasse sans compter le maintien du nucléaire qui produit 48% de son électricité en 2019, et la biomasse 31% (Wikipédia, Énergie en Suède, 3/06/21). Après le Brésil, la Suède est championne des biocarburants dans tous les domaines dont le transport (Maxime Lemonde, Suède : portait d’une pionnière aux véhicules au gaz naturel, les GNV et les BIOGNV, Biogas World, 19/06/18) aux dépens de la régénération des sols et de la réduction des déchets organiques. Cette contestable réduction du pétrole dans les transports, dont la moitié de la consommation est sous forme de diesel soi-disant moins émetteur de CO2 mais plus émetteur de particules (Clément Fournier, Diesel ou essence : qu’est-ce qui pollue le plus ?, youmatter, 11/12/18), n’a pas non plus grand chose à voir avec le régime de bonus-malus mis sur pied seulement en 2018.
En termes relatif de contribution à son bilan de CO2, le transport a haussé sa part de 38% en 1990 à 53% en 2014 (Perspective monde, Émissions de CO2 attribuables au CO2 en pourcentage, Suède, Université de Sherbrooke) ce qui ressemble à la hausse relative québécoise même si c’est sur fond de baisse générale plus importante de CO2 quitte à fermer les yeux sur le traitement statistique des biocarburants. Cette statistique mise en regard ce celle de la production totale de CO2, toutes deux provenant de la Banque mondiale, donne une hausse de 17% de 1990 à 2014. Cette hausse fait douter de celle de l’article de Radio-Canada reprise du commissaire au développement durable du Québec qui parle d’une baisse de 13% de 1990 à 2018. Est-ce une question de méthodologie du fait que la première statistique engloberait tous les transports domestiques et la seconde délaisserait le transport lourd de marchandises qui ne semble pas plus maîtrisé en Suède qu’au Québec ? (The Local, Sweden’s road traffic emissions increase after years of steadily falling, 27/02/19) D’ajouter ce journal : «  [l]e nombre de voitures hybrides et électriques immatriculées sur la route a augmenté l’année dernière [2018], mais représentait au total 27 000 véhicules, tandis que plus de 300 000 nouvelles voitures à essence ou diesel ont été immatriculées. » Comme quoi l’électrification de ce type de véhicules n’a pas grand-chose à voir avec sa baisse d’émanation de GES.

De l’ancien au nouvel extractivisme en passant par leur intégration par le capitalisme vert

La lutte à mort contre l’utilisation des hydrocarbures à enterrer bien avant 2050 ne justifie en rien les fausses solutions comme les biocarburants qui dépouillent la fertilité des sols de leurs résidus agricoles et forestiers, réduit le retour à la terre des déchets organiques et mobilise de grands pans de surface terrestre aux dépens de la production de nourriture et de la forêt naturelle. D’autant plus que l’hypothèse CO2 zéro des biocarburants (et biomasse), surtout en zone nordique, est fausse car l’émanation du CO2 dans l’atmosphère est immédiate alors que sa captation prend ensuite des dizaines d’années, si elle n’est pas fauchée entretemps, alors que presse la réduction des gaz à effet de serre (GES) pour ne pas franchir les points de bascule en route vers la terre-étuve. En plus, les biocarburants se mélangeant habituellement avec les combustibles fossiles, ils prolongent leur usage. Ajoutons la biomasse, cousine germaine des biocarburants, comme énergie primaire électrique pour constater le cul-de-sac de l’électrification du plus du milliard mondial de véhicules routiers. Et que dire du nucléaire, bombe atomique à retardement, dont les risques incommensurables et les coûts et délais faramineux ne sont plus à démontrer.

On peut bien sûr spéculer sur l’avènement de l’électricité renouvelable dont l’hydroélectricité est une douteuse partie prenante tant elle comporte de malsains bouleversements des réseaux hydrographiques, de destruction d’habitat humain et de non-respect de droits territoriaux autochtones. À ne pas oublier que les énergies éolienne et solaire parce qu’elles sont des énergies diffuses et sporadiques requièrent une grande consommation d’espace et des paysages tout comme un réseau de gestion-distribution dit « smart grid » dont rêve le capital financier afin de gérer une myriade de petits auto-producteurs de la classe moyenne propriétaires de panneaux solaires et parfois d’éoliennes. Arrive l’ubérisation de la production électrique ! Envisager que l’électricité renouvelable se substitue à la totalité de la présente énergie mondiale tout en continuant à croître au même taux afin que tout change pour que rien ne change prépare un nouvel extractivisme de mines à ciel ouvert, d’étalement urbain et d’agro-industrie tous plus énergivores les uns que les autres. Ce scénario à la fois cauchemardesque et rocambolesque du singe qui court après sa queue finira inévitablement par combiner le nouvel extractivisme avec l’ancien extractivisme carburant, littéralement, aux hydrocarbures tout comme le règne plus que centenaire du pétrole s’est combiné avec celui du charbon.

Pour s’efforcer ou faire semblant de ne pas dépasser le fatidique 1.5°C de hausse de température, il faudra ajouter de très dispendieux systèmes gargantuesques de captage et séquestration de gaz carbonique et d’autres trucs d’apprenti-sorcier. Les coûts de cette mue nécessiteront de larges subventions étatiques garant d’un régime politique austéritaire et corrupteur au bénéfice d’une poignée de transnationales, en commençant par le complexe GAFAM-véhicules, et de grandes entreprises nationales assises sur le « complexe de la corruption ». Et pour ne pas prendre à ces capitalistes dans la poche gauche ce qu’on leur donne dans la poche droite, on ménagera l’imposition du capital sous toutes ses formes pour lui substituer toutes les formes d’écofiscalité de la taxe et marché carbone jusqu’aux péages de toutes sortes sur le dos du peuple-travailleur qu’on leurra par de symboliques rabais d’impôt sur le revenu et de modestes ristournes comme on fait pour la taxe de vente.

L’exceptionnalité québécoise est un gage d’intégration dans le nouvel extractivisme

L’hydroélectricité québécoise à presque 100%, et moult surplus, est une rare exception qui n’isolera pas le Québec de cette donne mondiale. Dans l’ancien extractivisme, le Canada constituait une réserve de matières premières, surtout de pétrole, peu utilisée car dispendieuse comparée au pétrole de Moyen-Orient et encore moins utile depuis l’autosuffisance étasunienne due au pétrole et gaz de fracking. Dans ce scénario, la place du Québec était marginale ce qui fut pour lui une bénédiction l’entraînant sur la voie d’un développement économique plus équilibrée où la haute technologie pas toujours socialement utile (jeux vidéo) ni écologiquement pertinent (aviation) avait sa modeste place. Tel ne sera pas le cas avec le nouvel extractivisme de mines de lithium, de graphite, de nickel et tutti quanti à ciel ouvert et d’hydroélectricité à fausse réputation écologique. Ce sera d’autant plus le cas que l’affaiblissement de l’hégémonie étasunienne redonnant vie aux contradictions inter-impérialistes, dont la guerre commerciale ÉU-Chine est le fer de lance de l’heure, fera du Canada, et du Québec y jouant un rôle économique plus important, non seulement une réserve mais aussi une zone immédiatement exploitable. Nations autochtones et peuple québécois des régions, cramponnez-vous !
Marc Bonhomme, 4 juin 2021

www.marcbonhomme.com ; bonmarc@videotron.ca

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